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Focus FFF : La donne humaine…

Parfois les récits se perdent dans leurs intentions, au point d’en négliger l’essence même de chaque histoire : les personnages. Les fictions les plus denses, les plus marquantes sont toujours celles qui se lisent à travers le regard de femmes et d’hommes suffisamment creusés et taillés dans le vif pour susciter l’empathie, ou, a contrario, l’aversion. Les récits fantastiques, les fables et la fantasy n’échappent pas à la règle. Car ces récits ne peuvent se contenter de décrire seulement un univers construit de toute pièce qui virerait à une stérile contemplation dénuée de sens. C’est justement en raison de l’univers construit patiemment d’en l’imaginaire d’un auteur avec sa géographie, sa cartographie, son organisation sociale, la richesse de son corpus de mythes et de légendes, que le contrepoids offert par les personnages s’avère plus que nécessaire. Dans Ronkoteus Arto Paasilinna observe les protagonistes de son histoire. Il se place de fait en acteur de l’action qu’il déroule patiemment. Peu de cases mettent en avant autre chose que les échanges et les partages entre les hommes. De fait le récit parvient à merveille à maintenir tout du long cet équilibre fragile entre univers et personnages, signe des plus grandes narrations. Il ouvre donc ce dossier qui s’attache aux femmes, aux hommes et à ses petits personnages étranges qui peuplent parfois nos imaginaires les plus débridés…

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Ronkoteus de Paasilinna et Lukkarinen – Mosquito – 2015

Accompagné de ses aigles Ronkoteus traversait le ciel pour fondre toujours plus loin vers les terres du sud, avide de savoir, de partage et avec cette idée que l’expérience glanée de ses séjours, au contact direct d’autres civilisations pour lesquelles rites, croyances et manière de vivre divergeaient en tout point de ceux de son nord natal, pouvait permettre à son peuple de s’élever toujours plus haut. Certains le prenaient pour un Dieu, d’autres pour un messager, d’autres encore pour un fou, mais, partout où il passait, il ne laissait pas indifférent. Pour son savoir des terres nordiques, sa capacité d’écoute et son humanisme qui attiraient la sympathie des hommes même les plus guerriers. Lui n’avait pour seule occupation et désir formel que de traverser le ciel, de se laisser porter par les vents dont il maîtrisait la science, pour cartographier les terres inconnues de son peuple, pour percevoir l’intérêt de vivre ailleurs et d’en rapporter les savoirs consignés. Tout débuta un jour de printemps, cette saison où les vents, encore capricieux, mènent la vie dure aux hommes décidés à braver le grand lac Pielinen. Ils étaient une cinquantaine répartis en trois clans formant une petite tribu originaire du Lac Ladoga. L’hiver, ils restaient dans leur campement pour chasser le phoque et récupérer de la viande et de la graisse qui garnissaient copieusement des tonneaux consciencieusement scellés. Lorsque de meilleurs jours pointaient à l’horizon et que le ciel s’obscurcissait plus lentement les hommes se rendaient vers leur campement d’été où ils pratiquaient la chasse au renne. Ronkoteus était l’un d’eux, pas forcément le plus fort ou le plus autoritaire, mais assurément le plus mystérieux. Il formait un clan avec celle qui partageait sa couche la belle Nuage ombrée qui devait lui donner deux belles filles. Ronko l’ancien, son père, avait domestiqué des faucons et un aigle pour l’aider dans ses parties de chasse. Ronkoteus poursuivit cette tradition familiale avec des résultats au-delà de toutes espérances. Jusqu’au jour où, par accident, et alors qu’il voulait s’adonner au ski tracté par ses aigles, il tutoya le ciel. Dès lors l’homme voulu tirer profit de cette découverte. Il éleva très vite de nouveaux rapaces avec l’idée de maximiser le portage dans les airs et conçut un attelage défiant la gravité. Ronko l’ancien avait bien compris que son fils pouvait gagner à étudier ce nouveau moyen de locomotion. Porté par ses aigles il pouvait se transporter avec rapidité à des distances inconcevables pour les hommes du nord : Toi qui es jeune tu devrais voir grand, te montrer ambitieux, changer la face du monde ! Va, mon fils, découvrir où finit le monde et où règnent Ukko Ylijumala et son fils Rutja. Va et reviens nous dire où se termine la terre, quel est le sens de la vie et de la mort, où demeurent les Dieux et où coule le fleuve des enfers de Tuonela. Ronkoteus s’exécuta. Il le fit pour le bien de son peuple et pour cette soif de savoir qui devait lui faire titiller les sommets de la connaissance, capables de l’élever au rang, si ce n’est d’un surhomme ou d’un Dieu, d’un véritable héros de son peuple…
Les contes de la tradition nordique et notamment finnoise ont survécu au temps par transmission orale. Le risque qu’ils disparaissent en même temps que leur dernier conteur incita un homme du nom d’Elias Lönnrot à les consigner dans un épais manuscrit qui fut publié en 1835 sous le nom de Kalevala. Cette première version comprenait des histoires glanées auprès de bardes, de pleureuses ou d’anciens érudits des villages les plus reculés du pays, principalement en Carélie. Un texte qui, enrichit en 1849, devait compter un peu moins de 23000 vers. On y suit notamment le destin de Väinämöinen, un barde magicien, considéré comme un véritable Dieu. C’est à ce personnage qu’Arto Paasilinna s’intéresse ici en plus de porter une attention réelle aux mythes fondateurs de l’identité finnoise. Pour l’accompagner dans cette fabuleuse épopée il confie au dessinateur Hannu Lukkarinen le soin de représenter graphiquement ce qui deviendra la genèse du Kalevala. L’album paraitra en 2002 en Finlande, une version sera publié en 2011 en Italie avant qu’elle ne sorte aujourd’hui en France, aux éditions Mosquito qui publient, depuis début 2011, l’œuvre de Lukkarinen (série Nicholas Grisefoth). D’un point de vue formel le texte de Paasilinna garde la marque de son auteur, notamment cette importance dans la description de portraits d’hommes et de femmes singuliers, un peu en marge, mais qui renferment de véritables pépites intérieures. Dans ce récit astucieusement construit, nous suivons les pas de Ronkoteus, homme valeureux, un brin aventureux qui va maitriser l’art de voler. Il partira au loin vers le sud à la rencontre des peuples celtes, gaulois, germaniques, s’aventurera jusqu’à la Méditerranée puis se rendra dans le royaume d’Assyrie qui développe depuis un certain temps l’art de l’écriture, un savoir inconnu des peuples nordiques. La division en chapitres donne du rythme au récit qui ne se perd jamais dans des longueurs superflues. Ici chaque moment partagé offre une compréhension supplémentaire du personnage principal. Le style Paasilinna avec cette verve sans pareille dans les dialogues et ce léger ton décalé donne au récit la dimension qu’il mérite. Cette dimension se lit aussi dans la réflexion ouverte sur le sort réservé aux femmes,  sur le destin des prisonniers et des esclaves ainsi que sur le rôle des anciens au travers du personnage de Ronko l’ancien. Des sujets habilement inclus dans la trame principale qui s’en trouve renforcée et densifiée. Une trame qui se veut une ouverture au fameux texte consigné par Lönnrot comme l’atteste le titre du dernier chapitre, Naissance du Kalevala. Le dessin de Lukkarinen garde cette rugosité du climat qui se lit sur les visages martelés par le froid. Il dépeint avec une précision chirurgicale ces hommes du nord qui souffrent, se courbent parfois sans se résigner, survivent pour transmettre et avancer toujours plus loin. Si Ronkoteus part au loin à l’aventure, les planches ne virent jamais dans la facilité de la contemplation. Bien  au contraire le récit porte sa principale attention sur les personnages, sur les liens qui les unissent, sur les tensions qui les animent et cette soif d’apprendre. Le dessin offre de fait un fabuleux trombinoscope de destins explicités, narrés avec souvent se brin d’humour accentué notamment par le caractère volage de Ronkoteus qui ne se refuse jamais aux femmes des villages qu’il traverse lorsque les hommes sont partis à la chasse ou en guerre. Un héros avec ses faiblesses mais aussi et surtout sa sagesse, son sens de l’observation et cette dévotion à mieux comprendre le monde pour le bénéfice de son peuple. Une saga magnifique dans ses intentions et remarquable dans sa réalisation.

Paasilinna & Lukkarinen – Ronkoteus – Mosquito – 2015 – 30 euros  

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Minuscule de Takuto Kashiki – komikku (2015)

Il est une forêt un peu spéciale nichée à flanc de colline au sein de laquelle vivent des êtres étranges. Pas plus haut qu’une pomme ils vivent en harmonie parfaite avec la nature, les ressources qu’elle produit et les insectes et animaux qui la peuplent. Parmi ces êtres minuscules on retrouve Hakumei et Mikochi, deux jeunes demoiselles qui partagent une demeure nichée dans le tronc d’un arbre. Une maisonnée charmante vers laquelle transitent des sauterelles messagères qui leur communiquent les nouvelles du village de Makinata qui s’étend un peu plus loin en contrebas. Et justement une grande nouvelle vient perturber un peu l’ordre des choses dans la vallée, le milan du crépuscule y aurait été aperçu. Ce rapace très rare arbore de grandes ailes rouges et, selon la légende, exaucerait le vœu  de celui qui le croise au lever du jour… un animal fabuleux dans un monde où le merveilleux n’étonne plus. Nos deux amis décident alors de monter encore un peu vers un lieu dégagé qui offre une vue magnifique sur le village. Elles décident d’emporter avec elle du minestrone, une petite soupe dont raffolait Cafou, le petit oiseau qu’avait domestiqué Mikochi une dizaine d’années auparavant. Avec cette soupe dans l’escarcelle, les deux amis se disent que, pourquoi pas, elles pourraient rencontrer un milan du crépuscule et réaliser un vœu…
L’univers construit par Takuto Kashiki se veut nimbé de poésie. Tout ici transpire le merveilleux comme si nos yeux venaient de percevoir un monde parallèle peuplé d’être imaginaires seulement animés par le plaisir d’une vie simple. Publiée dans la récente revue nippone Harta de l’éditeur Enterbrain, cette série traduite aujourd’hui en français révèle le talent d’un auteur qui porte une attention particulière à l’empathie qui se crée avec les personnages. Si les histoires regroupées ici revêtent un caractère fantastique et mystérieux des plus agréables, c’est avant tout sur le backgroud des personnages que l’auteur réussit à rendre addict son lectorat. Mikochi, se révèle ainsi une brillante cuisinière qui possède un palais reconnu jusqu’ à Arabi, la capitale de la région. Hakumei quant à elle exerce avec talent des fonctions de réparatrice de meules et de moulins dont les engrenages n’ont plus de secrets pour elle. Mais le client ne court pas les rues, ou plutôt les buissons, et elle vivote en espérant pouvoir révéler ses talents à plus grand nombre. La simplicité transpire de ce manga d’une relative fraîcheur qui se fait attachant par les petites bouilles qu’il met en scène et par les aventures tout à la fois légères et pleines d’émotions qu’il offre aux plus jeunes d’entre nous. La suite des péripéties vécues par Hakumei et Mikochi devrait nous réserver bien des surprises et on en redemande !

Takuto Kashiki – Minuscule T 1 – komikku – 2015 – 8, 50 euros

Célestin rêve

Célestin rêve de Wlodarczyk et Demuro – Editions d’Orberstier (2014)

Il est parfois des souvenirs qui nous rappellent à des temps révolus que l’on aimerait pourtant voir ressurgir. Des moments si fortement marqués dans nos esprits que le simple fait de fermer les yeux et d’y penser très fort suffit à nous replonger dans un état de béatitude et d’apaisement. C’est ce qui arrive à Célestin, petite marionnette de bois habillée façon marin qui arbore un magnifique sourire communicatif capable de donner beaucoup de bonheur à ceux qui décident de s’y laisser prendre. Mais voilà, au fil des jours Célestin ne faisait plus rire autant les enfants venus le voir. La jauge du petit théâtre ambulant que gérait Gaspard, le marionnettiste qui l’animait et lui offrait la gloire dans le cœur des enfants, décroissait dangereusement. Sans le sou Gaspard devait se résigner à laisser Célestin au Mont-de-Piété, avec peut-être l’espoir de pouvoir le retrouver un jour. Qui sait ?
Isabelle Wlodarszyk et Toni Demuro livrent avec Célestin rêve un récit pour enfants qui sait toucher au cœur. Une histoire simple, celle d’un homme et de son compagnon de bois que la vie sépare en créant un vide dans l’âme et dans le cœur de chacun. Un vide qui, au fil du temps, se fait béant au point de ternir cette vie si frêle et la faner de manière peut-être irréversible. Les souvenirs sont encore là pour masquer, un temps, la dure réalité mais ne suffisent pas à effacer la douleur de la séparation. Une histoire universelle, capable de toucher au plus profond de nous, dessinée avec subtilité. Du beau travail pour transmettre aux plus jeunes des valeurs d’humilité, de respect, de partage tout en ne masquant pas les réalités parfois dures de nos quotidiens.

Isabelle Wlodarszyk et Toni Demuro – Célestin rêve – Editions d’Orbestier – 2014 – 10 euros


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