Le vendredi nous vous proposons de découvrir un album à partir de sa couverture qui, en tant que premier visuel du projet, donne souvent pas mal d’informations qu’il faut savoir interpréter !
Une couverture partagée en deux dans l’horizontalité par une montée édifiante des eaux. Pas la simple inondation qui peut voir entrer des coulées d’eau et de boue dans les habitations. Il s’agit plutôt dans le cas présent d’une lâchée d’eau, comme si un barrage avait soudainement rompu déversant des mètres cubes d’eau par centaines de milliers. Nous sommes près d’un charmant village construit sur un promontoire naturel avec des maisons échelonnées en étages. Plus bas les eaux ont pris possession de la campagne environnante. Une église, un pigeonnier, des maisons, un pont et pas mal de terres agricoles se voient entièrement recouverte par cette catastrophe naturelle. Dans ce paysage, quelques poissons d’eau douce, heureux de disposer d’un territoire plus vaste, déambulent dans un environnement qui semble les surprendre. Mais la scène ne s’arrête pas là. A la surface des eaux flotte une charrette qui doit appartenir à un marchand ambulant. Sur la bâche qui la recouvre il est possible de lire « Smith Tout pour tous ». A la manière des marchands opportunistes du paysage ouest américain du dix-neuvième siècle triomphant les promesses sont là mais la qualité du produit peut-être un peu moins. A la place avant de la charrette, là où se pose généralement le chauffeur se trouvent un raton-laveur et un jeune renard qui scrute l’horizon à la recherche de quelque chose ou de quelqu’un. Sous les eaux un autre personnage apparait tout de noir vêtu, yeux ouverts, doigts acérés. Pas très avenant au premier abord… Le titre du livre « L’Ogre amoureux » porte à croire qu’il s’agirait bien de notre ogre. Un ogre pas très impressionnant par son ventre rebondi, ou sa grande taille, mais un ogre d’un genre peut être nouveau, vorace… et amoureux. Nous n’en saurons pas plus avant de tourner les premières pages…
Tout commence par une scène surprenante dans laquelle un renard et son ami ours se rapprochent dangereusement du village, pas encore sous les eaux, dont il est question en couverture. Si l’ours se fait très réservé sur cette virée proche des habitations des humains, le renard y voit quant à lui l’opportunité de trouver quelques poules dodues dans un village qui respire l’opulence. Alors qu’il tente de s’approcher d’un poulailler plutôt bien fourni en gallinacés, notre renard se voit pris au piège d’un fermier qui veille au grain et l’assomme avant de l’attacher dans un des bâtiments de la ferme. Le lendemain le fermier se dirige vers le château perdu en pleine forêt d’un ogre vorace à qui il doit livrer un large tribu. Dans sa cargaison le renard occupe une place de choix…Mais notre ogre a son avis sur les renards qu’il juge futés et va demander à celui qui lui est présenté de l’accompagner pour l’aider à choisir une femme… Pas une mince affaire tant notre ogre n’inspire pas la confiance.
Nicolas Dumontheuil avait livré une superbe adaptation de La forêt des renards perdus d’Arto Paasilinna il y a tout juste deux ans chez Futuropolis. Il nous revient avec un conte particulièrement incisif et jubilatoire dans lequel un ogre va se confronter au regard des autres afin de trouver une femme comme chaussure à son pied. L’homme n’a pas un physique facile et ses penchants pour l’ingurgitation rapide et sans préavis des personnes qui contestent sa vision des choses ne va pas arranger son affaire. C’est lors d’une grande garden party organisée par le baron Feuillade que notre ogre va tenter sa chance de manière parfois un peu insistante. Mené sur un rythme d’enfer L’ogre amoureux regorge d’idées, de clins d’œil, de légèreté et de profondeur, d’un humour constant qui sont autant d’ingrédients sur lesquels joue Nicolas Dumontheuil pour alimenter son récit. Les personnages possèdent une profondeur, des manies et des attitudes qui permettent au lecteur de les suivre avec cette envie de connaitre quel sera le devenir de chacun, dont l’un des plus probable reste, malgré les efforts de notre ogre, de finir dans son estomac jamais rassasié. Un projet subtil et d’une grande efficacité !
Nicolas Dumontheuil – L’ogre amoureux – Futuropolis – 2018