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Combat épique en territoire viking…

Angoulême reste un formidable moyen de rencontrer en peu de temps tout un lot d’auteurs de BD, qu’ils soient scénaristes ou dessinateurs, et donc de pouvoir aborder avec eux leurs travaux récents et à venir. Un moyen pour nous de vous proposer quelques news, beaucoup de fraîcheur dans les réponses spontanées des auteurs qui se livrent sans arrière-pensées. Bref un moment privilégié pour parler 9ème art et parfois bien plus que cela… Aujourd’hui nous allons donner la parole à un duo qui fonctionne, qui tire sa force de cette osmose qui se lit au travers des planches qui se succèdent… Bienvenue en territoire viking !

 

A la base un bon récit d’aventures dans un cadre dépaysant, le grand nord, en territoire viking. Un guerrier plutôt asocial et pas franchement sympathique au premier abord, affublé d’un handicap qui aurait dû lui ouvrir tout droit l’entrée du monde réservé aux skraëlings, ces enfants malformés à la naissance et qui se doivent d’être exécutés pour ne pas perturber l’ordre divin. Pimentez le récit d’un combat épique entre ce rejeté de la société et un monstre marin qui trouble la vie du peuple viking et menace jusqu’à son extinction par les attaques répétées qu’il opère avec une force brute incommensurable, et vous obtenez Asgard, un récit parfaitement maitrisé par ses auteurs, Xavier Dorison au scénario et Ralph Meyer au dessin, qui insufflent à travers les planches offertes la fraîcheur qui sévit sur ces territoires reculés d’un monde bouleversé.

Nous avions laissé Asgard et ses compagnons de lutte au terme d’une confrontation sanglante dans laquelle les hommes avaient livré un combat épique même s’ils s’étaient heurtés à la puissance du monstre, murène géante au corps hypertrophié. Asgard, en parvenant à harponner le Kroken, pensait avoir fait le plus dur mais son corps restait introuvable. Même si pour le guerrier la mort du monstre ne souffrait d’aucun doute, elle ne pouvait pourtant être totalement garantie… De ce combat Asgard ne devait conserver que deux compagnons de route, Sieglind et Kristen, deux femmes de conviction prêtent à mourir à ses côtés pour arriver à remporter ce combat de rejetés, de marginaux de la société. Nous découvrirons dans le second et dernier volet de ce diptyque que le combat avec le Kroken n’est pas encore achevé, mais surtout que le vrai combat se trouve peut-être ailleurs, dans cette lutte d’Asgard contre lui-même, dans cette nécessité pour lui de composer avec ce qu’il est devenu par son isolement, par la vie pas forcément facile que lui a réservé un destin sans grandes faveurs. La confrontation avec le Kroken sera donc un double combat, un de ceux qui ne se gagne qu’en ayant suffisamment pris de recul pour mener une introspection salvatrice qui permettra à l’homme d’avancer. Alors seulement les eaux du Northland pourront retrouver leur calme et leur sérénité.

Le scénario laisse la part belle aux personnages qui s’épaississent dans ce second volet et acceptent de se livrer. Le dessin de Ralph Meyer opère une séduction réelle dès les premières planches construites sur un rythme moins effréné pour accompagner le scénario dans ses intentions. Il parvient surtout à poser une ambiance, un contexte cousu habilement avec un jeu de cadrages subtils qui servent le propos. Au final même si la trame de ce récit a pu être traitée ailleurs, elle offre une vision d’auteurs sur le thème de la volonté de vaincre ses propres peurs, ses propres démons et (re)construire, sur les ruines du passé, un devenir si ce n’est meilleur au moins plus en adéquation avec ses propres valeurs…

Dorison/Meyer – Asgard T2 – Dargaud – 2013 – 13,99 euros

 

 Interview avec les auteurs

Pouvez-vous nous dire comment à germée l’idée de travailler sur Asgard ?
Xavier Dorison : En fait nous avions une demande d’une des maisons d’édition du groupe Media participation pour faire une histoire autour des mondes vikings. Il m’est venu assez rapidement l’idée d’une confrontation entre un personnage et un monstre. Accessoirement j’avais l’envie de traiter de façon un peu détournée la question du handicap et la façon de le surmonter, un peu comme a pu le faire en son temps Melville dans Moby Dick. A partir de là nous avons évoqué le sujet avec Ralph, nous nous en sommes emparé et Asgard est progressivement né.

Quel était votre degré de connaissance des cultures nordiques et notamment vikings ? Quelles ont été vos sources ou références avant d’attaquer ce projet ?
X. D : J’ai fait quatre cycles universitaires sur le sujet et j’ai une agrégation sur la culture de Scandinavie du Nord (rires) ! Non pour être sérieux mon degré de connaissance n’était pas très élevé en la matière…

Ralph Meyer : Pour moi c’est un peu la même chose. J’avais surtout cette envie de quitter un peu les territoires graphiques que j’avais utilisés auparavant et qui tournaient vers le contemporain en milieu urbain. L’envie de dessiner des fjords et ce type de paysages nordiques était réelle pour moi.

Le personnage d’Asgard n’aurait jamais dû vivre en raison de sa malformation. Comment s’est imposée l’idée de proposer un héros qui possède un handicap physique ?
X. D : Si j’étais un peu cynique, je dirais que d’un point de vue scénaristique et pragmatique, plus on handicape un héros au départ, plus il souffre, plus il va attirer la sympathie du lectorat. Ensuite, pour des raisons personnelles ce thème m’intéresse, mais je ne voulais pas le traiter de face, par exemple avec un héros handicapé de nos jours dans un centre de rééducation. Je ne voulais aborder ce thème de façon aussi directe. Mon métier c’est de mentir, de créer une sorte d’universalité. Mon personnage a quelque chose qui ne va pas dans sa vie, puisqu’il est né rejeté de la société. Je suis parti de là, de ce côté « je ne suis pas né comme j’aurai du naître, je ne suis pas né comme les autres, je suis différent, j’ai un problème ». Je me suis dès lors posé la question de savoir comment, dans un monde viking éloigné de nous, on pouvait traiter cela.   

Ce type de héros pas forcément sympathique, un peu asocial représente malgré tout une forme classique de héros…
X.D : Le personnage un peu asocial, pas tout jeune me fascine pour tout un tas de raisons. A partir du moment où le personnage est plus âgé il possède un vécu. L’âge permet donc de charger les personnages en expérience et crée une attente au niveau du lectorat. Asgard donne l’image de quelqu’un d’asocial, de presque cynique, et dès lors que je le présente sous cette carapace, j’ai toute latitude pour surprendre, pour m’appuyer dessus et montrer que bien entendu il a un cœur d’or.

La première partie possède un rythme plus rapide avec beaucoup d’infos qui nous parviennent. Dans la seconde partie le personnage se pose plus de question sur le sens de son engagement, son rapport aux autres… Comment s’est fait le découpage de la série ?
X. D : D’une manière générale on ne parle pas aux gens de nos problèmes lorsqu’on vient juste de les rencontrer. C’est une fois que les gens se connaissent plus et qu’ils traversent des épreuves communes que la confiance s’installe. Ce n’est qu’une fois ce stade atteint que l’on se dit de vraies choses. Si un type accoudé au bar te dit qu’il a des problèmes, tu peux être sûr que ses vrais problèmes ne vont pas être ceux qu’il va te révéler dans l’instant mais qu’ils sont ailleurs. C’était normal d’arriver dans la profondeur des personnages dans le second volet même si le premier donnait déjà des pistes.

Le face à face entre le monstre et Asgard domine l’album, on sent que seul ce skraëling pourra le vaincre car il est peut-être le seul à pouvoir le comprendre. Finalement peut-on dire qu’Asgard se reconnait dans le Krokken et que les deux partagent plus qu’il n’y parait ?
X. D : Oui effectivement c’est de cette ressemblance que vient la compréhension d’Asgard. Ils partagent la même obstination, la même détermination. A vrai dire le monstre qu’Asgard doit vaincre n’est pas celui qui rôde sous les eaux du Northland, mais bel et bien lui-même, c’est-à-dire son tempérament qui l’amène à s’auto-apitoyer, à être en colère. Le vrai monstre qu’il doit vaincre, comme dans beaucoup de mes personnages, c’est sa propre haine, sa propre colère. Et s’il y parvient c’est justement car il a rencontré Sieglind.

A ce sujet une planche reste majeure dans la deuxième partie de cette série, celle où Asgard voit son reflet dans la pupille de la bête alors qu’il s’apprête à l’abattre. Il interrompt le geste en se disant « Ne soyons pas plus inhumain que le Kroken ». Est-ce cette lecture qu’il faut avoir ?
R.M : C’est le moment où il se voit en miroir dans l’œil de cette grande murène. Il est évident que c’est l’instant où il prend conscience de toute cette colère et qu’il peut enfin en sortir et la laisser derrière lui. Donc effectivement on peut dire que c’est un moment-clé du récit.

Au niveau du dessin as-tu rencontré des difficultés sur certains passages ou certaines représentations ? Je pense par exemple à la neige, l’eau ou la glace qui ne sont pas les choses les plus simples à figurer.
R. M : Une des difficultés dans le tome 2 était de représenter cette murène géante avec cet aspect monstrueux, chose qui n’était qu’effleurée dans le premier tome. Cela permettait de garder une crédibilité.

C’est vrai que souvent on rencontre en BD ou sur d’autres supports des monstres qui ne sont pas crédibles, ici le monstre reste puissant…
R. M : Dès lors que l’on prend le parti de montrer le monstre, soit il garde cet aspect monstrueux qui sert le récit, soit on s’expose au risque que le lecteur décroche. C’était donc un des enjeux majeurs du second tome.

Dans la première partie de ce diptyque une double planche est consacrée à l’histoire de la  grande murène. D’un point de vue graphique la liberté de traitement semble très libre. Pouvez-vous revenir sur cette « pause » dans le récit ?
R. M : Effectivement ce passage rompt la « monotonie » du système narratif qui a été utilisé tout le long du récit. C’est aussi une manière de s’amuser, de se faire plaisir graphiquement…

X. D : J’ajouterai à cela que cette double planche donne une dimension supplémentaire à cette histoire. L’histoire est à un niveau, elle monte et tout d’un coup, par le biais de ce récit qui est développé dans le tome un, on arrive, du moins je l’espère, à l’aspirer vers le haut, à lui donner une dimension encore plus mythologique, qui dépasse en fait les contraintes matérielles ou pragmatiques auxquelles sont confrontés les personnages. J’aime bien ces moments-là dans les histoires où l’on sent que le récit monte vers le divin, vers le spirituel, et ne reste pas englué à un certain niveau. Moebius avait cette phrase géniale dans laquelle il disait : « il y a deux types de scénaristes. Il y a ceux qui fouillent la merde et ceux qui ouvrent les étoiles ». Cette scène en particulier vise, je ne sais pas si c’est réussi, c’est aux lecteurs dire, à ouvrir les étoiles…

Comment avez-vous travaillé concrètement sur ce projet ?
R. M : Le mode de fonctionnement qui est agréable et que l’on a avec Xavier c’est que tout au long du  processus créatif de l’album on travaille main dans la main. C’est-à-dire qu’autant je peux me permettre des remarques sur son scénario, autant lui peut se le permettre sur les propositions de découpages que je peux lui envoyer, avec cette idée d’aller à chaque fois vers plus de qualité et de lisibilité possibles. C’est une implication du début jusqu’à la fin et cela est très important car notre travail est assez solitaire, et le fait que l’enthousiasme repose sur deux têtes, est très stimulant.

X. D : Je suis entièrement d’accord sur ce point et je dirais aussi, et on le réalise d’ailleurs de plus en plus, qu’il faut une interdépendance totale entre le dessin et le scénario. Si je rêve par exemple d’une case où un gars souri, est affable et où au le dessinateur me propose un gars qui fait la gueule, ça ne marchera pas. Il faut que le message et la façon dont il est transmis fasse que les deux aillent dans le même sens. C’est pour ça qu’il est important de communiquer. Il ne suffit pas d’envoyer un scénario, aussi bien écrit et détaillé possible pour qu’il soit compris, il y a aussi du sous-texte, ce que l’on peut se dire lors de nos échanges qui va aller nourrir le dessin. La bonne communication c’est faire qu’un costume de prêt-à-porter devienne un costume sur mesure. S’il n’y a pas de communication on restera sur du prêt-à-porter. La communication entre le dessinateur et le scénariste te permet de faire du sur mesure…

 

 


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