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La passion dévorante : Adolphe de Constant revisité par Croci (+ interview)

Adapter Benjamin Constant, auteur qui nourrit de sens chaque mot qu’il utilise avec force symbolique relève de l’exercice de style. Pascal Croci a relevé pour nous ce défi. En s’immisçant dans la liaison passionnelle et déchirante d’Ellénore et d’Adolphe il livre un nouveau portrait de femme avec délicatesse et respect, dans un récit ou l’expression romantique l’emporte jusqu’au bout…

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Adolphe CrociAdolphe prend ses marques dans cette société de noblesse provinciale. Son regard brille pour la belle Ellénore de dix ans son aînée. La femme possède suffisamment de charme pour bousculer le jeune homme et suffisamment de force de caractère pour le maintenir à distance sans pour autant le décourager. Adolphe a besoin d’amour, il le reconnait au début de ce récit-témoignage: Offerte à mes regards dans un moment où mon cœur avait besoin d’amour, et ma vanité de succès, Ellénore me parut une conquête digne de moi. Dans un jeu de cache-cache sentimental les deux s’aimeront mais la passion a cela de terrible qu’elle ne peut souffrir d’aucune altération sans remettre en question son fragile équilibre. La lente descente dans les affres de la séparation conduira Ellénore dans une profonde détresse qui n’a d’égal que son besoin d’amour. Un amour qu’elle veut voir se décliner chez son prétendant à chaque instant, dans chaque geste et dans chaque pensée. Mais cet amour est-il partagé de la sorte par Adolphe qui, même sans l’exposer clairement, prend progressivement ses distances et précipite la chute ?

Pour certains Adolphe est à relier avec la vie personnelle et dissolue de Benjamin Constant. Ellénore pourrait ainsi être la représentation de Mme de Staël, avec qui l’auteur a entretenu une liaison prolongée, ou même d’une autre amante. Le récit dissèque surtout ce que l’amour dévorant peut créer comme troubles chez celui qui s’y laisse prendre… Malheur à l’homme qui dans les premiers temps d’une liaison d’amour, ne croit pas que cette liaison doit être éternelle.

Pascal Croci explore depuis longtemps la description des sentiments de la gent féminine. Après Janet Burroughs, Marie-Antoinette, Élisabeth Báthory et avant de livrer Carmilla et Jane Eyre, le dessinateur nous propose son adaptation libre du roman majeur de Benjamin Constant, Adolphe. Difficile de retranscrire la prose d’un auteur aussi subtil et précis que Constant. Car les images laissées par la lecture du texte peuvent s’interpréter à la vision de nos expériences personnelles. Et c’est d’ailleurs en partie de cette manière que Croci a réalisé sa relecture, comme un exutoire à une aventure personnelle. Cela explique sûrement son implication et sa sensibilité dans l’expression des sentiments amoureux, qui, dévoilés sans far, présentent les différentes phases d’une relation de la conquête louvoyante, à la passion déchirante en passant par cette idée de fragilité et de destruction. D’un point de vue formel Pascal Croci travaille son récit su+r deux niveaux de lecture celui de l’image et celui du texte, composé uniquement de pavés narratifs. Les deux se mêlent, s’éloignent parfois, créant cette légère confusion qui laisse le lecteur en situation de recomposer les images qui se forment à la lecture ou à l’observation minutieuse des scènes dépeintes. Au niveau du dessin, Croci impose sa marque. Avec poésie et force, son Ellénore respire la féminité, fragile, séduisante, aimante. En jouant sur les couleurs, majoritairement sur des teintes grises qui laissent le récit se développer dans un entre-deux, ni blanc, ni noir, relevé par des planches pimentées de verts ou de jaune/orangé, Croci livre un récit complet qui peut se faire déroutant pour les tenants de constructions plus « classiques », mais qui laisse indéniablement son empreinte dans nos esprits. Un récit brillant dans l’esprit romantique qui s’accommode avec l’œuvre originale.   

Pascal Croci – Adolphe (d’après Benjamin Constant) – Emmanuel Proust – 2013 – 15,90 euros

 

Interview de Pascal Croci

 


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