Cela n’aura échappé à personne, 2024 aura été l’année de deux monstres de la littérature fantastique, Bram Stoker, pour son Dracula et H.P. Lovecraft pour l’ensemble de son œuvre. Si nous présenterons un peu plus tard dans ce calendrier de l’avent la très belle édition de Dracula proposée par Callidor (dont nous avions interviewé son maître d’œuvre en 2023 pour la sortie du Grand Dieu Pan d’Arthur Machen), revenons plus brièvement sur quelques éditions de ces deux auteurs qui méritent de figurer sur toutes listes de cadeaux en cette fin d’année…
Dire que l’œuvre de Lovecraft jouit d’un regain d’intérêt depuis quelques années maintenant n’est en rien hyperbolique. Alors que les éditions Mnémos ont récemment publié une nouvelle traduction de l’intégralité de l’œuvre du Maître de Providence, les projets fleurissent sur les étals. Ainsi Daria Schmitt adaptait librement, en juin 2022, L’Étrange maison haute dans la brume (Dupuis), tandis que l’éditeur Ki-oon poursuit depuis 2018 l’édition des adaptations de quelques textes majeurs de Lovecraft par Gou Tanabe, travail entamé par Les montagnes hallucinées et poursuivit depuis par Dans l’Abîme du temps, La couleur tombée du ciel, L’appel de Cthulhu, Celui qui hantait les ténèbres, Le cauchemar d’Innsmouth, Le Molosse et L’abomination de Dunwich dont le dernier des trois volets vient tout juste de paraître. Fin 2023 paraissait, peut-être plus confidentiellement, une relecture stimulante et bien sentie de La Quête onirique de Kadath l’inconnue par Florentino Florez, Guillermo Sanna et Jacques Salomon chez Black River.
En cette fin d’année deux petits bonheurs viennent s’ajouter à cette longue liste non exhaustive : tout d’abord l’édition par Bragelonne de L’ombre sur Innsmouth illustré par François Baranger, qui se fait des plus immersives, notamment par le format monumental du livre(-objet) qui accuse sur la balance un bon gros kilo et des mensurations généreuses (27 cm x 36 cm) ; ensuite la consécration suprême pour l’œuvre de tout auteur, et notamment pour celle de Lovecraft qui a vu en son temps ses écrits sortir dans des revues plus ou moins obscures et égales en qualité, celle d’entrer à La Pléiade. Dans un épais volume de plus de 1400 pages imprimées sur papier bible sont regroupés vingt-neuf récits de l’auteur de Providence, retraduits pour l’occasion sous la direction de Philippe Jaworski et introduits par Laurent Folliot. L’occasion d’ouvrir le mythe de Cthulhu à un public différent et peut-être encore plus grand…
Depuis son écriture par Bram Stocker à la toute fin du dix-neuvième siècle, le mythe de Dracula a fait quant à lui l’objet de maintes et maintes relectures et adaptations. Au cinéma, par Murnau, Tod Browning ou plus récemment Francis Ford Coppola, au théâtre et, bien évidemment, au regard du potentiel graphique de son héros et des cadres de la Transylvanie et du Londres gothique développés dans le récit, en bande dessinée. Guido Crepax, Mike Mignola, Pascal Croci, Georges Bess et même Alberto Breccia s’y sont essayés en incorporant le prince Vlad à leur univers graphique. Au regard de ce qui a déjà été réalisé, revisiter une nouvelle fois le texte de Stocker pourrait s’apparenter à un défi de taille, celui d’être tout à la fois à la hauteur du texte original tout en se distinguant des relectures déjà réalisées, proposer autre chose, une autre approche, un nouvel angle de vue. En cette année 2024 les Italiens Marco Cannavo et Corrado Roi s’y sont attelés, pour un album édité chez Glénat, avec cette idée d’inverser les rôles, de faire de leur héros non plus le chasseur de Lucy, la fiancée de Jonathan, mais le chassé. Depuis son apparition au XVème siècle le prince Vlad a fait montre d’une cruauté rare envers les hommes sur lesquels il a exercé le droit de vie ou de mort. Pourtant, dans un Londres sombre et mystique, c’est bien une femme qui pourrait le faire chuter. Dans un récit un peu resserré qui axe l’intrigue essentiellement dans le cadre de la capitale anglaise, Marco Cannavo offre une relecture singulière du mythe de Dracula, portée par le dessin saisissant, sombre et expressif d’un Corrado Roi véritablement dans son élément.
Cette année est aussi l’occasion de voir le texte original réédité par deux éditeurs aux intérêts divergents. Bragelonne propose une version annotée par Leslie S. Klinger de 720 pages, retraduite par Maxime Le Dain et accompagnée d’une introduction de Neil Gaiman (suivi de la nouvelle L’Invité de Dracula). Le livre qui fait son poids (plus d’1,6 kg), complété d’annexes chronologiques, mérite de figurer dans toute bibliothèque qui se respecte. Tout comme cette version collector des éditions Callidor, dont nous vous parlerons un peu plus tard dans ce Calendrier de l’Avent, qui nous offrent le petit bonbon de cette fin d’année dans un opus au superbe cartonnage, mêlant le texte de Stoker et les illustrations inédites de Christian Quesnel, illustrateur notamment de La cité oblique (Alto Editions), récit inspiré par les voyages de… Howard Phillips Lovecraft au Québec ! La boucle est bouclée…