En 2009 sort chez Flammarion le remarqué Rock Strips. Le principe est simple : présenter au travers d’une biographie succincte et quelques planches dessinées, la vie des stars les plus influentes dans l’histoire du rock. Des groupes mythiques, passés à la postérité, se voyaient ainsi présentés sous la plume de Vincent Brunner, instigateur de ce projet, et les crayons plein de verve de quelques dessinateurs qui ont bien voulu relevé le défi. The Rolling Stones, The Beatles, Pink Floyd, AC/DC, Metallica, Radiohead et bien d’autres encore, ainsi que les incontournables Elvis Presley, Jimi Hendrix, David Bowie, Elton John, Iggy Pop, Nick Cave formaient le noyau dur des artistes présentés dans ce gros volume. Mais des interprètes manquaient indéniablement à l’appel, c’est le lot commun de toute compilation ou anthologie. Poussé par le succès de cette expérience et l’envie de compléter cette première livrée, Vincent Brunner nous propose donc, pour cette rentrée 2011, toujours chez Flammarion, un Rock Strips come back au moins aussi passionnant que son grand frère. Et pour cause, les amoureux du rock, ceux qui, experts ou amateurs avertis se gorgent de musique, casque vissé sur la tête et baladeur en bandoulière, retrouveront pour ce second volet des artistes peut-être moins médiatisés mais tout aussi essentiels au développement et à la reconnaissance de ce courant hérité des années 60. Bob Dylan, Johnny Cash, Alice Cooper, Bob Marley, Tom Waits ainsi que The Velvet Underground de Lou Reed, Sonic Youth, The Who, the Smashing Pumpkins partagent les pages de ce nouveau volume. Et les frenchies ne sont pas oubliés puisque Gainsbourg, Bashung, Brigitte Fontaine, Mano Negra sont présentés eux aussi dans cet ouvrage. Chaque portrait est agrémenté d’une sélection (playlist) de tubes et d’une discographie sélective. Rien de bien envahissant mais des repères pour redécouvrir un artiste ou un groupe et revivre des émotions vécus en live ou non. Avec ce come back, Rock Strips, avec Vincent Brunner aux manettes et des dessinateurs inspirés (Loustal, Charles Berberian, Mathieu Sapin, Florence Dupré la Tour, Frederik Peeters, Sébastien Lumineau, Frantz Duchazeau…) poursuit un travail de présentation et de vulgarisation d’une musique qui résiste aux nouveaux courants et à la médiatisation à outrance de stars pop plus enclines à remplir leur portefeuille que de participer à développer un courant ou une musique. Le rock ne transigera jamais sur ses valeurs, sur ses travers aussi qui participent à le singulariser. Loin d’être racoleur il poursuit sa route, pour de nombreuses décennies encore…
Rock Strips come back – sous la direction de Vincent Brunner – Flammarion – 2011 – 25 euros
Claude Chastagner, professeur de civilisation américaine à l’Université Paul-Valéry de Montpellier, travaille à l’analyse du mouvement rock depuis un certain temps déjà. De la culture rock qu’il nous livre pour cette rentrée 2011 ne va pas manquer de faire réagir certains adeptes de cette musique. Et pour cause, l’universitaire tente dans cet ouvrage très documenté, de décortiquer les liens qui unissent ou rapprochent le rock – cette musique souvent décrite comme « anti-sociale », tout du moins rebelle et vindicative quant à la société dans laquelle ceux qui la compose évoluent – et le capitalisme. Un sujet polémique s’il en est qui se doit d’être présenté ici. Pour Claude Chastagner deux théories s’opposent dans la lecture de la nature, des moyens et de la portée du rock. Celle des radicaux pour qui les musiques en colère sont porteuses d’espoir, en ce sens qu’elles réveillent les consciences, radicalisent les indécis, poussent à l’action. Et celle des postmodernistes pour qui La rébellion rock n’est qu’une coquille vide, une machine à émotions sans profondeur ni substance, rendant impossible tout engagement social véritable. Claude Chastagner se refuse d’adhérer à l’une ou l’autre de ces lectures, car cela serait réducteur et surtout n’inscrirait pas cette musique dans le mouvement de l’histoire. Le Rock et l’économie ne seraient-ils pas liés dans leur mode de fonctionnement et leur structure même ? Pour l’auteur, rock et commerce ne vont pas l’un sans l’autre. Ils se nourrissent, se complètent autant qu’ils sont antinomiques. Si rapport il y a entre capitalisme et musique rock il se lit dans la philosophie même de ses mouvements. Car l’un comme l’autre tombe rapidement dans l’excessif. Mieux ils se targuent d’un slogan commun et affiché avec verve : « Tout, tout de suite ». Les deux mouvements suivent donc une même ligne, une même direction mais de manière parallèle. Les deux formes, capitalisme et culture rock, apparaissent comme étant (…) consubstantielles. Elles sont adoptées par des individus finalement très semblables, à partir des mêmes désirs et des mêmes frustrations. Les désirs de liberté, de transgression, d’innovation et d’inventivité est donc commun au rock et au capitalisme ; c’est dans ce noyau dur de « valeurs » et de repères à atteindre pour forger son identité qu’ils se rapprochent sans pour autant se compromettre. Car de la compromission naîtrait aussi et de facto la perte de cette valeur fondatrice de liberté. Pour autant, nous sommes en droit de nous questionner sur ce phénomène étrange qui voit nos sociétés, fragilisées économiquement et tendues sociologiquement, résister à l’implosion qui semble être sa seule issue possible. Au regard de cela Claude Chastagner s’interroge à juste titre d’ailleurs : Dans quelle mesure la culture rock, travaillée par une ambivalence structurelle, où tout à la fois s’exacerbent l’indifférenciation et la normalisation et où s’origine, via l’affirmation de l’individualité créatrice, une résistance au nivellement, participe-t-elle au processus de désamorçage de la bombe ?
Et si l’impact du rock ne devait finalement pas se lire d’un point de vue global mais individuel ? S’il n’a pas révolutionné ou fait implosé la société dans laquelle il se développe de manière toujours plus efficace, propulsé qu’il est par le téléchargement ou le transfert de fichiers, s’il n’a pas poussé à l’insurrection collective qu’il prône parfois comme moyen de réaffirmer sa propre liberté au sein d’un monde qui tue progressivement et inéluctablement l’individu, tout du moins aura-t-il permis à ceux qui s’en nourrissent d’accomplir des épanouissements personnels, des rébellions intimes, des transgressions privées, des révoltes singulières que les musiques rock les plus excitantes et les plus personnelles ont déclenchés. Non le rock n’est pas mort, il arrive toujours à nous émouvoir, il sera toujours porteur du même message, mais peut-être faudra t-il aussi le lire différemment ? c’est le message que lance Claude Chastagner dans cette étude qui apporte indéniablement matière à réflexion et s’affiche donc comme essentielle.
Claude Chastagner – De la culture rock – PUF – 2011 – 23 euros