Un monde pas si différent du nôtre qui semble se construire en parallèle avec une histoire somme toute assez commune à ce que nous avons pu connaître. Et pourtant, si le contexte nous paraît familier, là s’arrêtent les comparaisons et je vous laisse le soin de découvrir pourquoi !
Retropolis possède une saveur difficile à expliquer en quelques mots. L’univers qu’il construit emprunte beaucoup au notre notamment dans sa trame historique qui flirte pas mal avec celle que nous connaissons. Mais sa déclinaison offre une distance qui le singularise et lui donne une saveur propre. Posons le contexte. En pleine guerre 14-18, Otto Listig, soldat plutôt fébrile en raison des horreurs de la guerre de tranchées qui entoure son quotidien, se voit perdre ses deux bras dans une souricière qui aurait pu lui coûter la vie. Revenu à la vie civile il dirige à Retropolis un cabaret de joie aux mœurs qui se délitent avec l’arrivée de quelques filles peu farouches. De quelques chattes peu farouches devrais-je dire, car dans le cas présent les individus qui peuplent l’univers de Retropolis sont tous des animaux affublés de manies et de comportements humains.
Poussé par la pression d’un félin arriviste et sombrement louche qui lui demande d’assouvir ses caprices, Otto Listig se laisse convaincre de livrer de jeunes chattes du type bien roulées à son commanditaire. Rien qui ne puisse choquer plus que ça dans l’univers de dépravation qui est devenu le sien depuis plus de dix ans. Otto s’exécute, même si céder aux lubies d’un gros bonnet, semble-t-il politicard à ses heures, ne l’enchante guère. Un jour il fait la connaissance de Polly une jeune fille qui lui tape dans l’œil et qu’il réserve à sa prochaine livraison. Mais Otto, pour la première fois depuis longtemps, va tomber sous le charme de cette fille libre qui lui rappelle peut-être l’innocence et le goût de la vie qu’il a perdus. Il essaiera de se raviser, de changer le cours de l’histoire, l’histoire de Polly, entendons-nous bien, et se verra de fait livrer ce qui s’apparentera à un dernier combat. Un de ceux qui le délivrera peut-être de ses vieux fantômes et lui permettra de faire le deuil des angoisses et des plaies encore béantes dans son esprit…
L’univers construit par Anne-Laure To et El Diablo possède suffisamment de charme, de trouvailles graphiques, de noirceur et de pincées romanesques pour nous captiver sur près de 120 pages. Le rythme plutôt bien mené laisse le lecteur réceptif de bout en bout. Même si le monde créé par les deux auteurs peut paraitre foutraque, il pose des messages, souvent acides, contre tous les totalitarismes à coup de dialogues bien pesés regorgeant d’humour. Anne-Laure To livre avec Retropolis son premier jalon dans le monde de la BD. Une auteure qu’il faudra suivre de près !
Anne-Laure To & El Diablo – Retropolis – 2012 – KSTR – 16 euros