Chaque nouvelle édition du festival Quai des Bulles met une personnalité en avant. Cette année, les organisateurs ont décidé de faire porter ce rôle à Clément Oubrerie. Pour un festival ouvert sur la mer, donc sur les voyages lointains, l’auteur du premier cycle des Royaumes du nord, adaptation magistrale du roman de Pullman parue chez Gallimard BD en trois volets, représente le candidat idéal…
Candidat idéal pour porter les couleurs de Quai des Bulles ? Oui car les projets du dessinateur Clément Oubrerie touchent un public cible très diversifié de 7 à 77 ans avec un intérêt constant porté vers l’aventure et les pays lointains. C’est le cas avec Les Royaumes du nord que nous avions chroniqué en 2015 avec en plus une interview vidéo des auteurs (voir notre article), mais aussi avec d’autres de ses projets, Aya de Yopougon en tête (Gallimard BD) adapté en film d’animation (voir ici), ou encore Il était une fois dans l’est (Dargaud) ou son dernier projet Meurtre en Abyssinie (Dargaud).
Le festival lui a donc confié les clefs de la maison. Le dessinateur a d’abord produit le visuel de l’affiche de l’édition 2018. Outre cette belle entrée en matière, l’auteur se voit offert la possibilité de réaliser, ce samedi, un concert de dessins, dans l’Auditorium Chateaubriand du Palais du Grand Large. Quand l’organisation du festival lui demande s’il serait intéressé de s’impliquer dans la programmation de l’édition 2018, l’auteur de Jeangot répond : « Oui, avec plaisir. Est-ce que par hasard vous proposez des concerts dessinés ? Parce que j’ai de très bons amis musiciens, de vraies pointures de Jazz Manouche, je serais content de faire quelque chose avec eux. Ça pourrait tourner autour de Jeangot, mon album biographique sur Django Reinhardt et de Meurtre en Abyssinie avec des standards des années 30. » Une grande soirée en perspective d’autant plus que nous connaissons la capacité de Clément Oubrerie à produire des dessins très expressifs dans un temps contraint.
L’auteur sera aussi bien sûr présent pour ses lecteurs en dédicaces, et ce sur deux stands. Le premier Dargaud pour Meurtre en Abyssinie, le second Rue de Sèvres pour la délirante histoire Cyberfatale composée avec le collectif intriguant de scénaristes Cépanou !
Le dessinateur rencontrera enfin, à 9h45 ce dimanche, le public et répondra aux questions de ses lecteurs. Pas sûr que Clément enchaîne de tels week end toutes les semaines !
Le cahier critique
Deux albums de Clément Oubrerie font l’actualité de la rentrée littéraire de septembre, nous vous les présentons donc pour vous donner l’envie de suivre l’auteur à Saint-Malo ou chez votre libraire !
Lorsque Halé Sélassié est couronné empereur d’Ethiopie en 1930, il règne déjà sur le pays depuis pas mal de temps. Assez pour avoir imposé sa touche et susciter l’attrait des regards venus d’Europe et du monde. C’est dans ce contexte que débarque Renée Stone à Addis-Abeba. La jeune femme est romancière à succès et assister pour elle au sacre, lui permet aussi de se nourrir d’images et de situations à proposer dans ses futurs récits. A son arrivée elle est prise en charge par un de ses compatriotes John Malowan, un archéologue épigraphe spécialisé dans les écritures anciennes. Le premier contact sera à l’image de la relation qui réunira les deux. Lui qui enchaine les maladresses, voire les gaffes, et elle, mystérieuse au tempérament affirmé. John Malowan n’est pas venu seul sur les terres éthiopiennes, un camarade de collège, Alfred Theziger, aventurier réputé, va peu à peu traverser le parcours de John et Renée chez qui il procure un effet immédiat. Le père de John a vécu en Ethiopie des années plus tôt avant d’y être assassiné pour des raisons obscures. Sur ses traces, son fils et Renée Stone vont se retrouver, un peu malgré eux, plongé dans la grande aventure, avec trésors, dangers et émotions…
Rien de mieux pour tisser un récit d’aventure que de partir d’un contexte historique avéré, qui donne une forme de crédibilité au volet fictionnel d’une histoire qui va déroulé des fils parfois improbables. Les accidents heureux ou les facilités scénaristiques peuvent ainsi s’enchaîner avec ce doute qui s’immisce chez le lecteur au point de le faire vérifier, en cours de lecture, certains des éléments servis par les auteurs. Il faut ensuite saupoudrer le récit d’exotisme, de beauté, de dangers, de tout ce qui peut sortir la trame d’une linéarité en rien stimulante. C’est ce que font à merveille Julie Birmant et Clément Oubrerie. Les deux se connaissent depuis pas mal de temps maintenant pour avoir notamment travaillé ensemble sur Pablo dont le premier tome a paru chez Dargaud pour le FIBD de 2012. Ici leur héroïne particulièrement creusée, possède suffisamment d’atouts pour brouiller les cartes. La maladresse de son pendant masculin, archéologue érudit vite perturbé par les évènements qui le touchent, fonctionne à merveille. On retrouve cette saveur d’une époque, les années 30, placées dans un contexte Africain propice aux récits d’aventures, sur des terres encore parfois méconnues dès lors que l’on s’éloigne des grandes villes. Pour un lancement de série nous n’en demandions pas tant. A suivre de très très près !
Julie Birmant et Clément Oubrerie – Meurtre en Abyssinie – Dargaud – 2018
Notre société repose de plus en plus sur le virtuel, sur l’existence d’une vie ou pas sur des réseaux dit « sociaux » qui permettent de dévoiler des pans entiers de personnes qui se prêtent au jeu. Parfois il ne s’agit pas d’un jeu, surtout lorsqu’une photo compromettante du président de la République française se diffuse comme l’éclair sur la toile. Trop tard pour réagir et stopper la diffusion, l’image alimente désormais toutes les conversations sur tous les points du globe. Les services de com de l’Elysée sont donc sollicités pour tenter de redonner un peu de crédibilité au chef de l’Etat et avec lui à la France. Dans ce contexte il faut accepter de donner à voir l’invisible. Un journaliste se voit donc proposé de faire un reportage sur un des sanctuaires de l’Etat, un lieu qui touche à la défense nationale, le Balardgone du ministère des armées. Mais le journaliste ne va pas se révéler aussi serviable qu’espéré. Il sera pris en charge par une bleue séduisante de l’armée de l’air, Aurore Leroux, qui va l’accompagner sur son reportage, laissant d’autres acteurs investis sur des sujets non moins sensibles le soin d’être au sommet de leur art…
Cyberfatale peut se lire comme une grande farce, un terrain de jeu graphique et scénaristique dans lequel les références et les clins d’œil appuyés foisonnent. Une respiration entre deux récits plus sérieux. Il peut aussi se lire comme une critique ouverte de notre société, dans laquelle le virtuel s’impose comme lien social, laissant les relations physiques déchoir irréversiblement. Les auteurs de ce projet gardent pour partie l’anonymat. Car on touche un peu avec Cyberfatale au fameux secret défense, même si nous sommes en droit d’espérer que toute la chaîne des intervenants liée à la défense nationale n’est pas à l’image de celle présentée dans cet opus détonnant. Cépanou, est un trio de scénaristes à l’identité préservée pour leur sécurité. Avec Clément Oubrerie au dessin qui, lui, ne peut pas forcément cacher son identité, son trait étant identifiable entre mille, les trois jouent à l’unisson le registre de la loufoquerie. C’est bourré d’humour, de situations cocasses, de bonne humeur, de dérision et de tout ce sel attaché aux récits qui prennent l’option de ne pas se prendre au sérieux. Cyberfatale reste donc avant tout une histoire qui nous permet de décrocher avec une réalité parfois pas très réjouissante, surtout lorsqu’elle touche aux hautes sphères de l’Etat.
Clément Oubrerie et Cépanou – Cyberfatale – Rue de Sèvres – 2018