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La fin de Londres : l’Histoire à l’appui de la fiction (Partie 2)

Quand la peste s’installe à Londres en 1665, la ville ne sait pas encore qu’elle va entrevoir un temps la porte des enfers. La pandémie durera quelques mois seulement mais arrachera la vie à 70 000 personnes. Puis, alors que le pire semble atteint, un grand incendie frappe la ville. Sanction divine envers une ville pécheresse ? Si l’idée fait alors son chemin, ce double événement tragique démontre surtout le manque d’hygiène et de salubrité des grandes métropoles à une époque où la densité humaine n’a jamais été aussi forte et où les couches pauvres de la population s’entassent dans des quartiers délabrés. Pour ce fil rouge « Destruction du monde », petit retour sur l’histoire de la capitale anglaise…

Après la première partie de notre Dossier ‘Destruction de Londres’ consacré à l’arrivée de la peste dans la ville, nous nous penchons aujourd’hui sur la destruction de Londres… par le feu !

Le feu purificateur ?

En ce début d’année 1666 la peste quitte donc progressivement les rues de Londres. Pour autant la capitale anglaise n’est pas parvenue au bout de ses malheurs. Le 2 septembre se déclenche en effet un incendie qui allait ravager la plus grande partie de la City. A hauteur de Pudding Lane, au petit matin, se propage très vite un feu qui repend dans toutes les rues adjacentes. Comme le souligne Peter Ackroyd dans sa biographie de Londres [1], l’incendie fut d’autant plus ravageur qu’il se déclara après un mois d’août chaud et sec qui avait eu pour effet de rendre très inflammables les toits en chaume des maisons et leur charpente. La ville de Londres avait déjà, dans son histoire, connu des épisodes d’incendies ravageurs. Peter Ackroyd rappelle ainsi, toujours dans sa biographie :

On a toujours dit que « le grand incendie de Londres » de 1666 était le plus grand que la ville ait jamais connu, mais il appartient en fait à une longue liste de dévastations. Les incendies de 60 et 125 apr. J.-C détruisirent la presque totalité de la ville, créant ce que les archéologues décrivent comme un « horizon de destruction par le feu ». Ce n’est autre que l’horizon de la ville même. Londres brûla en 764, 798, 852, 893, 961, 982, 1077, 1087, 1093, 1132, 1136, 1203, 1212, 1220 et 1227.

The Great Fire of London, with Ludgate and Old St. Paul’s

Le nombre de ces incendies, rien que pour le moyen-âge, rappelle la fragilité des villes et des capitales qui agglomèrent, dans des maisons aux matériaux particulièrement inflammables, une population dense généralement pauvre. Ce n’est qu’après le grand incendie de 1666 que le bois fut peu à peu abandonné. Le Rebuilding of London Act [2] de 1666 pose les bases d’une reconstruction harmonieuse de la City, avec des hauteurs de bâtiments et des largeurs de murs porteurs prédéfinies. Le texte prévoit aussi « Que tous les toits, cadres de fenêtres et planchers de cave soient en chêne », car plus long à se consumer en cas d’incendie. Progressivement une nouvelle ville émerge du néant.

Mais revenons aux prémices de cet incendie. C’est donc avant que le jour ne perce en ce 2 septembre 1666 que la ville s’embrase. Samuel Pepys écrit dans son journal [3] que sa bonne le réveille à 3 heures du matin pour le prévenir du départ du feu. Pepys décide alors de se rendre très vite vers la Tour de Londres où il constate que le feu se répand à grande vitesse soutenu par un vent « très puissant ». Au roi et au duc d’York à qui il rend compte de l’évolution de la situation, Pepys précise :

« que rien ne pourrait arrêter l’incendie, à moins que sa Majesté n’ordonnât qu’on abattît les maisons. Mes propos les rendirent très soucieux et le roi m’ordonna d’aller signifier de sa part au lord-maire de n’épargner aucune maison, mais d’abattre dans toutes les directions celles qui étaient à la lisière de l’incendie ».

John Evelyn, autre chroniqueur du grand incendie, note et se désole, dans son journal [4], que, chez les habitants même des quartiers menacés, l’inaction généralisée s’impose comme la norme. Les hommes et les femmes des rues enflammées fuient en abandonnant tout tandis que d’autres s’emparent de quelques biens qu’ils décident de sauver en les transposant dans d’autres maisons ou en les jetant dans la Tamise. Plus tard il dresse un constat de désolation des scènes qu’il observe :

« la Tamise [était] couverte de marchandises flottantes, toutes les barges et tous les bateaux chargés de ce que certains ont eu le temps et le courage de sauver, tandis que, de l’autre côté, les charrettes transportaient les biens vers les champs, qui, sur plusieurs milles, étaient jonchés de mobiliers de toutes sortes, et des tentes étaient dressées pour abriter les gens et les marchandises qu’ils pouvaient emporter. Lors de ce spectacle misérable et calamiteux, tel que le monde entier n’en avait heureusement jamais vu de semblable depuis sa fondation, et qu’il n’en verra plus jusqu’à sa destruction finale, tout le ciel avait un aspect ardent, comme le sommet d’un four en feu, et la lumière était visible à plus de 40 milles à la ronde pendant de nombreuses nuits. »

En fin d’après-midi de ce 2 septembre Pepys [5] retrouve sa femme en compagnie de quelques amis avec qui il entreprend de descendre la Tamise en barque alors que le feu « redoublait d’intensité » :

« Nous nous rapprochâmes du feu d’aussi près que le permettait la fumée ; et sur toute la Tamise, dès lors qu’on était vent debout, on était presque brûlé par une pluie de gouttelettes de feu – le fait est absolument véridique -, ces gouttes et ces flocons de feu incendiant les maisons par groupes de trois ou quatre, voire cinq ou six, le feu communiquant de l’une à l’autre. »

Old St Paul’s Cathedral in ruins after the Great Fire of London (1666)

L’incendie ne se mis à décroitre qu’à partir du 5 septembre grâce notamment à un vent moins vigoureux que les jours précédents. Après quatre jours durant lesquels les flammes ne purent être vraiment maitrisées, le bilan de l’incendie affichait plus de 13 000 maisons détruites, 89 églises ravagées en plus de la symbolique cathédrale Saint-Paul déjà détruite par le passé. Quinze des 26 quartiers de la ville étaient ainsi partis en fumée. Quelques jours après cet événement tragique qui ravagea 80 % de la City John Evelyn écrit dans son journal, à la date du 10 septembre une seule phrase qui résume à elle seule ce qui restait de Londres :

« Je suis retourné aux ruines, car ce n’était plus une ville. » [6]

Certains, comme le révérend Thomas Vincent, voient dans la double tragédie de 1665/1666 un avertissement divin. Dans la section 3 d’un livre qu’il publie en 1667 [7], l’homme d’église pose la question qui brûle toutes les lèvres : « Pourquoi se fait-il que le Seigneur parle à un peuple par des choses si terribles ? » et de répondre simplement par ce qui s’impose à ses yeux comme une évidence : « La raison en est que les gens ne l’écoutent pas lorsqu’il parle d’une autre manière. ».

Au-delà, l’incendie de 1666 est resté dans les esprits des Londoniens comme celui d’un nouveau départ. La création de la nouvelle ville signera la fin d’une époque. Des mesures sanitaires sont prises pour lutter contre la peste et la résurgence des feux, les nouvelles maisons et les aérations urbaines définissent les nouveaux contours de la ville, qui, même si elle agglomère toujours plus d’hommes et de femmes, à la veille d’une révolution industrielle qui ne fera qu’accentuer le phénomène – (re)créant les venelles et les rues coupe-gorge, dans lesquelles s’entassent toute une ville fantôme, qui serviront de cadres à la littérature victorienne – permettent aussi de faire de Londres, la capitale-symbole d’un empire toujours plus puissant.

La culture populaire, malgré la dramaturgie que peut renvoyer le grand incendie, n’a pas produit d’œuvres significatives de l’événement. En 2016, Londres organise une série de manifestations pour le 350ème anniversaire de cette tragédie. A cette occasion une série de timbres dessinés par un habitué de la revue 2000 AD – John Higgins, dessinateur entre autres sur Judge Dredd ou Hellblazer et coloriste sur The Watchmen du grand Alan Moore. – voit le jour. Les six timbres reprennent le fil de l’histoire du grand incendie en autant de scènes clés, depuis l’origine de l’incendie dans la boulangerie de Pudding Lane, en passant par les premiers instants de panique, l’abattage des maisons proches des flammes pour contenir la propagation du feu et jusqu’à la présentation au roi des plans de la nouvelle ville.

Le feu reste en revanche présent comme un élément annonciateur de la fin de Londres dans de nombreux récits qui ne font pas explicitement référence au grand incendie de 1666. La nouvelle de Grant Allen, The Thame Valley catastrophe publiée en décembre 1897 dans la revue Strand voit ainsi Londres se faire détruire par une coulée de lave brûlant tout sur son passage :

« Le lendemain, le monde entier connaissait l’ampleur de la catastrophe. Elle ne pouvait être résumée qu’en cinq mots forts : Il n’y avait plus de Londres (There was no more London). »

Dans La Guerre des Mondes, roman majeur de H.G. Wells, adapté à plusieurs reprises en bande dessinée, l’invasion martienne se matérialise par l’intermédiaire de tripodes géants ravageant tout sur leur passage depuis leur point de chute dans les landes de Woking à une cinquantaine de kilomètres de Londres. Après avoir fait usage du rayon ardent sur les premières victimes venues observer ce qui était perçu par tous les observateurs comme étant une comète, les Martiens se dirigent inéluctablement vers la capitale de l’empire britannique. Dans les faubourgs de Londres, puis à Londres même, la population entre dans une panique généralisée avant que le chaos gagne. L’arme principale des Martiens, en plus de la fumée noire et de l’herbe rouge, est donc ce rayon ardent qui enflamme tout ce qu’il parvient à toucher. Si en 1906 Alvim Corrêa, illustrateur d’origine brésilienne, ne met pas forcément en scène le Londres détruit par les flammes [8], Dobbs et Vicente Cifuentes le font plus généreusement dans leur adaptation en deux volets, parue chez Glénat en 2017. Les deux auteurs en page 5 du second album enfument la ville. Des pompiers tentent bien de faire reculer les flammes à partir d’un camion à pompe assez rudimentaire, mais les foyers s’allument de toutes parts comme le laissent apparaître les pages suivantes.

L’adaptation du roman réalisée par Sai Ihara et Hitotsu Yokoshima, publiée en 2021 chez Ki-oon, donne à voir Maybury attaquée par des tripodes dont les rayons ardents embrasent les maisons par ailleurs disloquées par leurs pattes massives. Dans la réinterprétation du roman de Wells, au travers de leur série La Ligue des Gentlemen Extraordinaires [9] parue chez Panini Comics en intégrale, le scénariste Alan Moore et l’excellent Kevin O’Neill donnent d’abord à voir la mort des curieux venus observer la météorite écrasée près de Woking, consumés par les flammes, avant que la capitale de l’empire ne subisse le même sort à grande échelle. Dans une double-page saisissante, les deux auteurs mettent en scène l’arrivée des tripodes dans la ville sous les regards effrayés de Londoniens en fuite. Les personnes réunies autour du port dans lequel mouille le Nautilus, ne peuvent que constater la destruction de la ville par le feu et l’effondrement des principales cheminées et tours de la City. Plus loin dans le récit, nous assistons à une action méthodique des tripodes qui mettent en cendres la plupart des quartiers de la ville. La destruction de Londres, qui alimentera toute la littérature d’invasion, et que nous aborderons plus loin, trouve avec le roman de Wells un contrepoids de choix à un impérialisme toujours plus expansionniste qui ne souffre d’aucune critique ou d’aucune réserve de la part de la population britannique.

Le même effet est utilisé dans Invasion 1984 ! par John Wagner, Alan Grant et Eric Bradbury qui développent un récit qui emprunte plusieurs éléments scénaristiques à La guerre des mondes. On y retrouve l’invasion extraterrestre, la mise à feu de la ville (la couverture de l’album propose ainsi Picadilly Circus léché par des flammes soutenues par un vent a priori violent) et un dénouement proche de celui du roman de Wells.

La mise en flammes de Londres, passé le côté spectaculaire, peut ainsi se lire dans les différents récits graphiques, comme ayant un effet purificateur sur les âmes égarées d’une puissance qui vacille. Sans pour autant revendiquer l’intervention divine qui porte un coup fatal à la ville pécheresse, ces propositions sont autant de moyens de réfléchir à l’action de l’homme sur les minorités, et au rôle joué par les grandes puissances sur des nations directement (ou indirectement) asservies.

[1] Peter Ackroyd – Londres, la biographie – Philippe Rey – 2016
[2] A lire sur https://www.morrlaw.com/party-wall/party-walls-great-fire-of-london/ (consulté le 25/06/2021)
[3] Samuel Pepys – op. cit. – p 497
[4] John Evelyn – The diary of John Evelyn : from 1641 to 1705-6, with memoir – ed. by William Bray – 1890 – pp 318 et suivantes
[5] Samuel Pepys – op. cit. – p 501
[6] John Evelyn – op.cit. p 322
[7] Rev. Thomas Vincent – God’s Terrible Voice in the City – James Nisbet – 1832 – pp 20-24
[8] H. G. Wells – La guerre des mondes – Omnibus – 2017
[9] Alan Moore et Kevin O’Neill – La ligue des Gentlemen extraordinaires vol2 – Panini comics – 2018 (pour l’intégrale)


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