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La BD du jour : Le coup de Prague de Fromental et Hyman chez Dupuis

Durant l’hiver 1948, dans la capitale autrichienne un homme et une femme vont se fondre dans un territoire empreint de secrets et d’enjeux à même de les perdre. Une fiction qui repose sur un épisode réel de la vie de l’auteur anglais Graham Greene. Envoûtant…

G (pour Graham Greene), scénariste anglais, débarque à Vienne avec l’idée de recueillir des informations pour son prochain film produit par un grand studio londonien. Il est accueilli à sa descente d’avion par Elizabeth Montagu qui l’assistera lors de son séjour. La troublante femme, espionne pour le compte des services secrets britanniques, comprendra très vite que la mission de repérage que G doit accomplir cache des dessins bien plus complexes. La ville, plongée dans un terrible blizzard, happe irrémédiablement ceux qui s’y perdent mais pourrait tout aussi bien révéler leurs secrets les plus enfouis…

Au sortir de la seconde guerre mondiale l’Europe de l’est repose sur un nid de ruines. L’Allemagne, mais aussi l’Autriche dans lequel le récit prend corps, se trouvent défigurées par les pluies de bombes qui se sont abattues sur leur sol, tandis que les états de l’est qui n’ont pas rejoint les puissances de l’Axe se remettent lentement du drame des occupations punitives orchestrées par un ogre à l’agressivité démesurée. Loin des préoccupations de reconstruction la présence d’enjeux qui échappent aux femmes et aux hommes du peuple, qui tentent tant bien que mal d’oublier le douloureux passé, vient bouleverser les croyances les plus élémentaires. Le coup de Prague prend  corps dans la Vienne de l’immédiat après-guerre, une ville qui a souffert du poids des bombes et qui se voit, comme peut l’être Berlin, partitionnée en quatre zones placées sous l’influence des nouvelles nations fortes. Dans ce terrain de jeu miné d’avance, les espions font leur job et la nuit se couvre bien trop souvent du masque de la mort. 


Un carnet portant le nom d’un certain Harpo, un photographe myope, un baron d’une autre époque, l’ombre de la mort qui rôde dans chaque rue, une strip-teaseuse qui n’a pas que ses charmes à offrir, des verres de whisky qui se remplissent et se vident entre deux résurgences d’un passé pas forcément lointain, un homme dangereux affublé d’un bec-de-lièvre et un écrivain en repérage pour un film qui pourrait bien cacher l’enjeu réel d’un séjour dans la Vienne romantique. Jean-Luc Fromental mêle les indices, les révèlent par dose homéopathique, en sachant perdre et retrouver le lecteur qui se voit ainsi délicieusement plongé dans un récit à plusieurs entrées dans un genre – le récit d’espionnage psychologique – qui porte l’accent sur les personnages en les plaçant de front face à leurs destins, à leurs doutes et à des évènements qui les dépassent parfois. Le dessin de Miles Hyman, subtilement immersif, fait penser à ces films des années 50 où chaque plan, chaque succession de scènes, découpés au cordeau, contribuent à faire croitre le suspense et la tension.

Le dessinateur américain trouve toujours le bon angle, la bonne approche, en se mettant au service des personnages et de cette ville qui dévoilent peu à peu une part infime de ses secrets. L’intrigue se délie dans un écrin où le suspense n’est finalement pas la seule mamelle narrative mais une des composantes à même d’offrir une dimension toute particulière à cet auteur redoutable qu’est Greene et à cette espionne aux charmes dévastateurs que peut être Elizabeth Montagu. Le déroulé narratif est pensé par Jean-Luc Fromental comme un hommage au film Le Troisième homme, écrit par Greene après un séjour de repérage effectué à Vienne. Le récit mêle ainsi faits réels et fiction dans une composition d’une rare érudition, accentuée par des dialogues puissants dans lesquels l’évidence du poids de chaque mot est manifeste…  Le coup de Prague, titre de l’album, fait référence à cette période de mainmise de l’URSS de Staline sur la Tchécoslovaquie en 1948. Le pays tenté par une ouverture sur l’extérieur, au travers du généreux plan Marshall de reconstruction, devait basculer idéologiquement vers un communisme forcé qui le propulsait de facto dans les affres d’une guerre froide qui devait durer plus de quarante ans. Un des albums marquants de ce premier semestre, fin, savoureux, qui capte de bout en bout.

Fromental/Hyman – Le coup de Prague – Dupuis – 2017 – 18 euros


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