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La Sélection 2014 de Seb : Bande dessinée

Raconter en quelques mots une année dense de publication n’est pas mince affaire. Pas mal de récits méritent d’être cités et toute sélection reste bien entendu très personnelle. Nous allons donc vous proposer de revenir sur quelques titres, ceux qui nous ont, une fois fermée la dernière page, provoqué une émotion particulière qui tient parfois de l’indicible mais atteste d’un beau et long voyage qui se poursuit longtemps en tête. Quinze albums forment la sélection phare de l’année, notre Super XV, nous présentons aussi une sélection de récits fantastiques et d’adaptations d’œuvres littéraires, deux domaines qui nous accompagnent plus spécifiquement sur MaXoE. Petit bonus, la parole laissée à quelques auteurs pour nous parler de leurs projets. Des interviews inédites cadeaux de cette fin d’année ! Dernière petite chose pour penser en l’avenir immédiat et prolonger le plaisir de 2014, une sélection de douze albums à sortir au premier trimestre 2015 qui vont faire incontestablement l’actualité…

Abel-Coul-41 Le Super XV

Adam ClarksI – Adam Clarks de Hautière & Lapone (Glénat)
La réussite d’Adam Clarks tient dans la conjugaison d’ingrédients qui le démarque du magma de titres de la production actuelle. Fort d’un format plutôt large qui laisse aux vestiaires le traditionnel 240 x 320 mm pour le très audacieux 289 x 368 mm, l’album joue sur l’espace pour distiller des planches monumentales dans un découpage hyper-rythmé. Le choix du dessin qui se veut dans la veine du Style atome avec son brin de modernisme salutaire joue sur les couleurs, les températures, les cadrages audacieux qui posent sur cette intrigue un climat qui aurait pu rester sombre s’il n’était nappé de scintillements constants offerts notamment par le contexte de cette histoire improbable et par la verve du verbe distillé par Régis Hautière. Le récit, dopé par un humour permanent rend ainsi un hommage raffiné aux récits d’espionnage de la période dite de la guerre froide tout en dressant un portrait de son héros, qui navigue entre un Arsène Lupin un brin désinvolte à la dextérité redoutable et un Lord Brett Sinclair tombeur de dames, taillé dans le vif. Le choix de suivre l’intrique via un narrateur typé « présentateur des années 50 » permet de vivre les différentes péripéties qui se succèdent ici avec un certain détachement tout en s’immergeant plus facilement dans son cadre. Nous sommes avec cet album dans une ambiance rétro-futuriste délicieusement addictive. C’est rond, classe sans être hors-cadre ou kitch et vif tout en sachant se poser. Le grand Adam Clarks, voleur émérite, se fera berner comme un jeunot tout en sachant jouer les agents doubles à la perfection. Lapone/Hautière nous immergent dans un univers où la verticalité l’emporte. Majestik City explose par son jeu de lumière, par la richesse de son architecture et par la faune urbaine qui s’y déplace. Le ciel se trouve nimbé d’éclairages divers alimentés par des voitures volantes, des zeppellins et les fenêtres des gratte-ciels qui parcourent l’espace. Au final les deux auteurs livrent un album qui tranche et apporte indéniablement une bouffée d’oxygène dans le récit de genre. C’est proche de la perfection et donc hautement recommandé !

 

Dans ma maison de papierII – Dans ma maison de papier de Pierre Duba (6 pieds sous terre)
Pierre Duba signe avec Dans ma maison de papier une adaptation fine et personnelle d’une pièce de théâtre écrite par Philippe Dorin au début des années 2000. Il conserve les mots intacts pour leur puissance émotionnelle et leur capacité à susciter l’interrogation. Puis, tel un alchimiste graphique, le dessinateur transforme la matière qui s’offre à lui en des mouvements qui pourraient paraître saccadés à la première lecture, mais qui, au fil du récit, font montre d’une interdépendance réelle avec les mots qu’ils supportent. Les uns nourrissent les autres et l’histoire se construit dans un équilibre fragile mais ô combien porteur de sens. La structure narrative cousue par Pierre Duba affiche tout du long les signes de l’intérêt de son auteur pour l’interpénétration de la forme et du fond, les deux se devant de signifier l’un par l’autre, l’un pour l’autre afin de laisser au lecteur des indices pour construire et alimenter sa propre perception. Un album qui ne laissera pas indifférent ceux qui décideront de s’y plonger.

 

Docteur RadarIII – Docteur Radar de Bézian (Glénat)
Noël Simsolo et Frédéric Bézian n’en sont pas à leur coup d’essai. Les deux hommes avaient livrés un album resté plutôt confidentiel il y a une dizaine d’années maintenant « Ne touchez à rien ». Ils reviennent autour d’un projet de polar tiré d’un feuilleton radiophonique produit dans les années 90 par Radio France. Docteur Radar pourrait devenir, même si Bézian reste volontairement évasif sur le sujet (voir notre interview), une des séries phares des années à venir. Un potentiel sans limite tant au niveau du contenu narratif que de sa représentation graphique. Une représentation graphique dans laquelle le dessinateur toulousain peut encore et toujours renouveler son style, au du moins le tirer vers des recherches esthétiques nouvelles. Ici c’est le mouvement qui est mis à l’honneur, tout comme le travail sur la gestuelle des corps, qui sont présentés indifféremment distordus, difformes, triturés dans des poses qui suggèrent toute une panoplie d’émotions, de la douleur, en passant par l’étonnement, l’anxiété, la peur… Le suspense lui est omniprésent, le décalage aussi tant au niveau de la représentation visuelle qui joue sur des faux-semblants que sur le ton donné à ce récit épique. Le découpage pensé par Bézian joue sur les symétries, accompagne le regard du lecteur qu’il vient conforter dans une pensée ou une émotion. Un album de haute facture ! A noter qu’une version luxe limitée à 999 exemplaires est proposée par l’éditeur au prix attractif de 49 euros dans un format élargi et avec l’ajout d’un cahier graphique qui justifie à lui seul l’achat de cette édition.

 

gavrilo-princip_couve_telIV – Gavrilo Princip, L’homme qui changea le siècle de Henrik Rehr (Futuropolis)
Henrik Rehr s’est pris dans son sujet au point de travailler les sources pour crédibiliser son récit. Son portrait du jeune Gravilo sans concession essaye surtout de comprendre le cheminement de la pensée du meurtrier de l’Archiduc. Manipulé et poussé à l’extrême ? Simple fanatique porteur d’un idéal qui le dépasse ? Henrik Rehr pose les questions. Il dresse surtout le portrait d’un jeune homme humain, qui, s’il appuya sur le détonateur d’une guerre qui fit plus de dix-huit millions de morts civiles et militaires, fut aussi celui qui porta l’honneur d’une nation souillée. Un jeune homme simple et sensible (peut-être trop ?) qui aima aussi une femme tout en se sentant habité d’un devoir pour sa nation. Peut-être en partie en raison du fait qu’il ne put rejoindre l’armée du Monténégro lors de la guerre de 1912 contre la Turquie. Héros pour les uns, assassin pour les autres, son destin complexe méritait de s’y pencher, ne serait-ce que pour comprendre le jeu des tensions qui animaient l’Europe avant la Grande Guerre…

 

 Fille mauditeV – La Fille maudite du Capitaine Pirate t.1 de Jeremy Bastian (Editions de la Cerise)
Véritable claque graphique, La fille maudite du capitaine pirate est aussi est surtout un récit épique dans lequel la quête amorcée par une jeune fille décidée et courageuse alimente une machine à rêve bien huilée. Le récit prend place au début du dix-huitième siècle quelque part à Port Elizabeth en Jamaïque, un lieu réputé pour la faune de passage qu’il brasse composée de tout un lot de criminels reconnus, pirates émérites ou voleurs de passage. Le gouverneur Maygun doit pourtant s’y rendre pour affaire. C’est à cette occasion que sa fille Apollinia sera subjuguée par une scène atypique dans laquelle une autre jeune fille de son âge s’oppose verbalement, puis par le biais de bâtons utilisés comme des épées, à deux garçons des rues. Cette gamine pleine de vie, qui se dit être La fille maudite du capitaine pirate, partira à la recherche de son père disparu sur des mers lointaines. Si ce conte moderne peut se rapprocher dans sa forme d’Alice au pays des merveilles, il possède sa force pure alimentée par un dessin au trait d’une densité rare. Les planches fourmillent de tout un bestiaire fantastique, d’enluminures suggestives, de détails foisonnants qui participent à la mise en ambiance. C’est l’un des albums phare de 2014, récompensé très justement par le Grand prix de la critique MaXoE en juin dernier !

 

grande-guerre_coffret_telVI – La Grande Guerre : Le premier jour de la bataille de la Somme reconstitué heure par heure de Joe Sacco (Futuropolis)
Le fait de confronter le texte à l’image de la fresque (elle aussi annotée en annexe, plan par plan) donne une dimension encore plus forte au projet. Joe Sacco arrive avec une grande lisibilité à découper les moments qui font la bataille, les tensions palpables, la dramaturgie qui se lit dans le no man’s land devenu non pas le théâtre de la promenade de santé espérée mais bel et bien le terrain propice à la faucheuse qui peut s’exprimer avec force de générosité. Le niveau de détail reste impressionnant même si le travail de Joe Sacco n’avait pas pour but de respecter ou de se lier à une échelle précise. L’auteur garde la représentation symbolique de chaque moment comme point d’appui à son projet. Le lecteur parcourt ainsi cette grande tapisserie en choisissant son rythme, peut décider de s’arrêter sur telle ou telle partie de cette fresque, revenir sur un moment, en parcourir un autre, bref décider de son degré d’immersion dans ce moment de guerre en choisissant d’y rester 20 minutes ou 2 heures ! Monstrueux…

 

La LuneVII – La Lune est blanche de François et Emmanuel Lepage (Futuropolis)
La grande aventure que fut la course au pôle sud au début du vingtième siècle aurait pu chasser à jamais l’idée même de défi physique et exploratoire. Aujourd’hui, en ce vingt-et-unième siècle, plus aucune parcelle de terre ou de glace ne peut s’enorgueillir de n’avoir jamais été foulée par le pied de l’homme. Pourtant il existe des défis à relever, pour la science, pour saisir les bouleversements climatiques passés et les répercussions de notre action sur le futur de la planète. Emmanuel Lepage et son frère François ont parcouru il y a de cela quelques temps les Terres Australes et Antarctiques françaises. De cette expérience, ils ont livrés un album BD et un recueil de photographies d’une grande force émotionnelle en forme d’hommage aux femmes et aux hommes qui tentent au loin de relier les fils pour comprendre les enjeux de demain. Avec La Lune est blanche les deux auteurs vont plus loin encore. En participant au Raid (ravitaillement d’une station scientifique franco-italienne nichée en plein cœur du vaste continent Antarctique), les deux hommes accomplissent non seulement un rêve mais permettent aussi à chacun d’entre nous de saisir ce que l’Aventure avec un grand A peut renfermer comme acception. Loin des clichés, avec un détachement de tous les instants les deux hommes livrent leurs souvenirs de chaque étape du voyage dans un projet mixte qui mêle dessins et photographies. Essentiel. A découvrir par le biais du coffret Australes qui réunit les deux albums Voyage au Iles de la Désolation et La Lune est blanche.

Interview d’Emmanuel Lepage

 

VISION-DE-BACCHUS-100dpiVIII – La Vision de Bacchus de Jean Dytar (Delcourt)
Antonello de Messine possédait peut-être cette touche irrévérente pour son époque. Il refusait d’inscrire ses œuvres dans une quelconquenarration : Mais qu’est-ce qu’une image peut faire éprouver d’authentique si elle se contente de figurer une histoire ? En cela il pouvait peut-être mieux que quiconque approcher cette vérité ultime. Jean Dytar dévoile aussi des secrets d’une époque en présentant notamment La camera obscura, cette pièce obscure qui servait à reproduire les silhouette de sujets placés dans la pièce éclairée qui lui faisait face. L’usage de ce dispositif technique prend sa source dans ce questionnement sur le mimétisme mais aussi sur les effets de lumière. Antonello de Messine a-t-il inventé ce dispositif qui aurait été utilisé par exemple par Le Caravage bien plus tard ? Pourquoi pas. Jean Dytar livre aussi des éléments de compréhension sur l’usage de la peinture à l’huile et sur l’apport de l’école flamande. La vision de Bacchus possède donc ce fabuleux pouvoir de nous plonger dans une époque révolue comme si nous y étions et de nous initier aux pratiques picturales qui se développaient alors dans un but affiché de rendre par la peinture le réel. Sans conteste l’album de ce premier trimestre.

 

ILe chant du cygneX – Le chant du cygne de Xavier Dorison/Emmanuel Herzet & Cédric Babouche (Le Lombard)
Peu de récits se déroulant lors de la Grande guerre se tissent ou évoquent les mutineries de 1917, celles pour être précis qui prennent forment autour de la boucherie du Chemin des Dames. Le chant du cygne leur consacre un diptyque de haute facture autour d’une compagnie bernée qui entend bien apporter à Paris en mains propres la pétition de la côte 108. Sur le fond le récit explore un fait de mutinerie, comme il a pu y en avoir justement à l’occasion de la bataille du Chemin des Dames. Les très « rodés » Xavier Dorison et Emmanuel Herzet tissent leur récit autour d’un groupe de poilus déjà vétérans de la guerre, des hommes qui sont-là depuis les débuts et qui peuvent porter de fait un regard sur les réalités de terrain et les erreurs stratégiques émanant du haut commandement. Ici ce sont les Larzac, La Science, Le Boeuf, La Tiff sous les ordres du sergent Sabiane et du lieutenant Katzinski surnommé Katz qui occupent le cœur du récit. Car au-delà des faits tragiques de la guerre de tranchée, dont les récits foisonnent par ailleurs, les scénaristes de ce projet mettent en avant la donne humaine, en essayant, sans juger, de comprendre leur épuisement moral, leur motivation, leur ras-le-bol légitime. Le sergent Sabiane, droit et professionnel dans son comportement, tout comme le lieutenant Katz, qui, prit au piège dans une situation d’entre-deux, opte pour la voie la plus risquée pour lui mais aussi la plus morale, sont les pivots de cette première partie du récit. Le dessin de Cédric Babouche est une vraie claque. Plus habitué à travailler sur l’animation il livre là son premier projet BD. Réalisé en couleur directe, son style puise dans ses expériences passées pour offrir des planches qui explosent visuellement par leur rythme, la recherche sur les plans, la dynamique insufflée. Le dessin semble sortir du cadre, comme s’il voulait repousser encore plus le format déjà confortable de la collection Signé. C’est dense, tout à la fois sombre et épique, bref du très bel ouvrage. Au final le lecteur ne peut que rester scotché par le premier volet d’un diptyque qui fera date…

 

Le voyage d'AbelX – Le voyage d’Abel de Duhamel & Belvent (Les Amaranthes)
Nos campagnes peuvent parfois nous paraitre sans vie, ou du moins sans relief, la vie s’y égrène au rythme des saisons. Les hommes et les femmes qui la composent se laissent porter par le travail de la terre qui donne au foyer les ressources pour l’année à venir. Parfois pourtant, on y rencontre un individu dissemblable de ses voisins typés, quelqu’un dont les espérances singularisent dans un antre de conformisme. C’est le cas d’Abel, agriculteur plus forcément jeune qui a repris forcé la ferme familiale. Dire qu’il s’y épanoui serait assez loin de  la réalité. Lui rêve d’ailleurs, de paysages lointains parcourus à bord de paquebots surdimensionnés. S’il exécute les travaux de la ferme, c’est pour mieux pouvoir s’offrir les guides de voyages qu’il achète au village et qui lui fournissent l’essence pour alimenter la machine à rêve. Avec un humour constant, Bruno Duhamel et Lisa Belvent livrent un album d’une fraîcheur remarquable. Le monde agricole n’est jamais raillé, il y est par contre décliné avec un réalisme saisissant. Sans conteste l’album de cette fin d’année !

 

 mongo_est_un_troll_couvertureXI – Mongo est un troll de Philippe Squarzoni (Delcourt)
Avec Mongo est un troll, Philippe Squarzoni livre un récit totalement surprenant, pas uniquement en raison de l’univers qu’il construit à travers lui, mais aussi en raison du grand écart qu’il effectue avec ses précédentes livraisons, axées sur la présentation de quelques travers géopolitiques mondiaux, Saison brune qui aborde le malaise écologique ou encore Dol, sur les années Chirac. Mongo est un troll est donc le retour du dessinateur à la fiction. Pour cela l’auteur a dû « réapprendre » certains aspects de son métier notamment en termes de narration et de construction stylistique. Le résultat sur la forme reste une très bonne surprise, on navigue dans un univers médiéval-fantastique inspiré par Bosch ou Brueghel, fait de délires graphiques qui posent le cadre et le caractère troublé d’une époque où les hommes se font occire parfois plus rapidement qu’ils ne respirent. Le monde de Squarzoni ajoute tout ce bestiaire mythologique fait de trolls, de sorcières, de gobelins, de goules, de grouilleux et autres bêtes fort sympathiques avides du corps tendre ou moins tendre des humains qu’ils rencontrent au détour d’un bois peu éclairé. Au niveau du scénario l’auteur de Zapata, en temps de guerre parvient à tisser sa toile, son suspense, autour des relations qui unissent et désunissent Duane, Cameron et une mystérieuse magicienne qui suit les deux hommes au travers de leur déambulations. Si quelques répétitions ou longueurs apparaissent parfois dans la narration elles sont compensées par l’humour permanent et le décalage opérés par Squarzoni dans cet album qui offre un univers délicieusement malsain et jouissif. Recommandé !

 

Narcisse couvXII – Narcisse de Chanouga (Paquet)
Les récits se construisent parfois sur des petits riens, de manière presqu’accidentelle, avec l’envie d’explorer les zones d’ombres attachées à des destins peu conventionnels qui manqueraient de relief pour tout un chacun, mais qui, passés au filtre d’un regard d’artiste, peuvent révéler leurs sucs. Un livre aperçu sur les étals d’un bouquiniste peut faire naitre des images en tête, de ces images qui alimentent les légendes et sont propices à la prise au vent, pour aller encore plus loin, vers des étendues dangereuses et mystérieuses. C’est de cette manière que Chanouga amorce son histoire maritime baptisée sobrement Narcisse. Lorsqu’il aperçoit en 2007 au hasard d’une brocante un vieux numéro de la revue Histoire de la mer contenant la photographie d’un homme scarifié, au regard perdu au loin et dont le nez est affublé d’un os qui le traverse de part en part, comme on le voit parfois dans les peuplades primitives, l’image agit immédiatement dans son imaginaire. Il en fera une histoire, celle de Narcisse Pelletier, un jeune mousse engagé sur un clipper faisant route vers l’Australie aux alentours de 1856. Abandonné sur les côtes de la Louisiade suite au naufrage de son embarcation, il vivra au contact des autochtones durant plus de 17 ans. Pour Chanouga les non-dits, les moments de doutes, la vérité, réécrite, sera l’âme de son travail de novélisation. L’auteur va s’emparer de l’histoire improbable d’un homme ayant vécu parmi les primitifs papous et qui fut redécouvert accidentellement, pour laisser libre court à son talent de conteur. Le sujet sera traité sous forme de triptyque pour se laisser le temps, lire entre les lignes, explorer les vides d’une histoire et les combler de supposés agissant comme des moteurs au symbolisme d’un récit peut-être édulcoré mais assurément jouissif, porté par un trait d’une poésie redoutable, qui ne se fait jamais bavard mais donne au lecteur le soin de stimuler son imaginaire. Un premier volet qui reste longtemps en tête après avoir quitté la dernière planche et dont nous attendons la suite avec une frénésie que nous espérons communicative !

 

Plus fort que la haineXIII – Plus fort que la haine de Bresson & Follet (Glénat)
Au travers de cet album de Pascal Bresson et René Follet s’expose tout le potentiel d’une histoire à la force émotionnelle réelle. Le titre en lui-même dit beaucoup du destin de ces anciens esclaves des états du sud des Etats-Unis. Plus fort que la haine, une haine qui se nourri des agissements vomitifs des anciens grands propriétaires terriens pour qui l’abolition de l’esclavage demeure une véritable aberration. Les deux auteurs de ce récit s’attachent à tracer le destin de l’un de ces jeunes noirs travailleurs et respectueux de l’autre, un de ces travailleurs qui mesure la chance d’une liberté durement gagnée mais qui n’est pas prêt pour autant à tout accepter. Doug représente un peuple, et à travers lui un combat pour la reconnaissance de droits pourtant inscrits dans la constitution et trop souvent bafoués. Pour braver les affronts qui lui sont fait il investira les rings là où il ne dérange plus autant les hommes riches et blancs qui alignent les liasses de billets pour parier sur sa victoire. Le scénario, qui vaut tout autant pour l’ambiance qu’il instaure que pour ses personnages creusés, est magnifié par un dessin qui donne du sens aux mots, qui sublime l’instant, dans la violence des gestes et des idées, tout comme dans l’expression et la montée de cette haine trop longtemps contenue. La dramaturgie qui nait des situations chocs qui se succèdent se trouve soutenue par un noir et blanc d’une redoutable efficacité. Assurément l’un des albums phares de cette rentrée.

 

PoulbotsXIV – Poulbots de Patrick Prugne (Margot)
Ils ne sont pas bien haut sur pattes ces gamins survitaminés des terres du nord parisien, ils sont par contre très attachés à leur coin de nature perdu sur la butte qui surplombe Paris. Un lieu boudé des aristocrates ou des néo-bourgeois mais prisé des artistes, des marginaux et autres personnages locaux désargentés. Ce lieu qu’un artiste du nom de Poulbot immortalisa au travers de ces gavroches à la casquette vissée et au pantalon crotté, c’est Montmartre. La nature désorganisée qui y prospère encore, renfermant une flore et une faune fragiles, offre une image singulière aux Portes de la capitale. Peu enviées jusqu’alors, ces terres font pourtant l’objet d’une attention nouvelle au travers d’un projet urbain qui mettrait en péril l’équilibre fragile de la Butte qui en fait pourtant son identité.  Et par ricochet c’est bel et bien la mare aux crapauds, chasse gardée de la bande à Paulo, qui s’en trouve menacée. Patrick Prugne donne à voir ces titis parisiens qui ont alimenté les dessins de Francisque Poulbot, et nous fait revivre par la même occasion le Montmartre d’antan. Son dessin à l’aquarelle offre un support à la poésie des lieux et du temps d’un autre temps. A la lecture de ce superbe album on hume les herbes fraiches qui poussent de façon désorganisée sur la Butte, on entend les cris des enfants qui descendent à toute vitesse vers le Lapin agile, on parvient à capter le tintement des verres qui s’emplissent et se vident plus vite que de raison. On parvient aussi parfois à prolonger le plaisir de lecture pour faire vivre d’autres aventures à ces gavroches dont l’identité, préservée par un artiste désintéressé, continu d’alimenter le rêve de ce Paris « sauvage » du début du siècle dernier…

Interview de Patrick Prugne

 

Ulysse le chant du retourXV – Ulysse de Jean Harambat (Actes Sud)
D’Ulysse chacun connait les épisodes parmi tant d’autres du cheval de Troie (dans l’Iliade), du chant des sirènes, du cyclope à qui le roi d’Ithaque creva l’œil ou de la nymphe Calypso (dans l’Odyssée). Si le retour d’Ulysse chez lui à Ithaque après maints et maints périples fait également partie des épisodes de cette mythologie, il ne bénéficie pourtant pas de la même aura. Pourtant, dans ce retour périlleux après de longues années d’absence, se joue toute la trame de l’Odyssée. Le héros de Troie devenu vieil homme devra tirer l’expérience des épreuves passées pour reconquérir son royaume, chasser les prétendants de sa femme et retrouver son fils Télémaque. C’est cela que Jean Harambat décortique pour nous dans un album d’une force dramatique et d’une érudition rare. L’auteur retrace ainsi le parcours du héros sur ses propres terres jusqu’à l’approche de son trône mais ne se contente pas de raconter à nouveau l’histoire, il la confronte aux thèses et études en la matière par le biais de rencontres avec les plus grands spécialistes du sujet, de Vernant à Jacqueline de Romilly en passant par le bibliothécaire de l’Ile d’Ithaque. De cette sève collectée Harambat tire les enseignements. Le retour d’Ulysse, devenu périple, cache-t-il cette étrange difficulté des hommes à faire appel à leurs souvenirs ? Le récit alterne la relecture personnelle de l’auteur sudiste et ces épisodes contemporains de confrontations d’idées. Le dessin se fait plus essentiel dans la recherche du trait juste, de l’expression synthétisée qui participe à une plus grande lisibilité. Au final, une fois fermée l’album, l’impression d’avoir accompli un grand voyage se fait prégnante comme pour nous inciter à un devoir de mémoire et nous redonner l’envie de parcourir de nouveau les chants homériques. Pour nous, sans conteste, l’album de l’année 2014.

 

La série la plus addictive de l’année…

metropolis_1_couvertureMetropolis de Lehman/De Caneva (Delcourt)
Lehman livre avec Metropolis un récit riche et documenté construit autour du fameux film éponyme de Fritz Lang. Il prend le temps de construire le cadre, de bâtir les plans de la ville, ses immeubles, ses parcs et ses statues, il prend aussi le temps de s’attacher aux caractères et aux lourds passés de ses héros, meurtris pour différentes raisons. Le  récit laisse ainsi l’impression d’une grande homogénéité, d’une rare maitrise narrative. De la succession de moments intimes et calmes, des tensions psychologiques qui se révèlent des personnages et du contexte de l’enquête s’affirme un récit subtil qui nous réserve bien  des surprises. Le dessin de Stéphane De Caneva se fond dans le scénario au point de soulever et d’appuyer sur chacun de ses mouvements.
Un grand moment de lecture…

 

Le Tirage de Tête de l’année…

BroadwayBroadway de Djief (Les Sculpteurs de Bulles)
Dans le premier volet de Broadway Djief pose un cadre. Celui de cette avenue de New York devenue égérie de la nuit débridée et décalée, mystérieuse et riche de promesses. Il déroule ensuite un récit dans lequel les personnages, un brin décalé avec l’ambiance des lieux, ne semblent pas fait pour émerger de cette mouvance. Pourtant de leurs maladresses, de leur naïveté nait l’incertitude, celle qui pourrait tout faire basculer d’un côté comme de l’autre. Le dessin maitrisé autant dans ses angles de vue que dans ses perspectives est servi par des couleurs chaudes qui, si elles manquent peut-être de ruptures, nourrissent une ambiance qui est celle de notre imaginaire associé à cette avenue. Un diptyque qui devrait ne pas laisser insensible ceux qui portent à cette période des années 20 américaines une vénération doublée d’un brin de nostalgie. Le superbe tirage de tête comprend notamment un sympathique cahier graphique, un prologue à l’histoire publiée chez Soleil (en couleurs), l’intégralité de la BD en version sépia orangée, et le livre d’or du Chapman’s Paradise comprenant les quarante aquarelles inédites réalisées par Djief pour les souscripteurs de la version exclusive. Petit bonus : deux ex libris double, un triptyque et une jaquette recto/verso ! un bel ouvrage qui nous replonge dans les années folles de l’âge d’or de Broadway !

 

Les cinq adaptations littéraires de l’année…

Fatale CabanesFatale de Cabanes (Dupuis)
On retrouve dans ce récit adapté du roman de Manchette, le charme des histoires de Simenon. Des histoires qui prennent au corps, tissent des portraits pas foncièrement nuancés de ses héros et des protagonistes d’arrière-salle qui s’y meuvent. Le récit se déroule au sein même de ses élites de province, là où le but avoué est de faire bonne figure lorsqu’on s’expose en public, quoique certain ont passé l’âge des courbettes et de la bienséance. Dans le récit de Manchette il porte le nom de Baron Jules, un marginal qu’Aimée rencontre la première fois urinant sur la tapisserie de Lorque, un de ces nouveaux riches qu’il exècre, autant qu’elle-même aime les travailler pour mieux les saigner par la suite. Cabanes excelle dans la manière de décrire ses personnages, de les camper dans leur rôle.  Donne à voir ici une mimique qui en dit long, là un regard si profond de sens qu’il semble pourvu de la parole, là encore une posture du torse qui dépeint la tension du moment. Le dessinateur s’attache donc à ce que chaque détail joue son rôle, qu’il apporte à la compréhension de l’ensemble. L’adaptation littéraire n’est pas chose aisée car le texte de référence peut souvent se faire trop présent ou trop fort pour laisser s’exprimer le séquencement. Cabanes évite tous les pièges. Il excelle même dans la description des scènes nocturnes, là où les dits et les non-dits possèdent une autre valeur. Le polar se déroule avec une efficacité redoutable, c’est propre, bien exécuté. Un grand album !

 

fils-soleil-tome-1-fils-soleilFils du Soleil de Nury & Henninot (Dargaud)
Le vieux Parlay sentant son heure arrivée décide de se séparer de ses plus belles perles. Plus jeune l’homme a dirigé et exploité jusqu’à la mort les indigènes d’une île perdue du Pacifique pour édifier sa soif de puissance et son pouvoir de destruction. David Grief, lui, est l’un des commerçants les plus riches des mers du Sud. L’homme a acquis une notoriété sans pareille en raison de sa droiture et de sa capacité à réclamer, au péril de sa vie, ce qui lui est dû. Lorsque Parlay décide d’organiser la plus grande vente privée de perles jamais organisée, il ne convie par Grief qui va malgré tout, entre deux affaires houleuses, prendre connaissance de cette vente et s’y inviter contre la volonté de Parlay… Le dessin de Henninot sublime le texte de London revisité par un scénario implacable de Fabien Nury. L’Aventure avec un grand, A voilà à quoi nous invite les deux (trois) hommes. Des houles changeantes en orage annoncé, le récit met en exergue les portraits d’hommes forts tout en maitrisant le cadre dans lequel ils évoluent. La tension qui se fait palpable au fur et à mesure que le récit avance donne à voir nos héros dans leurs derniers retranchements. Porté par un dessin qui conforte l’ambiance, entre dandysme tropical et aventure à la Stevenson, Fils du Soleil s’impose comme un récit fort aux personnages creusés qui libèrent leur suc dans un déroulé où tension et tragique se mêlent pour soutenir l’action…

 

Hommes à la merHommes à la mer de Riff Reb’s (Soleil)
Il fallait vouloir quitter la rade de Brest pour suivre les traces de Riff Reb’s sur les eaux tumultueuses des hautes mers lointaines. C’était y a un peu plus de quatre ans maintenant et l’auteur nous invitait à suivre les traces d’un vieil homme qui, retiré dans le grand Londres, prenait la plume pour nous parler de sa jeunesse agitée qui l’avait conduit à côtoyer le redoutable George Merry, capitaine de L’Etoile Matutine. Sillonnant les mers chaudes des Caraïbes, l’aventure et le dépaysement avait nourris nos imaginaires, dopés par le dessin subtil et expressif de Riff Reb’s, par les dits et surtout les non-dits lourds de sens. A partir de cette première escale il nous était plus facile de rejoindre la Baie de San Francisco pour prendre part bien malgré nous à un voyage vers le Japon. Dans un huis-clos pesant nous pouvions croiser un marin énigmatique qui terrorisait son équipage, un véritable Loup des mers qui, par doses homéopathiques devait pourtant nous révéler des pans cachés de sa personnalité complexe. Pour mettre fin à notre circumnavigation Riff Reb’s nous propose aujourd’hui de silloner encore quelques mers, de pénétrer dans des baies somptueuses et risquées, de prendre place sur des bateaux parfois bringuebalant, qui renvoient des peurs enfouies ou des espérances en l’avenir. L’auteur nous invite ainsi à redécouvrir, aussi et surtout, des textes fondateurs, de ceux qui alimentent nos rêves. Il puise dans MacOrlan, Conrad, Hodgson, Poe, Schwob, nous redonne l’envie de redécouvrir l’Odyssée d’Homère, Kernok le pirate de Sue, Le vaisseau des morts de Traven, Le Sphinx des glaces de Verne et bien d’autres encore. Au final et en regardant derrière nous les traces laissées par cette trilogie somptueuse nous pouvons affirmé que, si le voyage fut périlleux, il fut aussi riche en enseignements pour un auteur amoureux de la mer, de la complexité des rapports humains et de l’aventure comme moteur à de folles digressions graphiques…

L’interview de Riff Reb’s

 

guillaume-sorel-le-horlaLe Horla de Guillaume Sorel (Rue de Sèvres)
Être respectueux de Maupassant tout en restant Sorel, tel était le défi de base de ce projet ! Et pour tout dire le dessinateur normand s’en tire plutôt bien. L’esprit du texte est là, il habite chaque page du récit, chaque case. Guillaume Sorel ne remet pas en cause la question essentielle qui est de savoir si le personnage vire à la folie ou bien s’il se trouve victime d’un esprit, qui, à défaut d’être palpable, reste bien réel. Il nuance, apporte aussi sa propre expérience d’enfermement au texte de Maupassant, exacerbe les sens, les sensations, les perceptions du personnage pour donner à voir un homme habité par le doute, empreint de peurs, de tensions palpables qui lui font se poser la question ultime de son passage dans l’autre monde, celui de la folie. D’un point de vue scénaristique, l’auteur d’Hôtel Particulier dynamise le texte très narratif de Maupassant pour trouver suffisamment de sève et captiver l’attention du lecteur plongé dans l’exploration de ce récit. La moiteur des nuits agitées, les senteurs de la forêt qui s’étend près de la maison du personnage principal, et jusqu’au gout du lait et la fraicheur de l’eau laissés en pâture au Horla durant les longues nuits d’angoisses se lisent et se ressentent au travers des planches très expressives composées par le dessinateur. Le Horla pèse de tout son poids, on sent son emprise sur l’homme qui tente de ne pas perde son souffle et de ne pas sombrer définitivement. En cela l’opus proposé par Guillaume Sorel s’inscrit dans les adaptations personnelles très suggestives. L’auteur d’Algernon Woodcock habite le récit de son expérience et de sa vision du texte de Maupassant. Premier volet d’une trilogie normande, Le Horla de Sorel s’inscrit comme l’une des plus belles découvertes de ce premier semestre 2014 ! A noter que l’éditeur, Rue de Sèvres, propose une version “luxe” en grand format de cet album qui permet de magnifier les dessins de Sorel. Avis aux amateurs de beaux livres…

 

Un héros de notre tempsUn héros de notre temps de Céline Wagner (Actes Sud/L’an2)
Céline Wagner s’approprie le texte, le libère de certaines longueurs pour se laisser la capacité d’exprimer et de révéler par le dessin le cadre d’un pays et d’un environnement singuliers. Son trait évite l’épure qu’aurait pu engendrer un trop fort respect pour le texte, pour se densifier, notamment dans la description des paysages pluriels marqués par une riche nature. Elle louvoie les personnages, soulève leur désarroi, leur incompréhension, leur contradiction tout en laissant le soin au lecteur de se faire sa propre vision, sa propre perception de ce qui se joue dans le texte de Lermontov. Signe d’une parfaite réussite du projet, la lecture du roman graphique, appelle celle du roman originel. Comme si s’imposait à nous la nécessité de retrouver les mots que les images savoureuses de Céline Wagner nous offrent ici. Un projet traité de manière subtile, qui révèle le talent d’adaptation de son auteur.

 

L’album le plus sous-estimé de l’année…

Notre DameNotre Dame de Paris de Bastide & Recht (Glénat)
S’attaquer au Notre-Dame de Victor Hugo relevait d’un véritable challenge. Jean Bastide et Robin Recht s’y sont attelés avec une énergie et une passion rares. Chacun d’entre nous possède en tête, sans pour autant connaitre le déroulé exact de cette histoire, souvent vulgarisée dans nombre de films, comédies musicales ou autres adaptations, une imagerie attachée à cette œuvre fondatrice écrite par Victor Hugo durant la révolution de Juillet. L’auteur des Misérables y dépeint avec un réalisme saisissant le Paris du XVème siècle, une période au cours de laquelle la capitale grouille de truands des rues, de saltimbanques, d’artistes déchus, de manants à la recherche de quelques subsides ou de bouts de pains échappés, de plus rares chevaliers qui s’y aventurent pour rejoindre en douce leur bien aimé et par toute une faune indescriptible qui devait construire l’image du Paris placé entre deux époques. Car les lumières de la Renaissance n’ont pas encore pénétré les moindres venelles souillées et glauques de la cité, symboles de la noirceur d’un Moyen-Age qui offre encore pas mal d’incertitudes. Hugo excelle, dans ce contexte, à dépeindre des personnages vrais, titillés dans leurs faiblesses et qui vont franchir la limite qu’ils s’étaient un jour fixée. Bastide et Recht offrent une adaptation respectueuse de l’œuvre originale dans laquelle ils parviennent à magnifier chaque espace. Le dessin offre la tension et le doute qui habitent chaque esprit, la haine et la folie qui submerge un Frollo dépassé par ses sentiments tout en laissant apparaitre un brin de sensualité superbement intégré au récit. C’est subtil et vrai, une vision du récit par des auteurs qui ont pris le temps de s’y immerger afin d’y révéler le sens profond. Un projet à découvrir…

 

Les quatre (albums) fantastiques…

Chateau-étoiles-couvLe château des étoiles T1, 2 et 3 d’Alex Alice (Rue de Sèvres)
Sur la forme le Château des étoiles publié en trois volets de 24 pages sur les mois de mai, juin et juillet fera l’objet d’une édition classique au format BD et d’une édition spéciale dans la même veine que l’édition du Horla de Guillaume Sorel paru chez le même éditeur. On retrouve donc avec un plaisir non dissimulé le principe du feuilleton en journal grand format, comme nous avions pu le découvrir en son temps avec le projet L’Etrangleur de Tardi. Cette maquette en A3 proche du format des planches originales de l’auteur permet non seulement de se plonger véritablement dans l’histoire avec nos mirettes qui sillonnent les double-planches sur toute leur hauteur et toute leur largeur mais elle autorise aussi l’ajout d’une partie « journal », faite de nouvelles et faits divers ayant un lien direct avec l’épopée de nos héros ou le contexte historique qui se développe sur la partie dessinée. La suite l’année prochaine avec le second opus de ce Château des étoiles plein de promesses… Mention spéciale à l’éditeur Rue de Sèvres qui réalise avec ce projet une communication ludique qui ne peut que ravir les grands enfants que nous sommes encore.

L’interview de l’auteur du Château des étoiles…

 

EffroyableL’Effroyable Encyclopédie des revenants de Dubois, Black’Mor & Carine-M (Glénat)
Dire que les textes de Pierre Dubois, tout savoureux qu’ils sont et jouant sur nos effroyables peurs, se suffisent (presque) à eux-mêmes, n’a rien d’offensant pour personne. Le conteur nous convie ici à une plongée dans l’antre des imaginaires les plus sombres. Avec délectation il nous mitonne une prose enrobée de tout un bestiaire succulent, de saveurs puisées dans les contes de terroir et les anciennes souvenances colportées de génération en génération. Le tout avec la petite touche d’humour qui donne son piquant aux textes superbement rythmés proposés dans cette encyclopédie à plusieurs entrées. Dire que les visuels offerts par Elian Black’Mor et Carine-M, tout exquis qu’ils sont, jouant sur une dualité de style, d’approche et cette envie de donner du relief à nos effroyables peurs, se suffisent (presque) à eux-mêmes, n’a rien d’offensant pour personne. Les deux auteurs nous plongent dans des contrées ténébreuses, là où tous les possibles ont droit de cité. Ils parviennent, avec cette touche caractéristique, à mêler le subtil, la dérision, l’effroi, la déliquescence des sens (interdits ou pas)… Leurs dessins se lisent comme une porte d’entrée dans un univers dont on sait à l’avance qu’il ne permet pas de retour… ou sinon dans un état bien différent de celui dans lequel on y est entré. Par là-même ils offrent une dimension supplémentaire à cet univers construit à six mains. Dire que la (ré)union des trois auteurs frise la délectation pure suffit à comprendre que cette Effroyable Encyclopédie des revenants nous ouvre à des sentiers peu éclairés mais étrangement attirants. Le lourd grimoire possède tout à la fois une attraction jubilatoirement déraisonnée et cette faculté à nous replonger dans les saveurs anciennes des contes, des fables, fabliaux ou écrits chimériques de notre jeunesse plus ou moins lointaine que la patine du temps a rendu exigeante et qui se retrouve ici ranimée, comme revenue d’un voyage lointain ou d’un fourmillement trop longtemps contenu… 

 

MascaradeMascarade de Florence Magnin (Daniel Maghen)
L’enfance reste une période de grandes joies et de grands désarrois. L’envie de tracer sa route, de se libérer progressivement des cadres posés par des parents naturellement protecteurs, incite bien souvent les enfants que nous avons été à défier les lois de la raison. Pour Gaêlle, enfant sage qui a suivi sa mère pour des vacances à la campagne, la vie a parfois été un brin compliquée, notamment depuis que sa mère et son père se sont quittés et que sa mère file un amour (parfait ?) avec un amant très entreprenant. Pour éclore enfin la jeune fille va alors sillonner la campagne environnante, se faire un ami en la personne de Titou et braver quelques interdits. Des interdits qui renvoient à d’anciennes légendes et pratiques autour de masques facilitant le voyage dans un monde parallèle, celui des esprits. Un monde dangereux, qui tente d’emprisonner les âmes des vivants égarés, mais qui attire étrangement Gaëlle… Cet épais album de 240 pages Florence Magnin impose son atmosphère étrange avec subtilité et réalisme. Si la trame construite autour des fameux masques se développe et s’enrichit de complexités au fil des planches, c’est bel et bien sa vision de l’enfance qui reste le nœud de cet album. L’Enfance, période transitoire, incite à toutes les émancipations, elle dessine déjà, par les choix pris par chacun, celui que nous serons demain. La dessinatrice donne à voir en Gaëlle une jeune fille amoureuse de la vie, avide d’expériences nouvelles. Une enfant délaissée en partie par sa mère qui va elle-même délaisser ses proches pour se construire un univers mystique et complexe dans lequel elle gagnera une force nouvelle après avoir risqué de sombrer… Un récit magnifiquement coloré qui nous transporte dans un récit foisonnant de détails et nous enveloppe dès les premières planches…

 

PetitPetit, le fils de l’ogrede Hubert et Gatignol (Soleil/Métamorphose)
Pour un ogre, porter le nom de Petit pourrait porter à sourire. Pourtant c’est bel est bien sous ce nom fantasque que le fils du Roi-Ogre déboule dans la vie. Et comme ces aïeuls, le nouveau-né porte en lui les marques de la dégénérescence de la lignée. Dégénérescence due à la consanguinité qui caractérise cette famille établie depuis des lustres. Dans son malheur Petit possède pourtant peut-être les clefs du renouveau de la famille. Lui, maintenant rendu en la taille d’un humain pourrait en effet  s’accoupler avec une femme et briser l’inéluctable et programmée fin de son espèce, telle est la botte secrète de la Reine qui le soustrait à un sort bien sombre. Servi par un dessin tout à la fois somptueux et d’une expressivité rare, ce récit revisite les contes liés aux ogres pour nous servir une réflexion sur la filiation, sur l’inéluctable destin qui nous est attaché. Un récit plein de vie (!) et de peps qui, comme les grands classiques, se trouve teinté de cruauté appuyé par une tonalité gothique jubilatoire. A noter la double approche texte et BD. Le texte présentant les membres de la lignée, tandis que le récit séquentiel s’attache à retracer l’histoire de Petit. Du bel ouvrage !

 

Les 12 titres les plus attendus du premier trimestre 2015…

balles perduesBalles perdues de Hill, Matz & Jeff (Rue de Sèvres)
(présentation de l’éditeur) : Arizona, période la Prohibition. Roy Nash sort de prison, à laquelle il était condamné à perpétuité. Pour payer la dette de sa libération envers le boss de Chicago, Roy est à la poursuite de trois braqueurs qui ont filé avec le magot sans partager. L’un a de plus embarqué Lena, l’ex petite amie de Roy, dans l’aventure. Roy parcourt les speakeasy et les bas-fonds de Los Angeles à la recherche des fuyards, fâche les mafieux locaux, un détective verreux et ses propres patrons… De la vengeance, du magot ou de Lena, quel sera le vrai moteur de la quête de Roy ? Et surtout, comment survivre au milieu de ces gangsters à la gâchette facile ?

Histoires du quartier de Beltran/Segui (Gallimard)
(Notre avis du premier tome) : Dans cet album témoignage, Gabi Beltran livre le voile sur une jeunesse qui aurait pu lui faire entrevoir un destin tout autre. Le scénariste y décrit avec ses souvenirs et sans emphase le concret de sa vie dans les années 80/90 à Palma. Récit sensible qui ne vire pas dans la mièvrerie, Histoires du quartier aborde l’éveil d’un jeune homme aux réalités sociales. La dureté du travail d’un père accablé, la violence comme réponse à cette exclusion du système. Pour autant Gabi offre des récits teintés d’espoir dans lesquels il observe les choses avec ce regard d’enfant mais aussi ce regard d’adulte qui revient sur ses pas quinze ans plus tard. Beaucoup de ses amis d’alors ont connu des destins tragiques et l’auteur mesure la chance qui fut la sienne. Une chance au milieu de tant de vies sacrifiées…

La viergeLa Vierge et la Putain de Nicolas Juncker (Glénat/Treize Etrange)
(présentation de l’éditeur) : Elles sont cousines. Elles sont reines. Élisabeth Tudor est reine d’Angleterre. Marie Stuart, reine de France et d’Écosse. Elles prétendent toutes les deux au trône d’Angleterre. Élisabeth la frigide, l’éternelle vierge, fille illégitime et reniée par le Pape, peut compter sur son nom. Marie Stuart la sublime, la brillante, sur son charme et le soutien des catholiques. Mais deux reines pour une seule île, cela fait beaucoup… Avec le coffret La Vierge et la Putain, Nicolas Junker signe, dans un exercice de style digne de l’OuBaPo, deux ouvrages parfaitement symétriques dans leur construction narrative (la fin de l’un répond comme en écho au début de l’autre), racontant le destin hors du commun de ces deux femmes de pouvoir à travers le regard des hommes qui les ont côtoyées. Il réalise aussi et surtout deux passionnantes bandes dessinées historiques pouvant se lire indépendamment l’une de l’autre, montrant comment, au Moyen Âge, deux femmes ont mis l’ensemble des hommes de leur époque à leurs pieds.

L’Esprit à la dérive de Samuel Figuière (Warum)
(présentation de l’éditeur) : Un père dont la maladie diminue les facultés mentales se réfugie dans l’art et la sculpture ne pouvant communiquer. Les souvenirs de guerre vont permettre au fils de redécouvrir son  père.

LE RoyLe Roy des Ribauds de Vincent Brugeas & Ronan Toulhoat (Akiléos)
(présentation de l’éditeur) : Bien qu’étant de basse extraction, celui que l’on appelle Le Triste Sire est un des personnages les plus craints et respectés du royaume. Officiellement, il ne sert que la cause de son souverain, le roi Philippe Auguste, dont il assure la garde rapprochée. Mais dans l’ombre, appuyé par ses redoutables espions et hommes de main, les Ribauds, il surveille, manipule et, parfois, élimine ceux qui se mettent en travers de son chemin, dans les bas-fonds aussi bien qu’à la cour. Mais au coeur de l’hiver 1194, en assassinant sauvagement un commerçant bordelais, il va commettre une erreur qui pourrait le mener à sa perte. En effet, le lendemain de son acte, il apprend de la bouche du roi que ce commerçant était l’un de ses espions, chargé de déjouer une tentative d’assassinat. Il est alors missionné par le souverain pour retrouver les «assassins» du commerçant aquitain.

Les trois fruits de Zidrou & Oriol (Dargaud)
(présentation de l’éditeur) : Trois ans après le succès de La Peau de l’Ours, Zidrou et Oriol se retrouvent pour le conte Les 3 Fruits. Après 40 années de règne, le roi arrive au terme de sa vie. La peur de mourir devient son obsession. En échange de la vie éternelle, il promet sa fille à un mage démoniaque et devra manger la chair de son fils le plus valeureux… Zidrou joue avec les motifs traditionnels du conte (mise à l’épreuve des fils, répétition des séquences) pour nous offrir un voyage terrifiant, sublimé par les couleurs d’Oriol.

Prison d'EbenePrison d’Ebene de Sylvain Combrouze (La Boîte à bulles)
(présentation de l’éditeur) : Deux histoires, deux époques. Nantes, au XXIe siècle. À la limite du vagabondage, Lucien débarque en ville, sans argent ni repères. Le hasard lui fait croiser le chemin d’Ernest, un vieil homme paisible. Ernest… Est-il vraiment ce qu’il paraît être ? Un petit vieillard solitaire, doux et sans histoires ? Petit à petit, son passé remonte à la surface… Un passé étonnant… Ile de Gorée, au XVIIIe siècle. Un sorcier vaudou négocie avec un capitaine négrier la libération de son « stock » de marchandises… Un marché au prix inestimable. Au fil des chapitres, le lien entre ces deux époques se dessine et donne à voir furtivement un pan peu glorieux de l’histoire de Nantes… Un album sans paroles au graphisme puissant et singulier, doté d’un habile jeu sur les ambiances et les couleurs.

Racket de Stéphane Levallois (Futuropolis)
(présentation de l’éditeur) : A Paris, de nos jours. En rentrant de l’école, une jeune fille se fait voler son téléphone portable et reçoit un coup de poignard à l’abdomen. Courageusement, en silence, elle retourne chez elle avant de s’effondrer dans les bras de son père. S’en suit alors une lutte contre la mort qui rôde autour d’elle. Une longue histoire de combat pour la vie, pour la jeune fille et son père. Rares sont les auteurs qui savent à ce point faire passer des émotions en se passant de mots. Stéphane Levallois en fait partie. Par la force de son dessin, il nous entraîne avec lui dans un monde violent et silencieux. Racket est un livre atypique et intime, que l’auteur a dessiné dans de multiples carnets, case après case. Un travail de détails où l’auteur distille une émotion incommensurable.

Tin LizzieTin Lizzie #1 : La belle de Ponchatowla de Chaffoin et Monféry (Paquet)
(présentation de l’éditeur) : New York, automne 1962, Jake Lebey âgé de 65 ans vient d’apprendre la mort de son ami Rhod Fitzpatrick. Il se souvient de leurs aventures du temps jadis… Ponchatowla Mississippi, été 1908. Le Colonel Lebey, un riche planteur que tout le monde appelle simplement « le Colonel » vient d’acheter une automobile. Son intention n’est pas de parader avec, mais de la rendre utile pour le domaine, aussi charge-t- il Rhod, le régisseur, de la transformer en tracteur… Comme chaque année à la même période, le Colonel quitte son exploitation pour aller à la foire de Saint-Rochelle. De retour de la gare de Ponchatowla (où il a conduit son patron), Rhod apprend à conduire à Jake, le petit-fils du Colonel, puis lui propose de profiter de cette absence pour aller faire une virée à New Bay, la grande ville de l’état. Après bien des hésitations, Jake accepte. Cette expédition clandestine va radicalement changer le cours de leur vie…

Ulysse 1781 de Dorison et Herenguel (Delcourt)
(présentation de l’éditeur) : 1781, Yorktown. La guerre d’indépendance américaine touche à sa fin. Victorieux, le fier capitaine Ulysse Mc Hendricks s’apprête à rentrer chez lui avec son fils Mack et ses hommes. Mais le retour se précipite lorsqu’il apprend que sa ville, New Itakee, est envahie par une compagnie d’infanterie anglaise. Sa femme, Penn, a été faite otage… Ça vous rappelle quelque chose ? Évidemment !

UndertakerUndertaker de Dorison et Meyer (Dargaud)
(présentation de l’éditeur) : Jonas Crow, croque-mort, doit convoyer le cercueil d’un ancien mineur devenu millionnaire vers le filon qui fit autrefois sa fortune. Des funérailles qui devraient être tranquilles, à un détail près : avant de décéder, Joe Cusco a avalé son or pour l’emmener avec lui dans l’éternité. Pas de chance, le secret est éventé et provoque la fureur des mineurs d’Anoki City. Comment laisser enterrer une telle fortune alors que pour survivre, eux suent sang et eau dans les filons ? Comme le dit Jonas, « la mort ne vient jamais seule »…

Vaincus mais vivants de Le Roy et Locatelli (Le Lombard)
(présentation de l’éditeur) : Chili 1973. Carmen Castillo et son mari font partie du cercle des proches du Président Allende. Suite au coup d’état du Général Pinochet, ils décident d’entrer en résistance. Installée aujourd’hui en France, elle a fait le récit à Maximilien Le Roy de son histoire, une histoire de clandestinité, d’angoisse, de torture, de loyauté sans faille,… Une histoire de vaincus. Une histoire de héros.


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