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Récits noirs au cœur du neuvième art…

Deux récits sombres, qui suintent le désenchantement, l’audace et cette envie malgré tout de bouleverser les évidences. Succombe qui doit permettra-t-il à Laser Jo de livrer son dernier combat ? Joaquin le jeune homme imberbe arrivera-t-il à déjouer indéfiniment les dures règles imposées par la pègre cubaine au service de la mafia étatsunienne ? Des postulats de départ mais surtout des certitudes qui vacilles, des évidences qui n’en sont plus, bref pas mal de surprises, de mystères pour nous plonger dans le noir. Le noir-noir sans grisaille à l’horizon ou si peu

 Perico1

L.10EBBN001571.N001_SUCCOMBEq_C_FRLa souffrance peut parfois se lire sur une image isolée qui interroge nos imaginaires éveillés. Sur les dits et les non-dits. Ici ce qui s’affiche de façon brutale à nos yeux, c’est cette main ensanglantée dont les phalanges arborent quatre clous plantés. Ce qui reste dans l’ombre c’est l’histoire qui précède la torture, l’acte de mutilation, les raisons tapies dans l’ombre qui ont présidés à l’horrible sentence. La main en question enrubannée dans un strap serré laisse entrevoir au moins une chose : Si l’homme devait être boxeur, cela ne surprendrait personne. Le poing fermé avec force laisse même penser qu’il y aurait un air de revanche à venir. Les destins peuvent parfois opérer des virages à 180°, et sans aucun doute cela sera le cas ici.

Lui c’est Laser Jo, un nom qui hume bon les années disco, avec le strass qui va avec. Un gros baraqué qui gère une casse poisseuse de façon plutôt anarchique. Ayant trouvé repos dans une pile de voiture prêtent à aller se compacter façon Césars, la pluie qui commence à tomber drue traverse la tôle et le réveille. Dans la bâtisse qui jouxte la casse se joue un scénario pas vraiment flamboyant. Des individus mal dégrossis ont pris possession des lieux. Ils viennent d’effectuer un menu larcin dans un village voisin et sont recherchés par toute la flicaille du secteur. A peine arrivé à l’intérieur Laser Jo se trouve pris à parti et ligoté. Mais, peu de temps après et avec une facilité déconcertante, il arrive à se libérer. Une toute autre histoire va commencer…

Des malfrats de pacotille à peine capables de braquer comme il se doit une régie scolaire d’un patelin sans âme, un ex-boxeur, ancienne gloire déchue dont l’ambition n’est pas la marque de fabrique, un lieu sale, sombre, pas sexy pour un sous, des histoires passées pas très roses non plus, voilà ce qu’essaye de nous vendre Antoine Ozanam dans Succombe qui doit. Le postulat de départ pourrait en faire fuir plus d’un. Pourtant c’est tout le contraire qui se produit au fil des planches que l’on parcourt d’abord par curiosité puis par l’envie d’en savoir plus sur les tenants et les aboutissants de cette sombre histoire qui nous réserve une chute à son image, tout à la fois sombre, déglinguée et purement décalée et jouissive. Les dialogues ciselés au cordeau, fouettent l’air. Ça ne s’embarrasse pas de formes et tant mieux. C’est du tac au tac, cru, acerbe, vif, qui tranche sec dans le jambon. Le dessin de Rica se fait lui aussi à l’image de cette histoire, incisif, expressif, sombre et toujours à la recherche du meilleur plan pour servir la trame. Dire que cet album est maitrisé et jouissif peut paraître bien mince au regard du plaisir que l’on prend à le dévorer…

Ozanam/Rica – Succombe qui doit – Casterman/KSTR – 2014 – 16 euros

 

PericoDans le Cuba des années 50 des destins vont se croiser, se confondre sous une chaleur torride et l’œil d’une mafia locale tout droit pilotée depuis les Etats-Unis. A la sortie du Sans souci, un club-casino comme il en existe que trop sur l’île placée sous le joug de Batista, un homme prend un taxi direction l’aéroport. Puis tout s’enchaine assez vite. Regards échangés dans le rétroviseur avec le chauffeur, coups de feu et une mallette dérobée. Qui ose s’en prendre à l’une des institutions locales qui vient, par l’intermédiaire d’hommes de mains, blanchir des dizaines de milliers de dollars sur l’annexe nocturne des Etats-Unis ? Nous le saurons plus tard… Une île où la prostitution, l’alcool, les joutes nocturnes sont monnaie courante. Lui c’est Joaquin, un jeune homme bien rangé, un brin naïf, qui n’a visiblement que peu connu la vie. Groom au Sans souci il va côtoyer la pègre jusqu’à se brûler les ailes. Tombé amoureux de la belle Elena, chanteuse de façade, offerte par le président de la République Dominicaine voisine et pute du patron du club, le redouté Santo Trafficante, le jeune homme va prendre une trajectoire qui aurait bien pu le pousser vers la sortie de piste rapide… En effet, non content d’aider son frère à dérober l’argent blanchit au casino – tient, tient les choses s’éclairent – il va oser approcher la belle Elena au point de lui promettre la lune à Hollywood. Mais avant de débarquer en Californie, les deux jeunes gens vont devoir silloner les routes depuis la Floride sur plusieurs milliers de kilomètres. Y parviendront-ils ? rien n’est moins sûr surtout que des surprises les attendent au détour du chemin…

Perico inaugure une nouvelle collection noire de l’éditeur Dargaud. Une collection un brin particulière puisqu’elle est placée sous le patronage du dessinateur Philippe Berthet qui dessinera l’ensemble des projets. Pour ce premier volet c’est le scénariste Régis Hautière qui nous amène dans le Cuba pré-castriste. Une sombre histoire mettant en scène la pègre locale et des héros semblent-ils dépassés qui vont pourtant déjouer pas mal de pièges. Les ficelles du roman noir sont maîtrisées, le cadre, lui, est omniprésent, voire envoutant. Car le Cuba des années 50 c’est (déjà) une explosion de couleurs, une architecture qui impose sa touche, des nuits longues où tout est possible, mais surtout le pire. Les deux auteurs s’y immiscent avec une facilité déconcertante, faisant du cadre un personnage à part entière. Le plaisir de Berthet à choisir ses cadres, à composer cette musique lancinante cubaine, tout à la fois forte d’espérances et coincée dans une torpeur alimentée par une violence maintenue par la pègre locale, est communicative. Au final cette histoire ne réinvente pas le récit noir mais laisse planer de doux effluves, des mystères et des déraisons qui donnent aux deux fuyards un caractère, une facette qui parait bien plus complexe que celle affichée au premier abord. Rien que pour cela la lecture de ce premier volet appelle le second à sortir dès septembre… Une réussite !

Hautière/Berthet – Perico T1 – Dargaud – 2014 – 14,99 euros


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