A une époque où les lecteurs se font plus discrets, lancer une maison d’édition n’est pas mince affaire. Il faut d’abord parvenir à identifier un marché porteur, un pan de l’édition encore peu ou pas exploré et donner à lire les textes dans des éditions que le lecteur aime garder en main. Conjuguer le prix et le bel objet. C’est ce que réalise depuis un peu plus de dix ans maintenant Thierry Fraysse au sein de Callidor qu’il a fondé en 2011. En décidant de (re)donner vie aux précurseurs de la fantasy, il accomplit non seulement un travail patrimonial important et essentiel, mais parvient aussi à faire découvrir les auteurs qui ont inspirés Tolkien ou Lovecraft, dans des éditions complétées d’illustrations immersives. Rencontre avec un éditeur qui fourmille d’idées !
J’ai fait mon entrée dans l’univers d’Arthur Machen par le biais de La colline des rêves au début des années 2000. L’influence de ce texte, qui ouvrait déjà sur un monde parallèle, ne devait jamais s’effacer, et, bien plus tard, quand en remontant dans la bibliographie de l’auteur je me lançais dans la lecture du Grand Dieu Pan, je retrouvais cette manière typique chez l’auteur gallois de mener son récit. En surfant sur les atmosphères qui oscillent entre réalités fragiles et chimères toujours plus prenantes et prégnantes, et en jouant sur les indices laissés ici et là, Machen laisse vagabonder l’imaginaire de son lecteur pour le prendre dans ses griffes et ne le relâcher qu’à la dernière phrase. Le texte a été plusieurs fois réédité depuis sa première traduction par Paul-Jean Toulet en 1901, signe que l’intérêt pour ce roman court ne s’effaçait pas forcément chez les éditeurs.
Les éditions Callidor, ancrées dans la fantasy patrimoniale, éditent au travers de leur collection Collector des textes qui, tous genres confondus, se sont imposés dans l’imaginaire collectif. Elles le font en proposant des livres-objets d’une beauté formelle qui ravi collectionneurs et amoureux des belles choses. Chaque parcelle de page, des ouvertures de chapitres en passant par l’appareil critique, les préfaces et les postfaces (ici Guillermo del Toro, Jorge Luis Borges et S. T. Joshi – excusez du peu) regorge ainsi d’attentions particulières. Complétées par des illustrations superbes qui soutiennent véritablement le texte, Samuel Araya sur Le Grand Dieu Pan et Le Roi en jaune, chacune des références s’inscrit dans la durée, celle qui veut qu’une fois lu, le livre ne soit pas simplement déposé entre deux autres dans une bibliothèque fournie, et jamais repris en main, mais qu’il appelle justement à de nouvelles manipulations, à une redécouverte, à de nouvelles envies.
A noter que le texte du Grand Dieu Pan et suivi, pour cette édition, de La lumière intérieure, de L’histoire du cachet noir, de L’Histoire de la poudre blanche et de La Pyramide de feu. Quatre raisons de plus de se procurer cette indispendsable édition.
Arthur Machen – Le Grand Dieu Pan – Editions Callidor – 2023 – 35 euros
Rencontre avec Thierry Fraysse
Peux-tu nous dire ce qui t’a poussé à te lancer en 2011 dans l’aventure éditoriale de Callidor ?
Thierry Fraysse : Je crois que j’avais envie de combler un manque du marché éditorial français, à savoir celui de retrouver et de publier des auteurs précurseurs du genre de l’imaginaire. J’ai été très nourri par cette littérature et particulièrement par la fantasy. A cette époque-là je découvrais tous les précurseurs du genre qui n’étaient pas forcément traduits ou qui n’étaient plus tellement mis en avant sur le marché français et je me suis dit qu’il y avait toute une collection à monter autour de ces pionniers. Sweeney Todd, mon premier titre, n’était pas inscrit dans la fantasy mais il me permettait de faire un galop d’essai, de mettre un pied dans le milieu de l’édition, de rencontrer beaucoup de gens et de faire, aussi, énormément d’erreurs. Ce n’est que quatre ans plus tard que je me suis lancé dans la fantasy, avec la même force que celle qui m’avait animé sur Sweeney Todd. Cela s’est matérialisé par la sortie de trois titres qui ont lancés la collection « L’âge d’or de la fantasy », Lud-en-Brume de Hope Mirrlees, Le Loup des steppes de Harold Lamb et Les Habitants du mirage d’Abraham Merritt. Ces titres montraient une pluralité de styles, un côté américain avec la sword and sorcery et une écriture très littéraire et beaucoup moins populaire, comme on peut le découvrir avec Lud-en-Brume qui préfigurait finalement ce qui allait voir le jour peu de temps après avec Tolkien.
D’où te viens cet intérêt pour cette littérature et comment l’as-tu découverte ?
TF : À l’université j’ai eu des cours sur les influences littéraires qui m’ont tout à la fois beaucoup marqué et accompagné. Par exemple que serait devenu Hugo sans Chateaubriand ? J’ai assimilé ces cours de littérature générale et je les ai retranscrits dans les littératures de l’imaginaire que j’avais découvertes avec David Gemmell lorsque j’avais une douzaine d’années. Je me suis alors posé la question des influences de l’auteur sur Le Cycle de Drenaï ou sur Troie. Cela m’a amené très vite à Moorcock puis à Robert E. Howard et à Harold Lamb. J’ai procédé de la même manière sur la fantasy avec Tolkien. Qu’aurait-il inventé comme univers s’il n’avait pas lu William Morris, s’il n’avait pas eu accès à Lud-en-Brume de Hope Mirrlees, à George MacDonald ou E. R. Eddison ? Cela m’a donné une sorte de vivier d’auteurs qui ne sont pas connus en France et pas traduits pour la plupart, mais qui sont restés des classiques en Angleterre et aux États-Unis. Des auteurs qui sont toujours mis en avant dans les pays anglo-saxons parce qu’ils sont des classiques de l’imaginaire. A partir de là j’ai étudié en détail cette littérature dans deux mémoires en M1 et en M2, et je me suis dit qu’il était peut-être temps de remettre en avant tous ces auteurs. En 2016, Lud-en-Brume a obtenu le prix Elbakin du meilleur roman fantasy traduit alors que le roman est sorti en 1926. Le texte était tellement moderne qu’il a pu rivaliser avec des œuvres d’aujourd’hui et gagner cette récompense. Un noyau dur de lecteurs a commencé à se former et cela m’a poussé à continuer. Ce qui est d’autant plus intéressant avec cette littérature c’est qu’elle est dénuée de l’influence de Tolkien là où, aujourd’hui, la fantasy, consciemment ou pas, a cette espèce d’épée de Damoclès au-dessus de la tête qui guide un peu ses choix.
D’où te viens cette idée de proposer, en plus des textes, des illustrations parfois d’époque qui viennent enrichir le texte ?
TF : Je viens du secteur de la bande dessinée et j’ai notamment participé à développer une collection de beaux livres pour Urban Comics, des monographies, au sein desquelles l’image n’est pas seulement illustrative mais possède un rôle narratif. Je trouvais très intéressant de lier les deux au sein d’une maison d’édition. Je me suis donc posé la question de savoir quels titres méritaient le plus d’être illustrés sinon les classiques. Je mets en avant des auteurs qui sont certes, pour la plupart, inconnus en France mais qui méritent, notamment parce qu’ils ont traversé l’érosion du temps, d’être mis en avant différemment. Et cette différence passe pour moi par l’illustration. Cela permettait de montrer aussi que, même si on a un texte qui est d’un autre temps, l’illustration qui est un genre assez proche de l’imaginaire et notamment en fantasy, peut apporter une touche de modernité. Au-delà de ça il y avait l’objectif d’éditer de beaux livres, des livres-objets à offrir, que l’on puisse retrouver sur les tables des libraires à Noël. C’est quelque chose qui m’importe beaucoup parce que pour moi le livre est aussi avant tout un cadeau. Il y a une idée de partage, même si la lecture est une activité solitaire.
La collection qui suit, « Collector », s’inscrit dans cette ligne avec de beaux livres cartonnés richement illustrés. A une époque où le prix du papier n’arrête pas de grimper, vois-tu cette collection comme une niche dans laquelle les amoureux de livres-objets et les collectionneurs vont se retrouver ou bien penses-tu qu’elle puisse intéresser au-delà des cercles de bibliophiles ?
TF : Collector a vu le jour en 2020. J’ai profité de la sortie de L’appel de la forêt au cinéma avec Harrison Ford, pour essayer de trouver un élan et un écho que je puisse faire passer au sein de cette collection en publiant le texte de Jack London sur des illustrations du Tchèque Mirko Hanak, décédé en 1971 [Jack London – Croc blanc suivi de L’appel du grand nord illustré par Mirko Hanak a été publié en 1968 aux Editions de la Renaissance]. Ce qui m’intéresse avec cette collection c’est d’essayer d’aller chercher des illustrateurs oubliés. Il y a vraiment une envie de ma part de remettre en avant certains artistes qui étaient très en avance sur leur temps et qui méritent aujourd’hui de retrouver une place en librairie. L’appel de la forêt sort début 2020, au moment où arrive le COVID, et où le prix du papier augmente très fortement. C’était très difficile de se lancer dans une collection collector qui met du très beau papier en place et qui, de fait, est très difficile à tenir en termes de prix, d’autant plus à une époque où on n’arrête pas de parler de pouvoir d’achat. C’est un non-sens mais, même s’il y a une dimension numérique qui prend le dessus sur le papier, j’ai l’impression qu’il y a aussi une sorte de retour à la source de la part des lecteurs. Un peu comme nous avons pu le voir durant la pandémie – avec cette envie de certaines personnes de sortir des grandes métropoles pour aller s’installer dans les secteurs ruraux -, on observe un phénomène de retour au papier de la part des lecteurs, qui passe par un attrait pour l’objet-livre. Ce côté très immersif, à travers de beaux livres illustrés, en couleurs, sur du beau papier, qui peut se voir comme un retour vers la bibliophilie du début du 20e siècle, je le considère comme quelque chose de très intéressant pour le lecteur. Il y a aussi une volonté de lire les classiques différemment car ils ne sont diffusés aujourd’hui en France qu’à travers des livres de poche ou sur Internet de façon gratuite. Cela conduit au fait que, malheureusement, certains textes importants pour plein de lecteurs n’ont pas d’écrin à leur juste valeur. Je pense notamment à Salammbô qui était le deuxième titre de la collection Collector, qui est paru en 2022. Salammbô est un texte qui m’a beaucoup marqué quand je l’ai lu lorsque j’avais une quinzaine d’années en cours d’histoire. A ce moment-là tous les élèves avaient vu ça comme une punition, en se disant : Flaubert on connaît un peu avec L’éducation sentimentale ça va vraiment être compliqué. Je suis tombé dans ce texte, qui ne m’a jamais quitté, en le lisant en poche dans je ne sais plus quelle édition, sans doute celle de Garnier Flammarion et j’y ai vu comme une forme de parenté avec la proto-fantasy. Ce texte ne bénéficiait pas d’une belle version illustrée c’est pour ça que je suis ravi de pouvoir le proposer à des lecteurs qui voulaient le découvrir ou le redécouvrir dans un format différent. J’ai ce titre dans ma besace depuis 7/8 ans. J’ai découvert le travail de Suzanne-Raphaële Lagneau, l’illustratrice de Salammbô, en 2014 et, depuis cette date-là, j’attendais le bon moment pour la remettre en avant, pour trouver un créneau disponible pour faire le plus beau livre qui soit sur un texte qui est fondateur de l’imaginaire, tout en remettant en avant une illustratrice française tombée dans l’oubli.
Comment as-tu travaillé justement sur ce livre et sur ces illustrations ? Cela supposait-il un travail de numérisation et de retouches ?
TF : Suzanne-Raphaële Lagneau faisait partie de cette espèce de pôle d’illustrateurs, d’artistes du début du vingtième siècle qui ont connu leur heure de gloire dans les années 20/30 en illustrant des classiques, notamment pour la maison d’édition Henri Cyral dont j’essaie de suivre le modèle. C’est chez cet éditeur que sort Salammbô en 1928 avec 70 illustrations en couleurs de Suzanne-Raphaële Lagneau. L’idée était d’essayer non pas de retrouver les illustrations originales qui sont évidemment introuvables aujourd’hui, mais de mettre la main sur une édition de l’époque. En relisant cette édition illustrée j’ai vu que ça fonctionnait à merveille. J’ai donc utilisé un scanner de très haute qualité pour numériser les illustrations de Suzanne-Raphaële Lagneau, qui sont réalisées au pochoir – donc sans trame sur le papier – une technique assez extraordinaire qui n’est plus utilisée dans l’édition. Tout le travail a consisté à effectuer des retouches notamment sur le cadre de l’image, sur les couleurs et sur la trame qui n’existait pas. Mon graphiste Cyril Terrier, qui est le directeur artistique de Callidor, a ainsi tenté de s’approcher des couleurs avant-gardistes de 1928, réalisées uniquement d’à-plats. Nous sommes vraiment dans une anticipation de la ligne claire que l’on retrouvera dans la bande dessinée des années 50 et 60. Une fois que nous sommes parvenus à ce que nous voulions au niveau de la chromie, des cadres, on a pu mettre le texte en maquette et le développer dans la collection « Collector ». Là où je suis très satisfait c’est que ce travail long et intense de photogravure mené sur 70 illustrations a permis de remettre en avant une illustratrice injustement oubliée.
On le voit notamment sur les derniers titres que tu as édités, le travail sur les couvertures est essentiel, et participe à ce que tu évoquais tout à l’heure, à savoir un intérêt pour développer un bel objet. On retrouve cette idée chez des éditeurs comme Monsieur Toussaint Louverture. Est-ce important pour toi de travailler « l’emballage » d’autant plus sur des auteurs à (re)découvrir ?
TF : Aujourd’hui dans l’édition il y a un chiffre qui est très marquant à savoir que 60 % des ventes d’un livres se font sur la couverture. En librairie, malheureusement pourrait-on dire, la couverture est très importante pour attirer le lecteur et le libraire vers un titre sur lequel ils ne se seraient pas forcément arrêtés. Je vois la couverture comme un élément primordial de l’édition et je ne pense pas que l’on puisse faire fi de cet impact considérable. Je vois le travail sur la couverture comme un travail d’orfèvre et c’est pour ça d’ailleurs que je me suis allié à Cyril Terrier qui possède une vision de ce qui peut jouer sur la décision d’un lecteur de s’immerger ou pas dans un livre. Au-delà je me suis aperçu que les illustrateurs avec lesquels j’ai un affect assez fort ont un intérêt décuplé pour la couverture parce qu’ils savent qu’ils peuvent marquer l’esprit d’un lecteur ou d’un libraire et que c’est à ce moment-là qu’il faut sortir le grand jeu.
Certains éditeurs en bande dessinée font appel à des illustrateurs spécialisés dans ce travail de couverture…
TF : Je le vois en effet au-travers de mon travail pour le comics, puisque l’illustrateur du récit n’est pas forcément celui de la couverture. Ça dépend évidemment des titres mais il arrive fréquemment que l’illustrateur de couverture soit celui qui a travaillé sur une illustration ou une couverture alternative d’un épisode qui est contenu au sein du comics lui-même. En bande dessinée le dessin et l’illustration représentent deux métiers différents. Tous les dessinateurs ne sont pas illustrateurs et tous les illustrateurs ne sont pas dessinateurs. Il y a aussi une autre particularité qui est très importante, c’est la cohérence au sein d’une série ou d’une collection. On va ainsi confier les illustrations à un seul illustrateur pour que les lecteurs et les libraires sachent où ils mettent les pieds. D’entrée de jeu ils sauront que telle bande dessinée appartient par exemple à l’univers Soleil. Je pense à cet éditeur car il a cette force notamment sur des séries comme Elfes, Orcs & Gobelins et Nains. Les couvertures de chacune de ces séries sont illustrées par un même dessinateur qui va donner une forme d’homogénéité à l’ensemble. Il y a cette volonté je pense chez les éditeurs de retrouver une cohérence au sein même d’une collection, d’une série.
Sur des livres comme ceux de la collection « Collector » n’as-tu jamais été tenté de sécuriser les coûts par un recours à des crowdfundings ?
TF : Oui, le crowdfunding est quelque chose qui me tente énormément, mais qui demande énormément de temps et d’énergie. Cela pourrait totalement se justifier pour une maison comme la mienne. J’y réfléchis beaucoup pour la suite parce qu’en effet c’est une façon de sécuriser un peu le lectorat même si c’est aussi quelque chose qui ne doit pas être répété à outrance. Car je pense qu’il est important que le libraire soit partie prenante dans la diffusion d’un titre, en tout cas j’y tiens beaucoup. J’ai un très bon rapport avec les libraires avec lesquels je travaille et je pense que les libraires voient les crowdfundings comme une façon de les mettre hors-jeu. C’est donc quelque chose qui doit être fait avec parcimonie, qui nécessite une réflexion sur l’auteur qu’on met en place ou sur la collection que l’on veut mettre en avant.
Peux-tu nous donner des chiffres sur l’évolution des ventes, sur les tirages ?
TF : Il y a un aspect que je n’ai pas encore évoqué et qui est très important, c’est la diffusion. La diffusion des titres Callidor a été malmenée, compliquée au début parce que j’étais en autodiffusion-autodistribution. C’est moi qui, en 2011, avec mon sac sous le bras rempli de Sweeney Todd, allais voir les libraires un par un pour tenter de les convaincre de prendre mes livres pour les mettre en avant et essayer de les vendre. J’ai procédé de cette façon pendant plusieurs années jusqu’à ce que je rencontre, il y a quatre ou cinq ans de cela, Dystopia qui est devenu mon diffuseur/distributeur. Cela m’a permis de franchir un cap. On travaillait sur le même réseau de libraires, mais lui les connaissait beaucoup mieux que moi, ce qui a permis d’avoir des placements en librairies plus importants et surtout un suivi plus efficient. C’est un travail très fastidieux, très chronophage d’appeler chaque libraire un par un pour essayer de défendre une sortie et ce n’est pas mon cœur de métier de gérer les retours, la facturation… Il y a deux ans, fin 2021/début 2022 j’ai franchi un autre pas en intégrant le collectif Anne Carrière qui a développé un collectif dans lequel se regroupent plusieurs maisons qui bénéficient du même réseau de diffusion (Média diffusion) et de distribution (MDS). Ça m’a permis d’avoir très vite une diffusion beaucoup plus large et de nombreux libraires et lecteurs ne m’ont découvert qu’à ce moment-là alors que Callidor existe depuis 2011. J’ai également pu bénéficier d’un soutien financier important qui m’a permis d’opérer, en m’associant à Cyril Terrier, une refonte de l’ensemble des collections et de la charte graphique, notamment pour la collection « L’âge d’or de la fantasy » avec ce dos en couleur noire et cette dorure qui apparait sur les couvertures de chaque titre. Tout cela s’est accompagné d’une production accrue, puisque d’un à deux titres par an entre 2011 et 2021, je passe désormais à cinq à six titres depuis 2022. Ce travail porte ses fruits aujourd’hui puisque les lecteurs sont au rendez-vous. Et, grâce à cette diffusion nationale et même internationale, je peux faire connaître mes titres et les précurseurs de l’imaginaire à des lecteurs qui ne les connaissaient absolument pas avant.
Tu attaches une importance aux préfaces et à un appareil critique qui vient contextualiser chaque titre, c’est le cas notamment pour le dernier livre de la collection « Collector », Le Grand Dieu Pan ainsi que pour Le visage dans l’abîme. Comment travailles-tu sur ces aspects et en quoi sont-ils importants pour toi ?
TF : Proposer Le Grand Dieu Pan d’Arthur Machen dans la collection Collector me tenait à cœur, ainsi qu’à Samuel Araya, l’illustrateur. Et nous avions tous les deux l’envie de continuer à travailler ensemble après Le Roi en jaune. Nous nous sommes alors questionnés sur le titre que nous pourrions sortir. Un titre qui devait s’inscrire dans la littérature fantastique et notamment la Weird fiction, comme elle était appelée à la fin du dix-neuvième et au début du vingtième siècle. Tout de suite le nom de Machen a été évoqué et nous avons porté notre choix sur Le Grand Dieu Pan, un classique des classiques de la littérature fantastique qui a été très important pour le développement du genre et de Lovecraft entre autres. Comme pour tous les titres Callidor l’intérêt pour moi est aussi de proposer un appareil critique assez fort dans le sens où il me semble toujours très important de contextualiser, à travers des postfaces, des introductions, l’importance d’un titre pour l’époque et pour la littérature de façon générale. Arthur Machen a influencé énormément d’auteurs au premier rang desquels se trouvent Lovecraft ainsi que des auteurs plus modernes, plus ancrés dans le 20e siècle, comme Jorge Luis Borges dont j’ai repris en postface une introduction qu’il avait rédigée pour une édition parue dans les années 70/80. Cela a été l’occasion pour moi de ramener ce nom très important de la littérature fantastique qu’est Jorge Luis Borges. Et c’est la même chose avec S. T. Joshi qui est le plus grand spécialiste de Lovecraft qui ne peut pas ne pas reconnaître Machen comme l’un des pères fondateurs du genre et l’un des pères spirituel et littéraire de Lovecraft. Il se trouve que Guillermo Del Toro avait écrit une préface pour Penguin books qui avait édité un recueil des textes de Machen en 2011 dans sa collection de fantastique noir. J’ai donc contacté l’éditeur pour savoir s’il était possible de traduire pour la première en français cette introduction de Guillermo Del Toro. Ce qui est intéressant c’est que Guillermo est souvent vu comme un cinéaste de genre, de weird fiction. C’est lui qui a adapté Hellboy au cinéma, et a réalisé Le Labyrinthe de Pan en 2006. L’influence de Machen sur son travail est évidente. C’est un peu une fierté pour moi d’associer ces grands noms de la littérature, du cinéma, de la culture populaire à des œuvres classiques comme celle du Grand Dieu Pan.
Peux-tu nous dire deux mots sur 2024, nous donner un ou deux titres sur lesquels tu travailles en ce moment ?
TF : Comme je le disais tout à l’heure je pense sortir six titres en 2024 mais plus en fin d’année car c’est la période où paraissent les beaux livres, et où, justement, les livres-objets, les livres-cadeaux sont mis en avant. En revanche en mars prochain paraîtra Lilith de George McDonald, qui est considéré, par certains, comme le fondateur de la fantasy moderne, avec notamment son titre Phantastes, écrit et publié en 1858. Lilith est un titre fondateur de la fantasy, mais une fantasy un peu particulière, très sombre, qui a beaucoup inspiré C. S. Lewis, l’auteur du cycle de Narnia…
Entretien réalisé le 30 octobre 2023