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Choix et conséquences, quand la BD questionne les consciences…

La vie est faite de choix et de ces choix dépendent bien souvent des destins qui se tissent et s’étirent sur des entrefaites pas toujours claires. Difficile de prendre la ou les bonnes décisions quand le poids de la société dans laquelle nous vivons nous ramène en pleine face les valeurs acquises et une moralité construite sur le vécu de tant de générations. Le choix se résume parfois à ne pas en avoir vraiment, et le moins pire s’impose souvent au meilleur pour ne pas froisser une famille, des collègues de travail, des amis proches ou d’autres encore. Le droit à l’IVG exposé de manière magistrale par le couple Désirée et Alain Frappier dans Le Choix reste toujours difficile à défendre contre les scléroses de la pensée bien-pensante, conservatrice à souhait et assurément vomitive. Faire son coming out n’est pas plus facile, ni plus compris par tous, comme il n’est pas facile de fuir son pays pour tenter de vivre mieux dans un ailleurs fantasmé. De nos choix dépendent des vies, des espérances et l’idée que l’avenir peut aussi, pour une fois, ne pas nous exposer sa face la plus sombre…

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Mona de Vidal et Bertrand – Les enfants rouges (2015)

Il est des moments pas vraiment faciles à vivre qui nous rappellent au passé, à des épreuves traversées, qui, si elles nous ont fait avancer dans la construction de celui que nous sommes, n’en restent pas moins des expériences douloureuses. Dans sa chambre d’étudiante Mona fait sa valise puis s’assied sur son lit pour penser à sa grand-mère qui vient de partir : « Il paraît qu’elle n’a pas souffert, elle est morte sur le coup ». Si cela peut rassurer, le chagrin lui reste bien présent pour la jeune fille qui embarque à bord d’un TGV à destination de ses terres de Saint-Malo. Là-bas elle sait qu’elle y retrouvera sa famille, ses proches, Gaël son ex qu’elle n’a pas vu depuis trois ans et d’autres qu’elle ne connait pas encore. Les jours, les mois, les années passent mais les souvenirs douloureux restent parfois nichés durablement dans les esprits. Même si elle sait que la page est tournée avec Gaël, elle sait aussi que les retrouvailles ne sont jamais évidentes. Ce voyage vers le passé sera pourtant pour Mona une véritable thérapie qui la fera grandir un peu plus encore. Tout le monde aimait cette grand-mère un peu décalée qui n’hésitait pas à valser sur du rap, qui avait fort caractère mais qui possédait une âme. Elle aura eu le mérite, dans une dernière pirouette, de rassembler ces personnes éloignées qui, par trop muettes, ont pourtant bien des choses à se dire…
A l’origine de cet album au format carré, un roman d’une centaine de pages publié chez Oskar éditions par Séverine Vidal. Puis l’idée d’en faire une adaptation en BD, média que Séverine Vidal a approché pour des albums jeunesse. Le tout publié par un éditeur exigeant, Les Enfants rouges. Il faut retenir de cet album un récit d’une extrême sensibilité, qui s’attache à creuser les âmes de ses deux personnages principaux, Mona, la jeune ado un brin fragile qui se pose encore pas mal de questions et Gaël, son ex qu’elle va revoir par l’entremise du décès de sa grand-mère. Si nous suivons de près Mona, c’est au travers du journal intime de Gaël que la dramaturgie se nourrit. Le jeune homme expose le passé commun, la déchirure, mais aussi son homosexualité qu’il a tant de mal à révéler à Mona. Le sujet pourrait paraître simple en ce sens qu’il parle de vie, de tendresse et d’amour mais se densifie dans le traitement des relations parfois complexes qui rapprochent les hommes et les femmes. Séverine Vidal ne sombre jamais dans le pathos, qui aurait pu ruiner l’effet escompté et s’appui à bon escient sur le dessin de Mathieu Bertrand. Un dessin d’une grande lisibilité qui soutient le texte avec une efficacité rare et sait prendre le relais lorsque le texte se fait moins présent pour délivrer l’émotion du moment. Le traitement en bichromie bleu, un découpage astucieux participent à révéler un projet comme on les aime, dans lequel l’apparente simplicité cache de véritables pépites sur la vie et ses vicissitudes…

Vidal & Bertrand – Mona, les petites marées – Les Enfants rouges – 2014 – 14 euros

 

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Le Choix de Désirée et Alain Frappier – La Ville brûle (2015)

Parce que notre société est ainsi faite que certains pensent encore que l’IVG est la pire des solutions, qu’interrompre la vie n’a pas de nom, qu’il est pourtant si simple de prendre ses précautions pour éviter de tomber enceinte si on ne le souhaite pas, le roman graphique proposé par Désirée et Alain Frappier entend replacer la loi et le contexte particulier au cœur d’un éclairage historique et sociétal. Au-delà il invite à une réflexion de fond sur le droit des femmes à disposer de leur corps, à prendre les décisions en tenant compte des paramètres qui pourtant échappent à tous les moralisateurs. Car non il n’est pas facile pour une jeune femme de se dire qu’elle va devoir avorter. Car la pression qui s’exerce autour d’elle devient difficile à vivre. Le discours moralisateur qui se forge sur les piliers de la famille se décompose presque toujours en tirades qui évoquent tour-à-tour l’inconscience, la légèreté du comportement, l’irresponsabilité, le regard qu’il faudra supporter de l’autre et le droit pour l’enfant à vivre. Le tout sous couvert de valeurs éthiques et religieuses qui nient l’être en gommant les particularismes. Pourtant l’acte médical en lui-même n’est pas des plus confortables. Il est faux de croire que l’on va se faire avorter comme on va chez le dentiste. Le penser en viendrait à infantiliser les femmes et à penser que ce choix n’est pas mûrement pensé, avec son lot de conséquences et de séquelles sur le corps et sur l’esprit, qui marquent pourtant à jamais.
La France n’est malgré tout pas le pire pays en matière de droit à l’IVG, portée qu’elle est par le texte de la loi Veil, votée au Parlement en 1975. Pourtant le regain des conservatismes et de cette pensée moralisatrice qui sévit jusqu’à nos frontières (le cas espagnol avec le projet de loi d’Alberto Ruiz Gallardon est évoqué par les deux auteurs. Ce projet présenté uniquement en conseil des ministres n’autorisait l’IVG qu’en cas de danger avéré pour la santé physique ou psychologique de la femme, mais ne considérait pas comme recevable les cas de malformation du fœtus) prouve qu’il n’est pas inutile de réexposer cette dure conquête d’un droit parfois contesté. Les deux auteurs le font comme ils en ont l’habitude, en mettant dans le projet beaucoup d’eux-mêmes, en revenant aux sources (journaux de 1975, texte de loi, témoignages, analyse comparée…), en tentant de mettre en lumière la lutte acharnée de femmes et d’associations qui ont œuvré à placer la problématique au cœur du débat et en plaçant leur propre vécu dans le projet. Le dessin et le découpage du récit se fait peut-être plus précis et plus immersif que les deux premiers projets proposés par Désirée et Alain Frappier, peut-être en raison du sujet ou de l’expérience glanée sur les travaux de synthèse dont ils nous gratifient depuis Dans l’Ombre de Charonne. Comme le précise Annie Ernaux en quatrième de couverture de cet album, « Le Choix, travail de mémoire et de vigilance, est aussi un manifeste pour une vie libre et heureuse ». On ne saurait mieux dire et, comme l’auteure de La vie extérieure, nous pensons qu’il n’est pas inutile de se souvenir et d’avancer pour décloisonner les esprits qui ont parfois tendance à se refermer sur eux au point de remettre en question nos droits fondamentaux. « C’est tout de même chouette de vivre quand on est désiré(e) » dit le texte d’une affiche à l’époque du grand débat public sur le droit à l’IVG, ce slogan peut se muer sans peine en manière de concevoir et d’envisager la vie, une vie au cœur de laquelle l’enfant désiré, n’est ni objet, ni accident mais bel et bien la preuve d’un amour partagé.

Désirée et Alain Frappier – Le Choix – La Ville brûle – 2015 – 15 euros

 

Le sculpteur

Le Sculpteur de Scott McCloud – Rue de Sèvres (2015)

David Smith, jeune artiste plasticien se consacre entièrement à sa vie d’artiste. Il a même obtenu, alors qu’il n’était qu’étudiant, les honneurs des galeristes à une époque où il est difficile de sortir du lot. Cependant, la frénésie d’un début de carrière  prometteur a laissé la place au doute, au point que le sculpteur vivote et peine à joindre les deux bouts. Alors qu’il dépense ses derniers dollars dans un fast food sans âme, il est accosté par un homme étrange qui n’est autre que son oncle Harry. Les deux engagent alors la conversation, David tentant d’expliquer à son oncle ses déboires du moment et une situation qu’il ne maitrise plus. « Chaque nuit, je les vois… Toutes ces choses grandes, belles, gigantesques que je pourrais faire… Elles sont si réelles que je pourrais presque les toucher. Mes rêves ne font que grandir, Harry. Alors même que la possibilité de les réaliser s’amenuise… » se confie-t-il un brin désabusé. David donnerait sa vie au diable pour retoucher au plaisir de sculpter ce qu’il imagine dans ses rêves les plus fous. Un souhait qui pourrait bien se réaliser mais qui comporte pourtant un prix fort à payer… une vie reprise dans tout juste 200 jours par celui qu’il ne pensait pas revoir… Scott McCloud n’est pas un petit nouveau dans la sphère du comics. Ses premiers albums parus au milieu des années 80 excellent bien souvent dans la construction narrative qui démontre une maîtrise réelle du média. Cette maîtrise, l’auteur l’a mise en avant en proposant des ouvrages pédagogiques majeurs qui ont amené toute une génération à une réflexion de fond sur le neuvième art : L’Art invisible et Faire de la bande dessinée, publiés en France à partir de la fin des années 90. Il revient en cette année 2015 avec une nouvelle fiction qui démontre que le théoricien sait appliquer ses astuces et son expérience pour porter son récit. Pourtant, l’exercice aurait pu très vite s’avérer devenir un piège pour Scott McCloud car l’auteur américain était forcément attendu au tournant. Il parvient avec Le Sculpteur pleinement à ses fins. Le récit, une relecture de Faust version contemporaine, aurait pu très vite déchanter car pas vraiment nouveau sur le fond, tout comme il aurait pu se perdre dans des dédales et des abysses découlant d’une pagination pas vraiment avare (près de 500 pages tout de même !). Que nenni ! l’auteur américain parvient dès les premières planches à prendre le lecteur avec lui et à le transporter à travers un New York qui devient parfois le théâtre d’un décloisonnement esthétique et artistique qui devient de fait une véritable réflexion (et critique) de l’art contemporain ou plutôt de ceux qui évoluent dans cet univers un brin prout-prout où le talent ne suffit pas à révéler son talent. La grande force de l’ouvrage tient dans la capacité de l’auteur à mener son récit, à faire que, finalement, malgré cette pagination lourde, aucune planche ne semble superflue, bien au contraire, chacune composant un rythme qui parfois s’accélère, parfois décroit, mais s’inscrit parfaitement dans la mise en ambiance. L’histoire simple du départ se dope de tout un tas d’éléments et de personnages qui composent une véritable fresque contemporaine qui marquera les esprits, tout du moins de ceux qui se plongeront dans le récit. A noter l’effort de l’éditeur de proposer l’album à un prix raisonnable malgré la lourdeur de l’objet. Du beau travail qui démontre que l’on peut encore surprendre à partir de thèmes déjà explorés à maintes et maintes reprises.

Scott McCloud – Le Sculpteur – Rue de Sèvres – 2015 – 25 euros

 

La Favorite

La Favorite de Mathias Lehmann – Actes Sud (2015)

Ce récit est celui de Constance, une jeune fille terrorisée par une grand-mère pas vraiment agréable à vivre. Une grand-mère qui, nous le découvrirons au fil de cette édifiante histoire, se plait à la maltraiter, physiquement et psychologiquement, pour mieux la contrôler et lui éviter, par la découverte de la vie et de ses plaisirs simples, de s’affranchir. L’histoire est racontée par Constance elle-même, qui se révèle être en réalité… un jeune garçon. Le récit, par les révélations a posteriori qu’il expose aux yeux de tous dépeint tout le tragique d’une situation. La maltraitance du jeune garçon n’étant qu’un élément de cette vie qui se lit comme un véritable cauchemar éveillé dans lequel prennent corps un grand-père alcoolique totalement sous la coupe de sa femme qui le manipule sans vergogne, des voisins, dont une jeune fille Lydie pas forcément tendre et son frère Mano, qui lui font pourtant découvrir et approcher une chose nouvelle pour lui, les rapports, jeux, et échanges avec d’autres enfants. Car Constance, cloisonnée qu’elle est dans un monde en déliquescence, celui de la vaste demeure qui décrépit au fil des ans, en raison de revenus et de rentes insuffisants pour assurer des travaux à minima, celui de grands-parents usés par le poids des ans, celui d’un village et d’une société pas vraiment tendre faite de violences et de toutes ces petites choses qui parviennent au jeune garçon comme de vraies agressions, va pourtant découvrir la vie. Dans cet isolement du monde, l’enfant va donc essayer de se reconstruire au travers d’un corps qu’il redécouvre et apprend à mieux connaitre. Dans cela il sera aidé par une rébellion salvatrice et inespérée d’un grand-père poussé à bout et retrouvant une étincelle de lucidité qui précipitera la chute des uns pour mieux propulser le jeune garçon, coupé depuis son plus jeune âge de ses parents, dans un monde où l’espérance peut enfin se muer en une vie plus harmonieuse.
Au travers de ce récit, Mathias Lehmann affirme avec force de singularité sa propension à nous surprendre par le traitement même de ses sujets. Ici il parvient en quelques planches à poser l’horreur d’une situation au travers du regard d’un enfant qui vit dans une vérité qui n’est qu’un aperçu de la réalité, un microcosme construit et alimenté de manière diabolique par une pseudo grand-mère qui a quitté depuis longtemps la sphère de la raison. Se faisant, les découvertes faites tout au long du récit alimentent cette roue de l’horreur de laquelle Constance, ce petit garçon qui ne découvrira son véritable prénom qu’une fois achevé le tragique dévoilement d’une situation à peine concevable, devra se libérer. Sur la forme Mathias Lehmann, sous un trait très travaillé qui se rapproche de la gravure, décloisonne véritablement son récit laissant tomber les cases pour construire son déroulé sur des planches libérées de toute contrainte, des doubles-pages qui posent le cadre, des enchainements de situations qui rythment un récit qui ne s’enferme pas dans une forme par trop pesante. Le texte lui-même montre une réelle capacité à suggérer et porter le récit. Cisaillés dans le roc, ils parviennent avec peu à dépeindre un décor ambiant relativement noir : « Enfant, le grenier de ma grand-mère me terrorisait » qui introduit l’album se révèle immersif à souhait, tandis que le « Je n’en revenais pas de côtoyer des enfants de si près » souligne l’effarence d’une situation. L’insertion de micro-histoires imaginées par Constance/Maxime dans la trame générale apporte, au milieu de l’horreur de la situation, une douce lumière : l’enfant meurtri n’est pas bien différent des autres têtes blondes de son âge, plein d’imagination et sûrement d’espoir. Un récit précieux publié par un éditeur exigeant qu’il convient assurément de découvrir !

Mathias Lehmann – La Favorite – Actes Sud – 2015 – 23 euros

 

En quarantaine

En quarantaine de Joe Ollmann – Presque Lune (2015)

C’est le parcours d’un mec ordinaire qui vient d’entrer de plain-pied dans les affres de la quarantaine, une dizaine galopante où tout, ou presque, tourne en vrille. Le ventre mou et tombant, les bourrelés plus que décoratifs, la libido en berne, John redécouvre pourtant les joies de la paternité. Père de deux filles issues d’un premier mariage célébré bien trop tôt alors qu’il venait tout juste de sortir de l’adolescence, le voilà à devoir de nouveau composer avec les couches sales, les cacas débordants, les problèmes au boulot et une remise en question personnelle qui lui donne des sueurs froides. Dans cette histoire nous suivrons aussi le parcours de Sherri, une chanteuse pour gamins qui se produit dans des shows TV du type Club Dorothée accompagnée de singes particulièrement ridicules et bondissants. Elle aussi se trouve à un tournant de sa vie. A la fois sur le plan personnel et sur le plan professionnel. Les deux se rencontreront pour boire et parler de leurs déboires (en fait surtout Sherri), ils symbolisent ce que les quadras ont de plus sincère et défrisant en eux. Hautement humains, un peu décalés, prompts à l’écart de trop, ils nous font finalement tendrement sourire…
Dans cet album un peu déjanté de Joe Ollmann, canadien qui, tient tient, se trouve lui-aussi dans la quarantaine, on trouve des phrases qui deviendront cultes : « Ces gens-là t’offrent le contrôle total de la créativité sur cette émission et, en plus, ils sont bourrés de fric. Du fric de chrétiens de droite américains, d’accord, mais avec la garantie d’une entière liberté » ou « Une fois mon père m’a dit que devenir adulte c’est en grande partie apprendre à avoir peur de certaines choses. Je dois certainement être adulte maintenant parce que j’ai tout le temps peur de presque tout » ou le plus terre à terre « Aucune quantité d’antitranspirant ne pourrait venir à bout de la sueur que je produis en ce moment ». Je vous épargne pour cette chronique les tirades plus pipi-caca qui virent parfois au scatophile mais cela vous donne une idée de l’approche textuelle. On retrouve aussi dans cet album des situations cocasses que certains d’entre vous (dont j’avoue faire partie) auront déjà vécues, des moments de purs délires, des pétages de plombs en bonne et due forme, des réflexions existentielles et d’autres plus terre-à-terre. Pour tout dire, une fois achevée la lecture de cet album à couverture rigide au cours de laquelle je confesse avoir, comme souvent, rigolé sur les scènes de caca et de vomi de nourrissons au top de leur forme, l’impression demeurait que, au bout du bout de tout ça, nous n’avions pas vu défiler les 175 pages de ce pavé. Comme si nous nous l’étions un peu accaparé. Un album qui, sur la forme ne paie pas de mine (découpage ultra-classique en 9 cases par planche) mais qui sur le fond s’impose comme une belle et grande surprise, un condensé de la vie des quadras, des hommes (surtout) et des femmes qui veulent encore en imposer mais qui se doivent de rester réalistes car le plus dur reste à venir et le futur n’est pas vraiment un ami. Un album qui affiche aussi un sens aigu de la répartie et une autodérision particulièrement maitrisés qui font du bien…  Bravo à Joe Ollman et aux Editions Presque Lune de nous proposer ce récit sincère et poignant dans lequel nous compatissons pour les personnages d’autant plus largement que nous nous retrouvons un peu (voire beaucoup) en eux !

Joe Ollman – En quarantaine – Presque Lune – 2015 – 24 euros

 

Les mains invisibles

Les mains invisibles de Ville Tietäväinen – Casterman (2015)

Il existe encore aujourd’hui des Eldorados, des pays aux riches promesses qui sonnent comme autant d’espoirs pour des peuples affamés ou contraints à vivoter en attendant mieux. Tout du moins c’est ce que veulent bien croire ces hommes et ces femmes qui embarquent chaque jour plus nombreux sur des canots pneumatiques à destination de l’Espagne. Ils sont originaires du Maroc ou d’Afrique noire et entreprennent le grand voyage dans l’espoir d’améliorer leur sort mais aussi et bien souvent celui de leur famille restée au pays. C’est le cas de Rachid pour qui l’Espagne devient un fantasme de tous les instants. Un pays où, comme le dit un de ces amis, « en tendant la main, on pourrait presque ramasser une poignée de sable d’or ». Les rêves les plus fous se nourrissent de toutes les chimères colportées et servent bien souvent à nourrir des hommes qui se font passeurs et récoltent un argent sonnant et trébuchant sans pour autant se mettre véritablement en danger. Là réside le premier nuage gris dans ce rêve rose, un rêve qui pourtant ne s’en trouve guerre égratigné, l’espoir et le choix assumés suffisant à le dissiper. Puis l’horreur s’exprime une fois les côtes promises en vue. Parfois il est possible d’échapper aux garde-côtes qui veillent à « récupérer » ceux qui s’échouent sur les plages. Pour les plus chanceux, il est alors possible de trouver un travail dans ces milliers de serres qui pullulent dans le sud de la péninsule. Des serres qui fournissent l’Europe en légumes bon marché, des légumes surnourris aux pesticides qui détruisent les corps de ceux qui ne sont pas trop regardant ou qui ne peuvent espérer mieux. Dans les bidonvilles qui s’élèvent à proximité des champs infestés, l’enfer veille, sans état d’âme. Les hommes eux avancent tant qu’ils ne se cambrent pas au sol surpris par la rudesse du climat et des effluves des produits toxiques qui s’échappent encore d’une terre délavée pour des décennies et des décennies. Les corps meurtris par le travail acharné vomissent leurs tripes et s’affaiblissent encore. Pour Rachid, la fuite devient évidente et nécessaire…
Les mains invisibles se lit comme une fiction mais tire son réalisme d’une enquête menée sur le terrain, au Maroc et en Espagne, par son auteur, Ville Tietäväinen. Le résultat s’impose comme un témoignage choc sur les espérances de l’émigration mais aussi sur les conditions d’accueil des hommes et des femmes qui parviennent à fouler le sol de l’ancienne Europe. Le retour au pays ne s’envisage pourtant même pas comme la solution ultime. Car l’espérance reste vivace et l’amour-propre finit par décourager la raison. Il y aura forcément mieux ailleurs. L’ailleurs, cet inconnu magique alimenté par les publicités qui exposent des richesses promises. Alors les hommes continuent à croire… La face cachée de tout cela se lit dans l’aliénation qui guette et l’acculturation progressive qui efface des esprits les valeurs les plus élémentaires. Au final, la résignation rattrape progressivement les corps mais aussi et surtout les esprits. Ville Tietäväinen expose tout cela sans voyeurisme, sans juger le choix des hommes mais sans rien cacher non plus des travers de cette immigration qui profite à tout un pan de l’activité économique européenne. Cela permettant à ce que les puissants ferment les yeux, dans l’intérêt de nantis tout sauf scrupuleux…

Ville Tietäväinen – Les mains invisibles – Casterman – 2015 – 27 euros

 

Et aussi…

Beauté

Beauté de Kerascoët & Hubert – Dupuis (2014)

Beauté, conte moderne décalé, expose le destin d’une femme de l’ombre, Morue, qui doit son nom à l’odeur qui transpire de ses pores en raison du travail d’écaillage qui l’occupe tout au long de la journée. Peu gâtée par la nature elle est promise aux quolibets et autres moqueries. Pourtant, un jour, au détour d’une marre, elle croise la fée Mab qui va lui offrir un don. La jeune femme demandera la beauté : « Les autres filles ont toutes quelque chose de bien, toutes ont des amoureux, et personne ne s’intéresse à moi« . Mab dans sa grande générosité transformera non pas la nature de Morue, Laide tu es née, laide tu resteras, mais la perception que les autres ont d’elle. Et cela fonctionnera mieux qu’espéré au point de causer la perte de plusieurs seigneurs puissants et de plusieurs rois…
Publié en trilogie par volets de 48 pages, Dupuis propose une version intégrale de ce conte remarqué et remarquable en proposant la version des planches originales réalisées en bichromie (noir et blanc relevé d’aplats dorés). Un épilogue inédit complète cette version luxueuse qui affiche une couverture d’un rosé légèrement fluo. Une édition que l’on aime prendre en main et qui démontre qu’il est possible de proposer des intégrales qui apportent quelque chose en plus aux éditions « classiques ». Du beau travail !

Kerascoët & Hubert – Beauté, l’intégrale – Dupuis – 2014 – 39 euros   


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