Voici une sélection BD du MaXoE Festival avec de très beaux albums dans la catégorie Comics !
Ci-dessous la présentation détaillée des ouvrages sélectionnés avec la chronique que nous avions fait dans le cadre de Comics En Vrac. On vous les livre en vrac justement, à vous de picorer !
Hitomi
Yasuke ça vous parle ? Je suis sûr que oui. C’est la légende du samouraï noir dont on peut retrouver quelques traces dans les écrits du Japon féodal. On ne sait pas trop quelles sont les parts de vérité dans tous ces récits, on sait simplement qu’il arrive sur l’île nipponne en 1579. Il a, bien entendu, une condition d’esclave. Il rencontre alors le daimyo Oda Nobunaga qui le prend à son service jusqu’à sa mort en 1582. On perd alors la trace de Yasuke mais les auteurs ici nous proposent leur vision. Nous voilà à l’hiver 1590, une jeune fille chemine seule dans les monts enneigés. Elle atteint une maison isolée et explique aux habitants qu’elle cherche un samouraï noir. Les locaux la redirigent vers un moine qui vit au sommet de la montagne, il sait peut-être quelque chose. Cette rencontre permet au narrateur de nous raconter l’histoire de la jeune fille…
Très bel album. Vraiment. Je m’attendais à une énième histoire de samouraï mais ici il est surtout question de la relation entre deux êtres, une relation en forme d’héritage, une relation entre confiance et vengeance. Ce que j’ai apprécié c’est le fait qu’on ne tombe jamais dans des évidences, les personnages peuvent être ambigus, les certitudes ne durent pas longtemps, le pragmatisme prend le pas sur tout. Cela fait du bien d’avoir un scénario qui n’est pas cousu de fil blanc, qui n’est pas prévisible. Il y a d’ailleurs des passages qui nous assènent des coups de poing dans le bide. On retrouve aussi le Japon féodal avec grand plaisir, ses coutumes, ses traditions, son honneur sont bien au rendez-vous. Finissons avec les dessins. Je dois avouer que j’ai été décontenancé au début, le trait est inhabituel pour le moins mais on s’y fait très vite et il colle parfaitement à la période.
Contenu vo : Hitomi #1-5
Scénario : H.S. Tak – Dessins : Isabella Mazzanti – Urban Comics – Grand Format Urban – 144 pages – juin 2024 – 20 €
W0rldtr33 T1
Une réunion de boulot dans une grande entreprise. Celui qui préside cette réunion reçoit, d’un coup d’un seul, 17 notifications d’un forum appelé W0rldtr33. Celles-ci cachent en fait des images terribles de cadavres ensanglantés. Il quitte la réunion pour se rendre dans son bureau dans lequel il révèle une pièce secrète, sur son ordinateur, il est indiqué le nombre de morts : 67. Il demande alors à son IA de réactiver W0rldtr33.net, d’alerter tous les membres et il ajoute : « il est de retour ». Une autre scène : un corps est étendu au sol, sans vie, et une femme, nue, s’installe sur le lit et utilise un ordinateur portable. Elle se connecte à une plateforme avec l’identifiant PH34R qui semble lui donner accès à l’Undernet ? Qu’est-ce que c’est ? On ne le sait pas encore à ce moment de l’histoire mais ce qu’il s’y passe fait froid dans le dos …
Encore une réussite signée James Tynion IV. J’ai ressenti de très belles choses en lisant ces pages. Il m’impressionne pour plusieurs raisons. Tout d’abord, il arrive à construire une histoire aux multiples tiroirs avec ce qu’il faut de flashbacks qui éclairent, petit à petit, le propos. Et puis il fait monter le degré d’horreur sans qu’on ne le sente venir. Je suis rarement vraiment dans l’émotion quand je lis une BD mais là, là, on prend des coups de poing dans le ventre, il y a une forme de stress et d’oppression qui ne peut pas vous laisser indifférents. On suit ce scénario de fou avec l’impression d’avoir le souffle court notamment car les auteurs ne lésinent pas sur les surprises et les scènes réellement dramatiques. Le dessin est parfait pour ce genre de propos. En bref, vous devez lire ça !
Contenu vo : W0RLDTR33 #1-5
Scénario : James Tynion IV – Dessins : Fernando Blanco – Urban Comics – Urban Indies – 168 pages – octobre 2024 – 18 €
Noël 1973. Alors qu’elle revient sur ses pas pour récupérer des clés oubliées dans le grand magasin où elle travaille, une femme tombe sur le cadavre sanguinolant et mutilé d’un homme attaché à un fauteuil au pied du sapin de Noël qui occupe une partie du hall de l’immeuble.
Un peu plus loin, dans la campagne recouverte de neige, la police se dirige vers la grange d’une ferme où aurait été aperçus des mouvements suspects. En poussant les deux volets de la porte d’entrée du bâtiment ils mettent à jour une scène des plus macabres : deux cadavres frais d’adolescents en sous-vêtements sont attachés à un pilier de la grange, emmaillotés dans des décorations de Noël. Un des flics parvient à prendre en chasse le suspect encore présent sur les lieux mais, pris dans l’opacité de la tempête de neige et de la nuit, il tombe au sol. En relevant sa lampe torche dans la direction du fuyard il éclaire un homme habillé en père Noël, hache rougeoyante en main, dont les vêtements suintent le sang.
Si le meurtrier prend la fuite dans les neiges du Wisconsin, un suspect sera pourtant arrêté… Cinquante ans plus tard dans les prisons de la ville, Randall purge sa peine pour ces crimes atroces. L’homme a été arrêté sur un faisceau d’indices un peu léger et clame depuis toujours son innocence. Son quotidien va se voir bouleversé par la visite d’un jeune homme tourmenté, Michaël, scénariste de comics, qui entend écrire l’histoire du personnage de Randall, en partie car il pense que quelque chose cloche dans le déroulé de l’enquête. Au même moment, un nouveau cadavre est retrouvé à Chicago avec le même mode opératoire que les crimes commis cinquante ans plus tôt. Simple copycat ? Premier volet choc d’un « conte de Noël » à ne pas mettre entre toutes les mains, maitrisé avec brio par James Tynion IV (The Nice House On The Lake) et Joshua Hixson (The Plot) qui livrent après avoir travaillé ensemble sur Batman Infinite, une histoire sordide à souhait !
Scénario : James Tynion IV – Dessin : Joshua Hixson – Urban Comics – Grand Format Urban – 128 pages – Octobre 2024 – 20 €
Danger Street
La Danger Street, c’est simplement une rue banale d’un ville des US, rue dans laquelle des gamins chahuteurs roulent en quad au mépris des élémentaires règles de sécurité. Heureusement, une policière veille au grain, il s’agit de Lady Cop, un personnage du monde de DC que l’on a pas vu depuis longtemps. Au même moment dans un autre lieu, un justicier rôde pour appliquer ses propres sanctions. Il s’agit de Creeper, un autre héros peu connu, qui est une sorte d’alter-ego du Joker, avec la même folie et une façon bien à lui de rendre la justice. Encore un autre lieu, on retrouve de vieilles connaissances : Metamorpho, Warlord et Starman. Les trois ont pour projet d’intégrer la Ligue de Justice et pour cela ils veulent tuer Darkseid avec l’aide du casque du Dr Fate. Mais la casque n’attire pas l’ennemi juré de la Ligue mais Atlas, en charge de porter le ciel comme vous le savez. Il débarque en furie et la bataille qui s’ensuit débouche sur sa mort. Les choses tournent donc très mal. Mais pire encore, le groupe de gamins dont je vous ai parlé plus haut, arrive sur place par surprise, surprise mal gérée par Starman qui tue accidentellement l’un d’entre eux. Il va falloir réparer tout cela …
Voilà un comics très surprenant. Tom King adore brouiller les cartes et, par dessus tout, faire revenir dans la lumière des héros plus anecdotiques du monde DC. Cela m’a permis d’en découvrir d’ailleurs et ça fait du bien. Oui j’aime quand on sort un peu du main stream des héros de l’éditeur, ça fait du bien, c’est rafraîchissant. Par ailleurs l’histoire est dans le style de Tom King, il aime se pencher sur le psyché de ses personnages. Ici nous avons des héros qui sont dans le doute mais aussi des dieux qui ne savent plus quoi faire. Il ajoute à cela une sorte de chasse à l’homme totalement palpitante. Le tout donne une forme de kaléidoscope jouissif qui vous emmène sur bien des routes avant un final de toute beauté. Justement côté dessins, il y a un petit côté vintage qui colle parfaitement à l’ambiance de ces héros un peu oubliés.
Contenu vo : Danger Street #1-12
Scénario : Tom King – Dessins : Jorge Fornés – Urban Comics – DC Black Label – 376 pages – août 2024 – 36 €
Petits contes macabres
Synopsis officiel : petits Contes Macabres est un projet initié par Eric POWELL (a qui l’on doit notamment ED GEIN et THE GOON) qui adore les histoires qui font peur et que l’on se raconte au coin du feu lorsqu’il gèle à pierre fendre dehors… Il a invité trois compagnons de jeu – et pas n’importe lesquels ! – à le rejoindre afin de réaliser un livre de petits contes horrifiques baignant dans une atmosphère victorienne qui les met en scène.
Cet album choral nous offre quatre récits grinçants, drôles ou encore terrifiants qui évoquent (et parfois invoquent !) des fantômes. Eric Powell pilote ce projet tandis que James Harren, Becky Cloonan et Mike Mignola le rejoignent à la manœuvre.
Personnellement, je suis fan d’horreur en tout genre (jeux vidéos, films, séries et romans), quand j’ai vu ce recueil avec tous ces grands noms, je ne pouvais que foncer, et je n’ai pas été déçu ! Les histoires racontées ont chacune leur propre façon d’insuffler la peur ou l’angoisse chez le lecteur. De plus, elles ont toutes une identité graphique qui leur est propre. Ajoutez à cela le pitch de départ où les auteurs s’incluent dans leur histoire pour rendre le tout plus crédible et immersif, et on se retrouve avec l’impression de faire partie de leur petit groupe, assis au coin du feu, à attendre la prochaine histoire qui nous fera frissonner.
Scénario et Dessin : Eric Powell, Mike Mignola, Becky Cloonan, James Harren – Delcourt – Contrebande Novembre 2024 – 72 pages – 15,50 €
Walking Dead – Clementine T02
Synopsis officiel : clémentine et ses nouveaux amis sont secourus par une communauté dirigée par un énigmatique médecin appelé Miss Morro. Mais alors que les cicatrices de Clémentine commencent tout juste à guérir, elle découvre de sombres secrets qui menacent sa sécurité dans ce nouveau sanctuaire. Peut-on vraiment faire confiance à Miss Morro ? Et à ceux qui la vénèrent ? Et jusqu’où Clémentine ira-t-elle pour protéger ceux qu’elle aime ?
Le premier tome (lisez notre chronique ici) avait déjà laissé entrevoir une histoire captivante et pleine de rebondissements. On y retrouvait une Clémentine épuisée par les événements qu’elle a vécus à travers les différents jeux du studio Telltale Games. Depuis sa conversation avec Tim, Clémentine ne se laisse plus autant submerger par son défaitisme et cherche à tout prix à trouver un endroit sécurisé pour rester auprès de Ricca et Olivia. Si le premier tome se concentrait sur la psyché de Clémentine en plus de la présentation de nouveaux personnages, le second nous présente la vie en mode postapocalyptique dans une toute nouvelle communauté. Nos héroïnes profitent d’une vie « paisible » pendant quelques temps, mais malheureusement, elles font vite face à la dure et cruelle réalité de la vie dans ce genre de monde. Personnellement j’adore l’ambiance dans ce tome 2, il nous surprend par ces moments de discussions simples entre les differents personnages ce qui nous fait souffler après un premier tome riche en sensations fortes et surtout nous fait baisser notre garde pour mieux nous émouvoir lors des moments tragiques. J’attend le troisième et dernier tome prévu pour 2025 avec impatience ! Espérons que l’histoire de Clémentine trouve une happy end, même si dans l’univers de The Walking Dead c’est assez rare.
Scénario et Dessin : Tillie Walden – Delcourt – Contrebande – Octobre 2024 – 280 Pages – 20,50 €
The Nice House By The Sea, Tome 1
Voici une BD qui se place dans la continuité des deux tomes de The Nice House On The Lake (retrouvez mes chroniques ici et là). Alors je vous le dis tout de suite, il est mieux d’avoir lu ces tomes avant, cela facilite la compréhension du propos. Si vous ne les avez pas lus, je me permet un petit rappel : Walter, une créature a priori extra-terrestre, a convié ses amis dans une maison au bord d’un lac. Banal me direz-vous ? Oui mais c’est pour les sauver de la fin du monde. Oui tous les humains ont disparu à part ceux de ce groupe, choisis par Walter. Et justement, ce que nous propose The Nice House By The Sea, c’est de découvrir un autre groupe de rescapés sauvés, eux, par Max, une femme de la même origine que Walter. Elle n’a pas choisi ses amis mais plutôt des personnes qui excellaient dans leurs domaines respectifs comme la science, l’art, la philosophie, j’en passe et des meilleurs. Ils vivent ainsi tranquillement au bord de la mer, se croyant seuls au monde. Enfin jusqu’à ce qu’ils soient amenés à découvrir l’existence du groupe de Walter. Et là les choses se compliquent …C’est encore mieux ! Cette autre communauté ne manque pas d’intérêt mais surtout on découvre Max dont le caractère est bien différent de celui de Walter. La rencontre des deux communautés sur fond d’histoires du passé est absolument délicieuse. Car oui ce comics pose avant tout des questions humanistes et philosophiques. La question est basique mais mérite d’être posée : qui sauver en cas de fin du monde, les experts ou les amis. Rassurez-vous la réponse n’est pas binaire, les auteurs l’explorent avec beaucoup de finesse justement et c’est cela qui est bien. Le dessin et la narration sont toujours aussi efficaces et élaborés. En bref, un must-have !
Contenu vo : The Nice House by the Sea (#1-6)
Scénario : James Tynion IV – Dessins : Alvaro Martinez Bueno – Urban Comics – Grand Format Urban – 200 pages – avril 2025 – 25 €
Downlands
Lovecraft jouit depuis quelques années d’une popularité sans égale. Adaptée, illustrée, son œuvre (ou ses dérivés) n’a jamais autant occupé les étals des librairies. C’est dans cette veine que Black River publie en 2024 un ouvrage un brin déroutant, L’appel à Cthulhu du canadien Norm Konyu. Un album qui déroule l’atmosphère étrange de la Nouvelle-Angleterre avec une touche surprenante de légèreté et d’humour. Si le récit a en dérouté plus d’un, il permettait surtout de découvrir un dessinateur inconnu chez nous dont le potentiel valait la peine d’être exploré. C’est chose faite avec Downlands, publié cette année chez Glénat. L’auteur canadien, installé dans le sud de l’Angleterre, y déroule cette fois un récit personnel qui mêle folklore rural anglais, mythes et légendes inspirés de l’ère victorienne, le tout autour d’un personnage principal creusé et attachant, James, et de personnages secondaires bien léchés qui, chacun, participent à révéler par touches subtiles des pans de l’histoire. Une histoire dont les pièces s’assemblent pour former un final déroutant et touchant.
Mais de quoi s’agit-il au juste ? Qu’elle histoire développe Downlands ? Et comment son auteur a-t-il œuvré à sa construction ? Pour commencer, un petit synopsis qui donnera le ton : James vit dans un petit village du sud de l’Angleterre. Âgé de 14 ans il est très proche de sa sœur jumelle, Jennifer (Jen) avec qui il partage tout. Un jour pourtant, à la sortie d’une épicerie de quartier, un évènement va venir perturber le bel ordonnancement des choses. Jen est terrifiée par un immense chien noir. Un molosse que, pourtant et étrangement, elle est seule à voir. Quelques jours plus tard elle décède d’une rupture d’anévrisme. Pour James la disparition de Jen sera le début d’une longue enquête qu’il mènera dans le village et au-delà, sur la campagne reculée, pour en lever les mystères. Il se rapprochera ainsi d’une vieille dame surnommée la « sorcière » qui a écrit, il y a quelques années, un livre d’histoire locale qui évoque le folklore local et tout un tas de faits divers attachés des plus macabres.
Dans une proposition fouillée – l’album dépasse les 300 pages – Norm Konyu livre un récit habillement mené, qui flirte aussi bien avec les ambiances lourdes de Lovecraft, qu’il revendique comme une inspiration de son travail, mais aussi celles du Twin Peaks de Lynch, pour son côté « enfermement » local, et peut-être d’un Arthur Machen pour la manière de tisser son fantastique à partir de petits éléments assemblés qui une fois réunis font sens. Sur le plan graphique, le canadien surprend dans sa maîtrise des lumières et des tonalités qui participent à nourrir l’atmosphère du récit, mais aussi par un trait anguleux et simple, jamais chargé, qui cherche avant tout l’expressivité. Dans un roman graphique qui nous immerge, avec délectation, un bon et long moment dans un univers singulier, Norm Konyu parle du deuil et de sa nécessaire reconstruction mais aussi de l’attention à porter aux petites choses, qui, insignifiantes pour la plupart d’entre nous peuvent pourtant révéler, au-delà de leurs mystères, tout un tas de choses sur la face cachée d’un monde qui se construit et se développe à la lisière du nôtre. Un petit bijou tout en maîtrise !
Scénario & dessins : Norm Konyu – Glénat – 304 pages – avril 2025 – 17,99 €
Spy Superb, L’espion Ultime
Je passe aux aveux. Matt Kindt fait partie, avec Jeff Lemire, de mes deux auteurs de comics favoris. Peut-être car les deux, même si leurs univers diffèrent, cultivent la même volonté de développer une œuvre autour des grands héros de la culture US (Wolverine, Avengers, Mephisto… pour Kindt) sans pour autant négliger la niche de récits plus personnels ou plus typés. J’ai découvert Matt Kindt tardivement avec Dept. H publié en 2018 chez Futuropolis. Puis j’ai remonté le fil jusqu’aux débuts de sa carrière de dessinateur et de scénariste, avant d’enchaîner avec l’épais Mind MGMT, toujours chez Futuro. D’où me venait l’attirance pour cette œuvre ? Sur le papier son style graphique pourrait en dérouter plus d’un. Faussement cafouilleux, le trait de Kindt va à l’essentiel, celui de servir d’abord le récit, sans jamais le charger. C’est efficace, dynamique et toujours dans le ton. Et, même quand il se fait plus intimiste ou qu’il doit jouer sur les émotions, sa ligne ne dénote jamais. Equilibrée et fluide. Cela permet à la narration de se développer sans véritable frein, ni véritables limites. Les pages se tournent façon page-turner, jusqu’au final que, bien souvent, on atteint en légère décélération, juste pour ne pas quitter trop tôt l’histoire et les personnages.
Mais revenons au sujet qui nous intéresse ici, de quoi nous parle Spy Superb ? D’espionnage ! Surpris ? Non, pas vraiment car Kindt cultive un intérêt manifeste pour le genre. Et ce depuis au moins, l’étonnant Super spy (étonnant la ressemblance des titres !) paru chez Futuropolis en 2008. Le Spy Superb qu’est-ce ? Tout simplement (dixit les pavés narratifs des premières pages de l’album) « Un parfait athlète, au QI exceptionnel. Un maître du camouflage. Un tacticien de génie maîtrisant toutes les langues (dans tous les sens du terme) ». Sauf que ce dieu humain, mi-Appolon mi-Hercule, n’existe pas. Une légende qui ne perdure que dans l’imaginaire collectif… Et pourtant. Se pourrait-il que Jay, ce libraire pas très doué et romancier raté, aussi utile qu’une brosse à dents pour nettoyer un entrepôt de quelques milliers de m², soit le nouveau Spy Superb ? L’essentiel serait que certaines personnes le croient. Le reste importe peu (ou presque) tant que les objectifs sont atteints. Et pour tout dire, bien malgré lui notre idiot utile va naviguer entre pas mal de peau de bananes jetées sur son chemin. Jusqu’à où et jusqu’à quand ?
Si Matt Kindt nous séduit c’est qu’il ne se prend jamais au sérieux. Il décline, avec un plaisir qui se lit dans chaque recoin de planche, les récits qui lui plaisent à partir d’ambiances ad hoc et de personnages atypiques qu’il densifie au fil du récit. Des anti-héros qui se prennent trop (ou pas assez) au sérieux, et qui subissent leur destin plus qu’ils ne le maîtrisent. Jay en est le parfait exemple. Sorte de François Perrin, le comptable malchanceux de La chèvre incarné par Pierre Richard, il parvient à ses fins en empruntant les trajectoires les plus insoupçonnées… What else ?
Scénario : Matt Kindt – Dessins : Matt & Sharlene Kindt – Futuropolis – 160 pages – mars 2025 – 25 €
Doghead vol. 1
Doghead comics, c’est d’abord un retour aux affaires pour Dave Cooper. Le dessinateur canadien, dans les pages centrales qui séparent les deux récits proposés en tête-bêche dans ce recueil, avoue ne pas avoir envisagé d’écrire de nouveaux récits séquencés depuis 2002 et la fin de la parution de Weasel. En 2018, le musée madrilène Colección solo lui passe une commande de tableau rendant hommage au Jardin des délices de Jérôme Bosch. Dave Cooper se plie à l’exercice. Lui qui a toujours gardé le contact avec la peinture, va pouvoir mêler son univers à celui du peintre flamand. Il se plait ainsi à dessiner les personnages du tableau et, en plus d’idées d’histoires amassées sans véritable but depuis quelques années, ce travail sur le tableau en hommage à Bosch l’incite à débuter l’écriture de La Grande Hiérarchie qui met en scène un Dieu à deux bites qui fignole les derniers détails de sa grande création, aidé en cela par l’étalon. Le début d’une histoire à double narration qui suit en parallèle la trajectoire d’Eddy Table, un héros récurant de son univers créatif, placé dans une ville futuriste à l’urbanisation galopante. Si le lecteur tourne le livre à couverture souple qu’il a entre les mains, il découvre un second récit tout aussi déluré, même si plus ancré dans un réel familier : L’architecte. On y suit le parcours en voiture de son héros (l’architecte, qui donne son nom au récit) dans la Nouvelle-Ecosse, en 1971. L’homme se rend dans une propriété aux formes démesurées dont des parties entières ont été agglomérées sans tenir compte de l’harmonie d’ensemble. Alors qu’il marche en contrebas de la maison, il tombe sur une forme qui s’inspire du mouvement métaboliste japonais. L’homme est tout de suite captivé par les formes audacieuses de cette partie du bâti qui détonne du reste de la structure. Il découvrira surtout l’homme qui en est à l’origine et qui possède un tempérament bien trempé et des idées des plus délirantes…
Dave Cooper fait partie de ces auteurs essentiels au neuvième art. Essentiel car il en maîtrise tout le potentiel et qu’il n’hésite pas à tirer les fils dans les directions les plus improbables, sans peur de différer la cohérence de l’univers (si cohérence il doit y avoir) à plus tard. Organique, son dessin va à l’essentiel, tout en nourrissant une forme de délire perpétuel qui touche ses personnages. Des personnages dont il met en avant les faces cachées sans aucun far. Il faut saluer ici le travail des éditions Huber, qui, après avoir rendu accessible au public français l’œuvre déroutante et majeure de Shintaro Kago, nous propose aujourd’hui de suivre celle de Dave Cooper. Pour cela les grands moyens sont déployés autour de la parution d’un superbe artbook de plus de 200 pages (Mouthful A generous gulp of Dave Cooper – avril 2025) et de la réédition de Ripple, une prédilection pour Tina en deux formats (standard et édition limitée). Mais c’est bel et bien Doghead qui nous captive en cette année 2025, qui propose deux inédits de l’auteur. Deux plaisirs à suivre, puisqu’il ne s’agirait – pour les deux – que du premier volet sur six à paraître. Avec de tels débuts la suite des deux récits s’annonce prometteuse, inventive, délurée donc jouissive.
Scénario & dessins : Dave Cooper – Huber Editions – 68 pages – mai 2025 – 17 €
Watership Down
Watership Down fait partie de ces textes dont l’histoire de l’écriture et de la diffusion possède un intérêt, qui, bien que moindre par rapport au récit lui-même, mérite d’être raconté. C’est au début des années 70, que l’auteur anglais Richard Adams propose le texte aux éditeurs. Le récit est né quelques temps auparavant à partir d’histoires que le futur romancier racontait à ses filles. Adams essuie treize refus avant qu’un petit éditeur ne se décide à casser sa tirelire pour l’éditer à 2500 exemplaires. Le succès n’est pas immédiat, mais le roman jouit d’une très bonne presse. Reprit par Penguin Books et MacMillan aux Etats-Unis, le roman connaît un succès fulgurant et les ventes dépassent vite le million. Les traductions se multiplient alors dans les années 70, dont celle française de 1976, Les Garennes De Watership Down (Flammarion). Des rééditions régulières seront proposées périodiquement en France, en poche notamment, chez J’ai Lu avant que le texte entre dans un oubli relatif. C’est en 2016 que les éditions Monsieur Toussaint Louverture se décident à remettre le roman sur le devant de la scène. Pour cela elles proposent une traduction revue et corrigée par son traducteur Pierre Clinquart, et une couverture plus mystérieuse que les précédentes. Deux ans plus tard l’éditeur remet le couvert avec une nouvelle édition cette fois illustrée par Mélanie Amaral. Puis en 2020 le texte ressort dans un format semi-poche avant d’être remis en avant, de façon magistrale, en 2024, avec une superbe couverture dans le style qui fait aujourd’hui la touche de la maison bordelaise, accompagnée d’un superbe cartonnage. En ce second trimestre 2025 Monsieur Toussaint Louverture franchit une nouvelle étape en livrant l’adaptation en comics du texte d’Adams, due à James Sturm et Joe Sutphin. Le lecteur qui avait découvert le roman dans une des nombreuses éditions qui ont précédés, peut dès lors confronter les images qui ont émergées de sa lecture même du texte avec la vision personnelle et documentée des deux illustrateurs. La couverture, elle-même invitation au voyage, fait honneur au récit et pousse, pour ceux qui n’ont pas lu le roman – mais aussi les autres – à tourner les pages.
De quoi s’agit-il au juste ? D’une histoire de lapins engagés dans une lutte pour la survie. Fyveer et Hazel, son grand frère pâturent un soir dans leur garenne, quand le plus jeune des deux est frappé d’une vision. Il entrevoit un sol recouvert de sang, annonciateur d’un grand danger qui plane sur leur habitat. Fyveer est connu pour ses prédictions, notamment depuis qu’il a entrevue, en flash, les inondations de l’automne dernier. Hazel se décide alors à s’approcher du Maître pour le prévenir du péril et entamer les mesures d’évacuation de la garenne. Mais la vision de Fyveer ne sera pas prise au sérieux. Dans un geste courageux les deux frères vont alors se décider à quitter leur habitat, s’exposant aux risques de représailles, pour aller au-delà des territoires connus, à la recherche d’une nouvelle garenne. Cette épopée, effectuée avec quelques-uns de leurs semblables qui ont décidés de les suivre, ne va pas s’avérer de tout repos. Bien plus, elle deviendra une forme d’apprentissage de la vie, une quête initiatique, faite d’espoirs et de partages avec un but en commun : celui de vivre en paix sur un territoire nouveau propice au développement de leur communauté.
Dans un style graphique détaillé et immersif, les deux illustrateurs parviennent à nous faire sentir le vent qui couche les herbes grasses du sud de l’Angleterre. Ils donnent à sentir les écorces de bois humides et à capter le chant des oiseaux aux premières heures du jour. La chaleur du soleil en journée qui caresse les pelages et les fraicheurs des nuits qui raffermissent les chairs. Le tout avec une judicieuse mise en couleurs, et une maitrise parfaite du style animalier, dans lequel le lecteur peut percevoir les humeurs et les sentiments qui habitent chaque petite bête (lapins, oiseaux, chiens). Tout à la fois touchant et qui pousse à la réflexion. Un plaisir de lecture à chaque page qui invite au partage.
Scénario : Richard Adams & James Sturm – Dessins : Joe Sutphin – Monsieur Toussaint Louverture – 368 pages – avril 2025 – 32,50 €