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Focus Ulysse Malassagne : Retour sur Jade et interview !

Suite à la chronique d’Oliv publiée hier sur l’album Jade d’Ulysse Malassagne, nous vous proposons en complément un second avis sur cet album ainsi que l’interview de l’auteur. Un moyen de comprendre le processus de création et les motivations d’un jeune auteur qui fait une entrée remarquée dans le monde du Neuvième Art…

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CVJadeFace au danger Harry, anglais débarqué en plein cœur de l’Himalaya, n’est pas du type à paniquer. A la façon d’un militaire surentraîné il arrive à prendre les bonnes décisions au bon moment et à vrai dire tant mieux car les dangers guettent de toutes parts lorsqu’il s’enfonce dans les montagnes du Tibet. Son intention, il la dévoilera au fil des pages : rencontrer Jade celle qui anime un peuple tout entier, la femme millénaire qui peut changer la neige en or. Mais le pays fait face à une occupation sans merci de la part du voisin chinois qui revendique ses droits sur ce pays. Dès le début de son aventure le jeune homme libère Pema, un local enfermé et ligoté par des militaires chinois dans un vieil abri de montagne. Les deux hommes devront réussir à échapper à la vigilance des soldats qui grouillent dans le village, des militaires prêts à tirer sur eux sans arrière-pensées… Le périple sur un terrain difficile s’annonce épique. Guidé par Pema, le jeune anglais espère pourtant bien toucher à son but. Mais au fil de ses discussions avec son compagnon de voyage, Harry va pourtant nuancer sa vision sur le Tibet et mieux appréhender sa philosophie de vie et sa spiritualité…

Avec cette plongée dans le Tibet occupé, Ulysse Malassagne nous offre son second récit de l’année après Kairos (voir la chronique ici). Le jeune dessinateur s’attaque à un sujet sensible qu’il documente allègrement dans un petit cahier graphique niché en fin d’album. Comme sur son précédent opus Malassagne excelle dans le découpage et le rythme insufflé au récit. Les scènes d’actions se développent tambour-battant sans laisser le soin au lecteur de reprendre son souffle. Pour autant les scènes plus « spirituelles » ne sont pas négligées. De cet équilibre fragile nait une des réussites de l’album dans lequel le lecteur se trouve happé sans s’en rendre vraiment compte. Le dessin reste simple, épuré, jouant sur ce qu’il suggère plus que sur la déclinaison d’effets ostentatoires ou l’étalage de technicité creuse de sens. Le texte se fait minimaliste mais les silences sont souvent riches de sens. Ulysse Malassagne attaque Jade en plein cœur de l’action, comme si nous entrions dans une histoire en cours, sans pouvoir conceptualiser ce qui se passe vraiment dès les premières planches. De fait il attire l’attention sur le lecteur dès les premières cases et laisse le soin à chacun de se faire le film de ce qui précède. Au fil du récit le personnage d’Harry, jeune homme attiré d’abord par de vils desseins, se complexifie et tend à se faire plus humain. De cet apprentissage accéléré des sages en plein cœur d’une nation meurtrie, Harry nuancera sa vision du rapport aux autres. La naissance d’un personnage/héro en devenir ? Un récit qui navigue entre Indiana Jones et L’homme qui voulut être roi par un auteur à suivre…     

 

Entretien avec Ulysse Malassagne

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Tu fais cette année une entrée remarquée dans la sphère du Neuvième art. Avant de parler de tes projets peux-tu nous présenter ton parcours ?
J’ai suivi une formation de réalisateur de film d’animation à l’école des Gobelins mais je dessine depuis que je suis tout jeune et la BD est vraiment mon premier amour. C’est pour cette raison que lorsque je suis sorti de l’école, tout en continuant à réaliser des films d’animation, je me suis dit que je devais proposer des projets de bande-dessinées à des éditeurs. J’ai signé assez rapidement avec Ankama qui repérait de jeunes auteurs qui sortaient des Gobelins car ils ont aussi un axe de production de films d’animation en parallèle de l’édition. Ils m’ont proposé un contrat pour une bande-dessinée en trois volumes. Peu après j’ai été contacté par Glénat qui a repris le projet Jade que j’avais signé chez un petit éditeur, Manolosanctis qui a malheureusement fait faillite. J’ai dû ajouter une quinzaine de pages pour coller au format qu’ils souhaitaient. Les deux albums sont parus en même temps mais c’est un peu une coïncidence.

Peux-tu nous parler de tes influences et des dessinateurs qui t’inspirent ?
Mes influences sont assez diverses. Je suis aussi bien attiré par les films d’animation japonais, les mangas que par ce qui vient des Etats-Unis ou ce qui est produit en France. J’ai l’habitude de dire que ma bande dessinée préférée est Bone de Jeff Smith. Je l’ai découverte alors que je devais avoir une douzaine d’années et c’est elle qui m’a donné l’envie de poursuivre dans cette voie. Petit j’avais tendance à recopier ce qui me plaisait puis au fur et à mesure j’ai trouvé mon style.

Kairos et Jade reposent sur un déroulé proche. Un jeune héro doit accomplir une quête qui l’oblige à prendre un maximum de risques. Est-ce une coïncidence que de voir sortir ces deux albums simultanément où action et rythme sont les moteurs essentiels ?
Je crois que c’est un sujet que j’aime bien, un personnage qui se donne corps et âme pour quelque chose. C’est un thème que j’avais envie d’explorer. Les deux contextes sont tout de même un peu différents, l’un se situe dans une aventure type Spirou et Fantasio, l’autre plus dans un univers Heroïc Fantasy avec de l’amour chevaleresque. Mon attrait pour cette thématique est difficile à expliquer, j’aime l’idée de ce personnage qui  va affronter tous les périples pour arriver à son but.

Contrairement à Kairos, Jade attaque tambour battant. Le contexte est posé plus tard. Peux-tu nous expliquer les raisons de ce choix d’entrer directement dans l’action ? 
Les premières planches de Jade sont un peu improvisées, je les ai réalisées sans trop réfléchir. Un soir je me suis posé en me disant : « Tiens j’ai envie de raconter une histoire d’aventures. Qu’est-ce que je pourrais faire ? Pourquoi pas un anglais que je vais placer au Tibet ! ». Le contexte a été défini un peu au hasard. A partir de cette planche-là j’ai développé l’histoire qui suit. A vrai dire je ne sais pas moi-même ce qui se passe avant. J’ai utilisé plus loin dans le récit des flash-back pour expliquer les motivations du personnage mais je n’ai pas jugé nécessaire, et l’éditeur non plus, de rajouter des pages en début d’histoire car on aimait bien ce démarrage sur les chapeaux de roues. Cela convenait avec le récit qui repose lui aussi sur un rythme rapide.

004 JADE T1Quel est ton rapport au Tibet ? Comment t’es venue l’idée de ce sujet ?
Le Tibet est une destination qui m’attire même si je n’y suis jamais allé. J’ai beaucoup lu et vu de reportages sur ce pays qui regorge d’histoires fabuleuses. Je me suis demandé au début si j’allais garder ce contexte-là car il fait référence à des tensions politiques assez fortes. Au début mon intention était seulement de créer une histoire d’aventures un peu comme dans ces récits à la Indiana Jones où l’on tape sur les méchants nazis. Je voulais tendre vers ça en prenant pour cible le régime communiste chinois. Au final cet album était pour moi l’occasion de me documenter sur ce contexte politique un peu complexe. Il y avait pas mal d’informations à digérer car je ne voulais pas dénaturer ce qui se passe là-bas.

Le cahier graphique qui clôt l’album vient-il de ce souci de livrer au lecteur des données qui viennent enrichir le contexte ? 
Par ce cahier graphique je voulais que le lecteur puisse suivre mon cheminement en découvrant le contexte historique de ce qui se trame au Tibet. Je trouvais aussi qu’au final je n’avais peut-être pas assez abordé ce contexte dans mon récit et je souhaitais que toutes les informations qui m’avaient servies à le construire puissent se trouver dans l’album. La question se pose aujourd’hui de réaliser une suite à ce premier opus, au Tibet, en Chine ou dans un autre pays, le cahier permet donc de pouvoir creuser un peu plus l’histoire et le contexte politique du Tibet. J’aime beaucoup cette forme de narration graphique. J’ai lu récemment Manabé Shima et Tokyo Sanpo de Florent Chavouet, un jeune illustrateur qui est allé au Japon et qui est revenu avec de belles pages de crayonnés. Cela m’a pas mal inspiré et je me retrouve un peu dans ce type de carnet de voyage. C’est quelque chose que je voudrais peut-être exploré plus tard.

Peux-tu revenir sur ce qui se trame dans Jade ? 
Harry est un jeune anglais qui décide de se rendre au Tibet sur les traces de son père qui a disparu dans des circonstances mystérieuses. Il est imprégné par toutes les histoires qu’il a lues dans des livres d’aventures qui datent de l’époque coloniale où le Tibet était vu comme un pays un peu mystique. Du coup il s’est fait une idée de la disparition de son père très inspirée par ce mysticisme, par Jade cette femme millénaire qui aurait pu l’enfermer dans les glaces. Il découvrira que la réalité autour de la disparition de son père est tout autre tout comme la réalité sur ce pays bien plus complexe à saisir.

Jade se construit autour de seulement deux personnages ce qui est rare pour ce type de récit. Est-ce un choix qui s’est imposé à toi dès le début ?
Oui l’idée de construire ce récit autour de ces deux seuls personnages s’est imposée très vite car je voulais faire ressortir cette confrontation de deux cultures, de deux civilisations avec ce héros occidental un peu d’aspect colonial qui ne manque pas de préjugés et ce personnage, Pema, qui lui est tibétain et va expliquer à Harry que son pays n’est pas vraiment cette image qu’il peut s’être construit.

005 JADE T1Est-ce que tu peux expliquer la manière dont tu as construit le personnage de Tom ?  
La première étape est passée par une phase de documentation sur le Tibet. Ensuite il a fallu trouver des motivations pour ce personnage car je n’avais pas encore défini son but précis dans l’histoire. La trame de fond s’est construite au fur et à mesure pour arriver jusqu’à Jade. Après avoir posé tous les éléments j’ai dû remettre en ordre le récit que je venais d’écrire pour qu’il trouve toute sa cohésion. J’ai opéré également des modifications suite au changement éditorial. Manolosanctis m’avait imposé deux/trois consignes scénaristiques et Glénat, sur cette base, m’a aidé à peaufiner l’album notamment dans la relation des personnages, l’ajout ou la suppression de dialogues rendant le récit plus pertinent.

Jade est construit comme un one-shot pourtant, tu nous le dis, des suites sont possibles…
Oui à la base ce projet est construit comme un one shot mais l’éditeur aimerait peut-être poursuivre la construction du personnage d’Harry. Cette idée me plait assez car je trouve que ce héros a encore beaucoup de choses à dire et je serai curieux de voir comment il peut évoluer. Au début il peut paraître assez antipathique, en fait je ne souhaitais pas forcément que l’on s’attache trop au personnage, ce n’était pas l’idée première, ou, si l’on s’attachait à lui, c’était parce qu’on sentait qu’il pouvait évoluer vers quelque chose de meilleur. Je pense qu’il y a beaucoup à dire sur les changements qui vont s’opérer en lui pour qu’il devienne progressivement quelqu’un de bien. Le fait de lui faire traverser d’autres pays, de le confronter à d’autres cultures peut participer à cela.

Propos recueillis par Seb le 9 juillet 2013

 


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