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La Vision de la guerre en BD (7ème volet) : Du côté anglo-saxon

La guerre a marqué les esprits aussi bien en Europe qu’aux Etats-Unis, pays qui a pourtant souvent cédé à la facilité de prendre les armes pour exposer la puissance de son armement et de son industrie. Pour autant des auteurs engagés, tel Joe Kubert dont nous vous avions présenté récemment la vision du Vietnam ont démontré que les images de mort, de corps meurtris et d’angoisse peuvent faire réagir les hommes, bousculer cette envie à toujours vouloir s’enfermer dans des schémas simplistes destructeurs de générations… Découvrons la vision anglo-saxonne de la guerre…

 

La guerre demeure l’u des sujets phares de la BD. Parce qu’elle véhicule des images fortes capables d’émouvoir, de susciter la compassion mais aussi la révolte, la guerre s’est imposée auprès des auteurs comme un moyen de questionner, d’amener une réflexion nouvelle. La littérature possède les mots pour faire naître en nous des images de peur, d’angoisse ou d’horreur. La BD quant à elle possède les images et la capacité à les mêler à des récits documentés. En ce sens elle s’affirme non pas comme une alternative à la littérature, mais comme son complément naturel. La guerre dans la BD de Mike Conroy évoque le sujet au cours des âges. L’auteur n’y parle donc pas uniquement des récits contemporains, il aborde son sujet de manière globale en tentant de décortiquer ce qui fonde le récit de guerre dans la BD en s’attachant à la question des héros : véritables ou de fiction ? Pour Mike Conroy la guerre aura mis du temps à s’imposer comme thématique en BD. Peut-être parce que les premiers albums étaient humoristiques (ne les appelle-t-on pas comics ou funnybooks en anglais ?) qu’[ils] furent un temps considérés comme un média intrinsèquement futile. Secouée par la Grande guerre, la population mondiale n’a pas envie de voir son calvaire résumé dans une série d’historiettes illustrées.

La guerre en BD ne s’imposera qu’à partir des années 40, alors que les « vrais » conflits, meurtriers s’il en est se vivent en live en Europe sur les champs de bataille du débarquement ou ailleurs dans le bombardement subit à Londres. Les auteurs américains dont certains sont juifs commencent à évoquer les drames qui se déroulent sur le territoire allemand. Dès lors le sujet ne devait plus quitter les pages des comics books. La BD anglo-saxonne développe le sujet sans pour autant se limiter à l’évocation des guerres qui se vivent en live (Corée, Vietnam…). Mike Conroy présente ainsi son sujet par période : Les guerres de l’ancien monde (péplums, vikings, époque napoléonienne…), guerres sur le sol américain (sécession, guerre d’indépendance, conquête de l’ouest…), deux conflits mondiaux, Corée, Vietnam, conflits contemporains. La guerre dans la BD propose une iconographie riche faite de couvertures de revues phares, telles celles de Battle ou Frontline Combat (voir chronique ci-dessous) et de reproduction de planches. L’auteur s’attarde à relier la BD à son époque en essayant de comprendre et de révéler ce qui préside à son développement. Nous regretterons juste la quasi-omniprésence de la BD anglo-saxonne dans cet opus alors que la BD franco-belge foisonne d’albums majeurs en la matière. Néanmoins La Guerre dans la BD s’impose par sa masse, sa richesse documentaire et son envie d’initier le lecteur à des récits poignants reflets d’une société qui se cherche…

Mike Conroy – La guerre dans la BD – Eyrolles – 2011 – 29 euros

 

Revivre la guerre, celle des poilus, des trachées bondées de rats, de boue et d’éclats d’obus, celle qui, dans la plus grande indifférence des cadres de l’armée (des armées), envoya des milliers de jeunes soldats (par dizaines, par centaines) dans un monde nous l’espérons plus clément. Cette guerre donc à ému tout ce qui se fait de poète, écrivains, peintres, sculpteurs et auteurs de BD. La grande guerre de Charlie revisite ce conflit. Encore une fois ? Une fois de trop ? Non bien au contraire. Là où la surenchère de références conduit à marginaliser ou à réduire l’impact dramatique de son sujet, cette série feuilleton publiée en Grande-Bretagne de 1979 à 1986 demeure encore aujourd’hui l’une de celles qui marqua le genre. Car elle n’est pas simplement récit de guerre avec ses jugements et ses descriptions de l’enfer. Elle est aussi récit d’une vie qui se construit, se déchire, se trouve parcourue d’émotions les plus diverses. Cette vie est celle de Charlie Bourne, jeune soldat envoyé occuper les tranchées creusées sur le front pour rassurer la puissance des nations résolument trop occupées à se partager le monde. Charlie ne possède rien du héro classique même si sa bravoure, son sens de l’honneur et de certaines valeurs en font un « bon » citoyen, il reste un gamin de la campagne, un peu benêt qui s’émerveille de tout et sort de ses gonds lorsqu’il est poussé à bout. Nous suivrons donc le conflit par le biais de ce minot.

Chaque historiette (8 pages publiées à l’origine sous forme de feuilleton dans Battle) débute par une lettre ou une carte envoyée par le jeune homme à ses parents ou à ses proches. Chacune constitue le point de départ de la narration d’un évènement ou fait de guerre vécu dans les tranchées. Par ce moyen simple le scénariste arrive à prendre le lecteur en témoin (intime). L’horreur du quotidien de Charlie – le récit débute à la veille de la bataille de la Somme – se trouve dépeinte dans les moindres détails. Folie des hommes, morts inutiles, corps meurtris jonchant le sol sans espoir de sépulture descente, encadrement dépassé jouant à la guerre comme avec des soldats de plombs dans le cadre feutré d’un salon anglais surchauffé et luxueux. Le dessin de Joe Colquhoun semble possédé par le récit de ce gamin héro malgré lui d’un conflit qui dépasse l’entendement. La précision du trait dans les représentation des tranchées, le luxe de détails repose sur un travail documentaire préalable minutieux qui participe à faire de cette aventure une série mythique que les éditions ça et là et 360 Media Perspective, via le Label Delirium rééditent à juste titre. Une référence en la matière.

Pat Mills & Joe Colquhoun – La Grande guerre de Charlie – ça et là/360 Media Perspective – 2011 – 19, 50 euros

 

Frontline Combat fut éditée de 1951 à 1954 par Harvey Kurtzmann pour le compte de la maison indépendante EC Comics. Le principe était simple : proposer des récits de guerre illustrés par quelques artistes maison Jack Davis, John Severin… ou de jeunes pousses qui allaient marquer l’histoire de la BD américaine comme Joe Kubert. Au final l’expérience dura trois ans et quinze numéros. La réédition française par Akileos mérite donc que l’on s’y attarde. Plusieurs raisons à cela tout d’abord le principe de parler de la guerre de Corée qui se déroule en live de l’autre côté du pacifique. Ensuite de ne pas se restreindre à ce cadre et de proposer des récits qui évoquent aussi bien la guerre des tranchées de 14/18 que la guerre de sécession ou d’indépendance américaine. Harvey Kurtzman avait cette facilité à créer des récits qui prennent vie en quelques cases. Les histoires sont courtes (jamais plus de 8 pages, parfois juste 6) pour autant elles ne négligent aucun des aspects d’un scénario efficace. Chaque historiette débute ainsi par une mise en situation, puis par un déroulé dramatique et s’achève souvent par un enseignement, une petite morale sous forme d’avertissement. Car la guerre n’est pas vraiment propre. Elle change les hommes, les façonne en bête de guerre alors qu’ils sont finalement si peu dissemblable (voir notamment Assaut Ennemi !). Elle les plonge dans des folies sans nom, leur projette des images de mort en cinémascope et en 3D surround. Les cris que l’on ne veut entendre du soldat pris dans les barbelés (Heure H) et qui résonne à fendre les âmes jusqu’à les hanter de façon durable. Harvey Kurtzman passe en revue tous les travers de la guerre. Parler de guerre aurait pu signifier entrer dans les travers des auteurs américains qui exposent parfois avec fierté la puissance d’un pays qui s’est construit dans le sang et qui revendique avec orgueil la mort comme la seule issue possible. Les récits de guerre présentés ici ne virent pas vers ses excès et c’est en cela qu’ils ont traversés les temps pour nous revenir encore plus forts de symboliques. Frontline Combat réédité par Akileos mérite donc que l’on s’y attarde ne serait-ce que pour percevoir une des visions de la guerre qui a influencé nombre de générations futures. Un pavé (230 pages) essentiel, dont on ne regrette que le manque d’introduction, de préambule pour présenter le contexte dans lequel les récits ont pris corps. Un document d’archive de nouveau disponible, donc essentiel !

Frontline Combat – Akileos – 2011 – 26 euros

 


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