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Le coin des vieilles feuilles : ‘Perramus’ d’Alberto Breccia & Juan Sasturain (Glénat)

Parfois, en cherchant une BD dans nos étagères il nous arrive de mettre la main sur un récit que l’on avait un peu oublié mais qui nous avait procuré pas mal de plaisir à sa lecture. Parfois encore on retrouve par accident, chez un soldeur, sur un marché ou ailleurs, un récit rare ou méconnu d’un auteur que l’on apprécie et la curiosité nous pousse à l’acheter. Le coin des vieilles feuilles, votre nouveau rendez-vous du lundi mettra en avant ce type de récit. Avec pas mal de surprises à la clé !

Si la présentation, il y a deux semaines, de Muret 1213, la bataille, de Frédéric Bézian était l’occasion pour moi de vous raconter une petite histoire, le récit que je vais vous présenter aujourd’hui possède lui aussi son passé. Perramus récit phare de l’œuvre de Breccia, au même titre que Mort Cinder ou L’Eternaute, a été publié en France en 1986, et fut l’objet d’une réédition complète chez Glénat à partir de 1991. Cet album a été d’une influence majeure sur toute une génération d’auteurs et de lecteurs chevronnés de bande dessinées. Il l’a été pour moi aussi et, a donné lieu à ma première chronique BD, en 1997, dans la revue Approches.

Lorsque j’écrivais le texte de ma chronique Alberto Breccia était décédé quatre ans plus tôt. L’album, je l’avais découvert en 1994, lorsque le goût de la lecture de récits séquencés revenait très fortement en moi. Après mes années de jeunesse passées à dévorer Asterix, Gaston Lagaffe et autres Tintin, base essentielle d’une bonne cuture bédéphile, je ne trouvais plus de récits capables de me transporter vers d’autres ailleurs. Mes exigences de lecture avaient changé, et ma formation universitaire historique, me poussait vers plus de fond, de profondeur symbolique, de mystères aussi. Ma replongée dans la lecture BD devait se faire au travers de l’œuvre en construction de Bézian, à l’époque de la parution de Testament sous la neige, troisième volet de son triptyque Adam Sarlech, et, au même moment, de celle de Breccia au travers de Perramus donc, de L’Eternaute et du Rapport sur les aveugles. Je trouvais dans ces œuvres majeures de la littérature dessinée, une force et une expression capables de bouleverser le jeune homme en construction que j’étais. Perramus, c’est la douleur du peuple argentin, brisé par des années de dictature militaire, par des privations, dont celle, essentielle, de liberté.

Voici un extrait de ce que j’écrivais il y a tout juste 21 ans sur Perramus :

« Les Argentins son pessimistes parce qu’ils disposent d’importantes réserves d’espérances et d’illusions ; en effet pour être pessimistes il faut d’abord avoir connu l’espoir ». Cette phrase extraite de l’œuvre majeure d’Ernesto Sabato, Sobre heroes y tumbas (Héros et tombes) résume à elle seule l’histoire du peuple argentin tout au long du vingtième siècle. Marquée par l’absence de réelle démocratie depuis 1929, l’Argentine connaît, jusqu’en 1984, une succession de dictatures militaires dont l’influence sur la vie intellectuelle sera sans commune mesure. (…) Dessinée par Alberto Breccia et écrite par Juan Sasturain dès la chute du régime, en 1984, cette fresque grandiose inquiète par la force conjuguée d’un dessin au trait incisif servi par l’utilisation d’un blanc et noir déclinant toute la palette de gris et d’un texte dense jouant en permanence sur les allusions au régime et à des jeux de mots savamment pesés. On ne sait rien ou presque rien de Perramus, le personnage central de ce roman graphique si ce n’est qu’il a trahi ses compagnons du VVV (Les Vaillants Volontaires de la Victoire), groupe armé révolutionnaire opposé au régime des militaires. Cette trahison, le héros la paiera au prix fort, c’est tout du moins ce qu’ont voulu Alberto et Juan : « Accablé par la peur et le poids intolérable de sa lâcheté, un homme demandera l’oubli et sera exaucé. Quand il se réveillera, nu dans un lit inconnu et aux côtés d’une femme qui aura dévoré son passé comme la femelle le placenta de sa portée, il sera un autre ou plutôt il ne sera personne ». C’est à travers l’histoire de ce nouvel homme qu’Alberto construira une violente description du régime militaire.

L’œuvre d’Alberto Breccia mériterait une réédition intégrale de qualité avec appareil critique et un repositionnement de l’œuvre tout à la fois dans l’histoire d’un pays, l’Argentine, et dans celle de la bande dessinée. L’influence de l’auteur et la puissance de son message, essentiel à une époque qui a basculé dans une autre forme de dictature, celle d’un néo-libéralisme, asservissant et sans espoir, offre des perspectives pour penser différemment le monde, et ne plus le regarder avec les œillères que certains nous aimeraient voir porter ad vital aeternam…  


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