Une ruelle sombre au crépuscule. En plein hiver. Un homme y découvre une femme gisant sur le sol. Elle a visiblement été rouée de coups. Il la recueille chez lui afin de la soigner. Il cherche à comprendre ce qu’il lui est arrivé.
La femme – Joe – se met à lui faire le récit de sa vie, à la manière d’une confession. Elle s’est auto-diagnostiquée nymphomane. Sous les yeux de l’homme – Seligman – Joe déroule ainsi son parcours en huit chapitres.
Huit chapitres dans lesquels le charnel se mêle à la philosophie.
Lars Von Trier aime questionner. Il aime traiter les sujets sensibles, ou tabou. Et il aime mettre mal à l’aise. En un mot, il aime la controverse. Malmener ses spectateurs comme il malmène ses personnages.
Si – pour ne citer que ses derniers films – Antichrist est allé très loin, autant dans l’image que dans le propos, sans prendre de gants et sans ménager son public, Melancholia le fait de manière plus subtile, moins directe. Le malaise y est plus insidieux.
Pour ce qui est de Nymph()maniac, tout est dans le titre. Le film est trash, cru et sans équivoque. Quatre heures en tout (deux pour ce Volume I) à suivre le parcours d’une nymphomane. Quatre heures à parler sexe dans les moindres détails. Sentiments, érotisme, sado-masochisme. Tout y passe. Et le spectateur se prend tout cela de front. Il vaut mieux ne pas avoir froid aux yeux car les scènes de sexe n’y sont pas simulées et bien des pratiques y passent.
Certains trouveront une forme de courage dans cette mise en scène, ce parti-pris de tout montrer. Mais il y a tout de même un côté dérangeant là-dedans. C’est que l’on sait que Lars Von Trier fait tout cela uniquement pour choquer ou pour casser les codes (Dogme 95, quand tu nous tiens). Son but n’est pas celui de la recherche d’une démarche artistique, mais bien de faire gratuitement du politiquement incorrect. Et cela devient lassant…
Malgré tout, le réalisateur fait preuve d’un talent indéniable. D’un talent de metteur en scène accompli. Et également d’un talent de directeur d’acteurs assez époustouflant.
Le film – Volume I & Volume II – est divisé en huit chapitres (c’est son truc les chapitres) relatant chacun un événement ou une période de la vie de Joe (Stacy Martin et Charlotte Gainsbourg). Ils sont inégaux, mais tous traité d’une manière différente. Et beaucoup avec une forme de poésie. Les scènes autour du père de Joe (Christian Slater, malheureusement bien trop rare sur les écrans) sont particulièrement belles et émouvantes. Quant au chapitre consacré à Uma Thurman (terriblement juste dans le rôle de la femme trompée, et carrément méconnaissable), il prouve à lui seul que Lars Von Trier excelle dans l’art de la mise en scène tant il est précis et dispose d’un sens du rythme assez bluffant.
Pour ce qui est des acteurs, on peut ici saluer leur audace. Car il faut quand même disposer d’un certain courage pour aller aussi loin, ainsi que d’une confiance aveugle en son réalisateur. Il s’agit d’une véritable mise à nu (au sens propre comme au figuré). Pour certains (Charlotte Gainsbourg, Stellan Skarsgård), ce sont des habitués du cinéma de Lars Von Trier. Ils n’en restent pas moins excellents et le duo qu’ils forment est assez étonnant. Pour d’autres, on assiste à de véritables révélations. Stacy Martin est l’une de celles-ci. Elle interprète Joe jeune et se positionne vraiment comme la pierre angulaire de ce Volume I. Tout comme son personnage, elle assume tout et va au bout des choses. L’autre surprise vient de son partenaire principal, Shia LaBeouf. Oui oui, le jeune Louis de La Guerre des Stevens ou encore la tête d’affiche des Transformers. Ici, il est méconnaissable. Il prouve avec un jeu tout en finesse qu’il est capable de bien plus que l’idée que l’on peut se faire de lui.
Un dernier point sur le propos. Lars Von Trier – tant sur ses dérapages que sur le plan de son cinéma – a été taxé de tout. Notamment de misogyne. Pour ce qui est de Nymph()maniac, difficile de voir réellement où il en est. Il brouille les cartes. Mais si c’est à travers la bouche de Seligman (Stellan Skarsgård) qu’il parle, alors il est à l’inverse de la misogynie. En tout cas durant une bonne partie du film.
Enfin, une chose est sûre : la fin du Volume I est si intrigante qu’il est impossible de ne pas aller voir le II, tant pour connaître la suite que pour comprendre les clefs de ce film. Que vous ayez aimé ou non.