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4 cases en plus : Le Club des prédateurs (4ème partie), la chronique !

Le Londres victorien a fait l’objet de pas mal d’adaptations en bande dessinée mais aucune peut-être n’a posé aussi bien le cadre de ce qui se joue dans cette première partie de règne de la Reine Victoria où la misère devient galopante et crée une coupure en deux de la société. Une division qui deviendra  criante avec le temps. Dans ce contexte tendu deux jeunes gamins Liz, la bourgeoise et Jack, le ramoneur vont se rapprocher et peut-être mettre à mal The Bogeyman…

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Le club

Le Club des Prédateurs de Mangin & Dupré – Casterman (2016)

Londres 1865. En ce jour un peu particulier la masse de gredins se bouscule et joue des coudes. Devant la prison de Newgate se prépare l’exécution d’une jeune fille accusée d’avoir tué l’homme, poissonnier de son état, qui l’empêchait de voler les restes contenus dans ses poubelles. Geste inqualifiable dans une société qui entend bien faire respecter le droit et qui, révolution industrielle oblige, crée chaque jour des nuées de nouveaux pauvres. A contrario les néo-riches bedonnants déambulent dans la ville dans des coches luxueux, fiers de leur statut acquit. Monde de contrastes, monde d’injustices notoires, monde d’espoirs envolés qui, sans jamais remettre en cause le pouvoir en place voit les égouts verser leurs miasmes et répandre, le croit-on du moins, les maladies qui dévastes les quartiers les moins protégés de relents nauséeux, de microbes revanchards et de tout ce qui pullule dans les arrière-cours, les ruelles et les venelles reculées et non ventilées. Rien de bien réjouissant au programme et ce n’est qu’un début. Car dans cette société en mutation la frange de la population la plus miséreuse se voit contrainte de vendre la force de travail que représentent ses jeunes enfants… Pour tenter de vivre un jour de plus, peut-être deux, sait-on jamais, dans des conditions forcément déplorables. Devant cette prison foncièrement austère dont la façade s’élève comme un mur-écran qui affiche fièrement la puissance de la justice et surtout d’un Empire qui souhaite définitivement se préserver du crime, un jeune garçon prénommé Jack, ramoneur à la bouille noircie, croisera le regard d’une fillette de la haute, la jeune Liz. Ces deux jeunes que tout oppose vont pourtant se recroiser et peut-être démasquer celui qui se cache derrière le masque du Bogeyman…
Dans cette seconde moitié du XIXème siècle l’Europe entière a les yeux braqués vers l’Angleterre et sa fière capitale. D’abord en raison de la poussée démographique démesurée de la City qui déverse son flot de population dans des quartiers périphériques qui s’élèvent de manière pas forcément si désorganisée même si les rues dégorgent de ce flot nouveau alimenté par les famines irlandaises  du début de siècle et l’arrivée plus récente de migrants venus d’Europe orientale. Pour réussir à intégrer ces centaines de milliers d’hommes, de femmes et d’enfants, les autorités londoniennes se décident à développer un réseau de transport inédit, le métropolitain qui, dès 1861, permet de relier les quartiers entre eux. Des efforts hygiénistes sont entrepris pour contenir les épidémies ravageuses (choléra en 1854 autour de Broad street, dysenterie, fièvre typhoïde…) apparues au tournant des années 1850. La révolution industrielle anglaise quant à elle possède toujours une longueur d’avance. C’est en partie les conséquences de cette industrialisation galopante qui agit sur la paupérisation accrue de la société britannique qu’a voulu explorer Valérie Mangin dans Le Club des Prédateurs. Elle le fait en juxtaposant deux mondes que tout oppose. D’un côté un peuple poussé à bout, martelé, plongé dans une lente agonie, de l’autre une bourgeoisie londonienne qui affiche une puissance chaque jour renforcée, se complet dans des soirées mondaines et des réunions de club où tout le gratin se presse. Cela donne à voir la dualité londonienne qui réalise pourtant la prouesse d’absorber les tensions qui pourraient germer en son sein et se muer parfois en véritables jacqueries urbaines. Pourtant il serait faux de croire que le peuple accepte son sort sans broncher. Au travers de Jack, jeune ramoneur qui vole, dans la rue ou dans les maisons où il est censé officier, c’est toute l’expression des tensions sociales qui s’expriment et ceux qui encore fournissent la force de travail de leurs enfants à l’usine locale qui les exploitent moyennant un verre de lait par jour, découvriront peut-être que le système n’est pas des plus juste en dépit des si belles apparences… Nos gamins des rues, eux, se font forts de démasquer le Croquemitaine, celui qui enlève les enfants pour leur offrir un sort bien triste. Mais qui peut bien être ce personnage étrange ? Jack et Liz, que tout oppose, tenteront de le découvrir et, s’ils y parviennent, seront au cœur de révélations bien sordides…
Au dessin Steven Dupré réalise une copie des plus aboutie. Découvert dans un registre plus léger (Kaamelott) il excelle dans la mise en ambiance de ce récit. Cela était d’autant plus essentiel au regard de l’angle d’approche choisi par Valérie Mangin qui décrit une période de l’histoire anglaise (l’époque victorienne) d’habitude explorée par le biais d’une bourgeoisie toute émoustillée de son aisance sociale. Les miasmes qui prolifèrent dans les moindres ruelles, la boue qui résulte d’un climat des plus austères, la tension qui couvre une population en sursis transparait remarquablement dans les moindres cadrages et dans un trait redoutable d’efficacité. La noirceur se lit jusque dans les entre-cases recouvertes d’un noir qui accentue l’oppression souhaitée par les deux auteurs.
Sur fond de chronique sociale en plein cœur de cette révolution industrielle anglaise peu regardante du sort d’un peuple affamé et si docile, Valérie Mangin et Steven Dupré livrent un récit sombre qui vire au morbide et à l’horreur, une extrapolation des pensées de Richard Francis Burton et du Dr James Hunt qui s’adonnèrent à des fantaisies bien troubles aux cours des années 1860. Un récit dont le premier volet captive de bout en bout et procure par son cliffhanger terminal ce surcroit de frissons qui caractérise les récits subtilement et savamment construits…

 Mangin & Dupré – Le Club des Prédateurs – Casterman – 2016 – 13,95 euros


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