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La BD du jour : Epiphania de Ludovic Debeurme (Casterman)

Le monde connu n’est plus. Un soir comme les autres la Terre connait un cataclysme sans précédent. Au sortir du tsunami qui a tout ravagé une nouvelle société apparait au travers d’enfants nés dans la terre qui développent des corps mi-humain, mi animal. Très vite la cohabitation pacifique entre les deux « espèces » vire à l’affrontement…

David est guitariste et fait toutes les nuits des rêves étranges construits autour de sa peur de la paternité. Son amie Jeanne, persuadée que son couple souffre de cette situation propose de rejoindre un stage de développement personnel qui pourra peut-être sauver leur amour. Les deux débarquent sur une île où ils sont, comme d’autres couples, pris en charge par un coach qui les accompagnera dans leur reconstruction. Mais alors qu’ils viennent tout juste d’arriver, un orage frappe durant la nuit suivi par un tsunami qui dévaste tout. Seul David et son coach survivront au cataclysme. Chose étrange juste avant que la vague emporte tout, vies comprises, trois météorites traversent le ciel pour s’écraser sur Terre à une distance difficile à estimer. Alors qu’il tente de regagner sa maison sur la terre ferme l’homme découvre des sphères étranges qui se développent en plusieurs endroits. Des têtes de nouveaux-nés en devenir qui, arrachés trop tôt à la terre ils se désagrègent en cendres. Dans son jardin David observe une de ces têtes. Et tout se chamboule en lui, dont cette phobie de la paternité…

Après nous avoir séduit avec Trois fils et Un père vertueux, parus tous deux chez Cornélius, Ludovic Debeurme nous revient avec un récit aussi étrange et troublé que les précédents, construit cette fois si non pas autour d’un univers habité d’un symbolisme onirique mais d’une SF angoissante tirant vers l’anticipation. Si le genre diffère des précédents projets, l’auteur poursuit son étude des thématiques qui le taraudent depuis un certain temps à savoir, la paternité, la famille, l’enfance troublée, la différence. Le tout se voit ici lié par une tension permanente autour de la découverte d’enfants mi-humains mi-animaux, baptisés Mixbodies ou Epiphanians qui vont bouleverser l’ordre social établi et faire ressurgir des élans nauséeux et communautaristes. Dans ce rapport à l’autre l’espèce humaine entretien deux rapports distincts, soit l’acceptation voire l’adoption des nouveaux enfants, soit le plus grand déni, et la tentative sécuritaire qui passe par un rejet pur et simple qui emprunte autant aux organisations suprématistes, qu’aux régimes totalitaire et génocidaires.  Entre les deux des médecins, chercheurs et sociologues réalisent des études comportementales qui vont jusqu’à se pencher sur l’origine des Mixbodies et leur évolution morphologique. David le héros de ce récit va dépasser sa propre phobie de la paternité pour élever seul un Mixbody s’exposant du même coup à la violence d’une société déboussolée.

Ludovic Debeurme livre un récit d’une réelle force intrinsèque. Jouant sur une observation fine des travers de nos sociétés, il entend, par son art, sa vision d’auteur, questionner notre vision de thèmes fondateurs. Un album puissant par son fond remarquablement mis en scène dans un récit graphique qui pousse le héros principal dans ses derniers retranchements et le force à une nouvelle remise en question. Sur la forme le dessinateur offre un gauffrier classique, en six cases parfaitement carrées, ce à quoi nous n’étions pas forcément habitués. Pour cadrer et laisser l’imaginaire se développer sur ce qu’il y a autour. L’auteur ne renie pas sa liberté d’approche, mais précise que l’idée est qu’« à l’intérieur il y a de la vie et beaucoup de rigidité, de cadres autour ». La tension palpable qui se tisse au fil du récit, qui dérape vers une opposition frontale entre humains et mixbodies mais au-delà entre humains ou mixbodies eux-mêmes, démontre la complexité des relations et des contextes possibles dans une société qui semble plonger dans un chaos que rien de ne peut arrêter. Si l’influence de Charles Burns ou de David Clowes est indéniable, Debeurme propose un récit singulier, profond tout en travaillant sur le côté esthétique de son cadre relevé par des couleurs qui prennent sens. Brillant !

Ludovic Debeurme – Epiphania – Casterman


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