Avant de se plonger dans la lecture de cet album il faut en apprécier le jeu de mot initial : La survie de l’espèce. Ensuite pas de problème. Bien attaché, le lecteur naviguera dans un récit dessiné percutant mettant en lumière une partie des dangers de notre système économique capitaliste. Rien de novateur en la matière mais un souci pédagogique qui fait de cet album un pivot pour celui que l’économie hérisse ou inquiète…
Notre époque a cela de terrible que le pouvoir de certains, minoritaires en nombre, peut influer sur le destin des autres, la grande majorité d’entre nous. Les notions de capital dans toutes ses déclinaisons (fixe ou circulant, technique, financier et humain), de la valeur-ajoutée, de la productivité, de la plus-value… sont connues, au moins de nom, par la plupart d’entre nous pour les avoir approchées durant nos études ou pour les entendre manipulées par maints experts en économie qui fleurissent à qui mieux-mieux sur les ondes de nos radios ou dans les émissions TV. Plus la crise est présente, durable, prégnante au point que l’homme se résigne à la voir un jour quitter le navire, plus les économistes de tout poil se voient octroyés la parole. Auraient-ils des solutions à offrir pour nous sortir de cette spirale sans fin ? Avant même de nous poser cette question ne faudrait-il pas savoir s’ils sont déjà d’accord sur les moyens à mettre en place ? Et au-delà ont-ils une crédibilité à proposer ces solutions ? Visiblement non, ou tout du moins pas tous, car chacun pourra y aller de sa petite hypothèse mais tant que celle-ci n’aura pas été « mise en place » par le gouvernement de tel ou tel état, nous n’en saurons rien ou si peu. La théorie restera pure théorie et les alignements d’équations, aussi flamboyants soient-ils, ne permettront de convaincre que d’autres éminents experts ou curieux des théories nouvelles qui affleurent sur le marché.
Autant dire que lorsque nous avons décidé de nous plonger dans la lecture de La survie de l’espèce notre scepticisme était de mise. D’abord, avouons-le d’entrée de jeu, comme nombre de nos concitoyens, j’aurai tendance à être sceptique – dans les meilleurs moments – et pessimiste – dans les autres – quant à notre propension à changer radicalement notre façon de penser l’économie. Bien entendu lorsqu’on parle de capitalisme, critiquer pour critiquer reste bien souvent stérile et sujet à caution. Même si tout le monde connait ses classiques, exposés aux yeux de tous, à savoir que les plus nantis des capitalistes (car là aussi il existe une hiérarchie) peuvent difficilement revendiquer une morale humaniste, aveuglés qu’ils sont par le nécessaire besoin d’amasser des profits toujours plus grands, peu d’entre nous possèdent les armes pour comprendre ou palabrer sur leurs agissements et ainsi mettre en évidence le danger qui nous guette.
C’est pourquoi cet album, La survie de l’espèce, possède un intérêt manifeste. Pourquoi me direz-vous ? Pourquoi celui-là et pas un autre ? Essayons d’étayer les arguments : Tout d’abord son auteur possède un CV. Paul Jorion, n’est pas qu’un simple économiste frustré à la recherche de crédibilité. Il n’a plus rien à prouver. Chercheur en sciences sociales, il a enseigné dans les plus grandes universités ou écoles à travers le monde de Bruxelles en passant par Paris VIII, Cambridge ou Irvine en Californie. Il a de plus, ce qui l’a placé sur les devants de la scène, prévu avant l’heure la crise des subprimes aux Etats-Unis dans un ouvrage (publié initialement outre-Atlantique en 2005) paru en France aux éditions de La Découverte en 2007, sous le titre de Vers la crise du capitalisme américain ?
Autre raison de tourner les 120 pages de cet album, l’auteur sait se faire pédagogue. Il illustre chaque concept, théorie, pratique avec des exemples parlant. Cerise sur le gâteau, il le fait avec une dose d’humour qui sert son propos.
Enfin, dernier élément, il place son récit dans le quotidien de tout un chacun, sans pour autant chercher à séduire ou à convaincre par des artifices mais en posant des concepts décortiqués et argumentés et en essayant de pointer leurs dangers.
Maintenant on pourra toujours regretter un dessin noir et blanc, parfois teinté de vert, un peu austère, mais compensé par un trait vif et parfois audacieux d’un Grégory Maklès à suivre, ou se dire que certains enchaînements d’idées se font un peu vite (mais le but n’était pas encyclopédique non plus). Reste un album crédible qui pose un jalon avec un humour souvent noir et omniprésent qui, à défaut de masquer les dangers qui pointent sur nous, offre une lecture plus délayée du sujet. Une bonne introduction pour ceux qui voudrait se plonger dans les écrits de Paul Jorion dont notamment Le Capitalisme à l’agonie (2011) et Misère de la pensée économique (2012) parus tout deux chez Fayard.
Jorion & Maklès – La survie de l’espèce – Arte Editions/Futuropolis – 2012 – 18 euros