MaXoE > RAMA > Dossiers > Livres / BD > La vision de la guerre en BD : 4ème volet

La vision de la guerre en BD : 4ème volet

La guerre renferme bien des paramètres qui nous échappent. Si les cœurs des conflits sont généralement bien restitués par les historiens, romanciers ou cinéastes, il arrive parfois que certains aspects échappent à notre lecture contemporaine. La résistance française durant le second conflit mondial s’est constitué de manière organisée, mais pas uniquement comme nous le font revivre Olivier Merle et Alexandre Tefenkgi dans le remarquable diptyque Tranquille courage (Bamboo-Grand Angle). La conscience de résister, avec les risques que cela suppose, dans le seul but d’apporter une pierre à l’édifice de la lutte contre l’envahisseur allemand, méritait un récit singulier. Que dire du poignant Le temps du rêve (Delcourt) de Stéphane Antoni, Olivier Ormière et Virginie Blancher ? sinon qu’il nous présente un des épisodes « oubliés » du premier conflit mondial : la participation des empires coloniaux, ici l’Australie. Franck Bourgeron et Sylvain Ricard nous transportent quant à eux sur le front de l’Est en plein second conflit mondial. La lutte fait rage entre les forces du IIIème Reich et l’armée soviétique. Dans ce contexte ils nous content le parcours décalé d’une équipe de tournage en plein cœur de la bataille de Stalingrad. Des récits surprenants qui nous ouvrent les portes d’une réflexion sur la place de chacun dans les atrocités et la déshumanisation qui naissent au cœur de la guerre…

 

Les récits construits autour du premier conflit mondial sont nombreux dans l’univers du 9ème art. Orientés autour des atrocités des tranchées, des gueules cassées ou des journaux de poilus, ils arrivent bien souvent à creuser des aspects essentiels de ce conflit sur le front de l’Ouest. Mais comme son nom l’indique, ce conflit mondial ne peut être résumé à une simple opposition entre soldats français et allemands dans les tranchées de l’Est de la France. Car les combats furent au moins tout aussi violents et atroces à l’Est ou en Méditerranée avec notamment la fameuse bataille des Dardanelles. C’est d’ailleurs le récit de cette bataille sanglante qui opposa l’Empire ottoman aux forces alliées, essentiellement des divisions françaises, anglaises et issues du Commonwealth que nous propose Stéphane Antoni accompagné au dessin d’Olivier Ormière et de Virginie Blancher aux couleurs. Le temps du rêve nous amène à suivre le destin d’un aborigène australien Freeman, enlevé par la force à l’orphelinat dans lequel il avait été placé, pour aller grossir les bataillons australiens.

24 Avril 1915, la bataille se prépare. La tension est palpable parmi les hommes qui composent le corps des forces australiennes. Les cadres, parmi lesquels le lieutenant-colonel Stucker s’attachent à renforcer le moral des troupes face à l’adversité qui les attend. Car le combat sera rude. D’autant plus que la plupart des hommes n’ont pas le sens du combat, soldats engagés pour fuir leur quotidien et qui ne connaissent que la vie civile. Pour le baptême du feu australien dans un conflit mondial, la tâche ne sera pas des plus aisée puisqu’il est demandé aux hommes du contingent de créer une brèche sur un promontoire étroit dominant Gallipoli. Entouré de collines les terres sur lesquelles débarquent les soldats australiens se trouvent vite sous le feu continu des forces de Mustapha Kemal. Cette bataille dont le but réel était de créer une diversion pour faciliter une attaque ciblée des forces anglaises et françaises au nord et au sud se révèle un véritable échec, une boucherie inutile. Les corps meurtris, les esprits lessivés par tant d’atrocités et d’incompréhension quant au but à atteindre, ne trouvent que peu de soulagement dans les décisions des cadres de l’armée pour qui les hommes, et notamment les aborigènes forment ce que l’on appelle couramment et à juste titre la « chair à canon ». Le récit de Stéphane Antoni repose sur un background historique parfaitement maîtrisé. Il arrive, avec un scénario bien ficelé à restituer les horreurs de la guerre, à transcrire aussi le moral des troupes et des officiers lâchés dans un conflit dirigé par des généraux et un Etat-major en charentaises. Le sort de Freeman, jeune aborigène parachuté dans un conflit qui le dépasse totalement, illustre parfaitement non seulement le rôle majeur des soldats issus des colonies dans le premier conflit mondial (la France et ses tirailleurs sénégalais par exemple en sait quelque chose) mais aussi le racisme récurrent qui s’affichait ouvertement dans les rangs des armées. Les pertes humaines des troupes australiennes durant ce conflit s’élèvent à plus de 60 000. Cet album doit donc aussi se lire comme un hommage pour des soldats oubliés et sacrifiés à la puissance des nations riches du nord. Un récit bouleversant dont nous attendons déjà la suite…  

Antoni/Ormière/Blancher – Le  Temps du rêve – T1 : Gallipoli – Delcourt – 2011 – 13,50 euros

 

La bataille de Stalingrad qui se déroula de l’été 1942 au 2 février 1943 joua un rôle essentiel au cœur du second conflit mondial. Sur le plan militaire cette bataille particulièrement sanglante (les victimes globales se comptent à près d’un million d’individus) devait ouvrir une première brèche dans le rouleau compresseur expansionniste allemand. La France était tombée en quelques semaines seulement, l’armée soviétique, quant à elle, réussissait là où ne l’attendait pas, dans un conflit où la stratégie militaire, force jusque là réservée aux généraux du IIIème Reich, devait s’avérer essentielle. Cette résistance russe homérique réveilla les esprits et fut à l’origine d’une médiatisation à outrance. La puissance allemande vacillait dans les campagnes et les rues de Stalingrad et un renversement pouvait s’avérer possible. Dès lors la presse et des cinéastes du monde entier s’emparent du sujet. Frank Capra lui-même livrera sa vision du conflit dans un reportage retentissant. La légende attachée à cette bataille meurtrière était en train de se construire.

Franck Bourgeron et Sylvain Ricard ont pris le parti de nous faire revivre un épisode-fiction rattaché à ce conflit, le tournage d’un film commissionné par Staline lui-même pour attirer sur lui les regards de l’Europe, entretenir et renforcer le culte de la personnalité qui lui était attaché. Récit d’une histoire au cœur de la grande Histoire donc, qui revisite certains travers du régime soviétique et rappelle, s’il le fallait encore, que la censure vivait là ces jours les plus sombres. Stalingrad Khronika va suivre les péripéties du commissaire politique Kazimir, d’un cinéaste raté, Yaroslav, de son assistant Simon, et d’Igor un soldat dévoué qui connaît parfaitement la ville. Au travers de ces personnages se trouve déclinée tout un pan de la société soviétique de l’époque. Corruption, camps de travaux forcés, armée désillusionnée, patriotisme exacerbé, rejet du contestarisme et de l’Art se trouvent dépeint par couches subtiles. Le scénario de Sylvain Ricard excelle dans la mise sous tension. Une tension qui croit au fur et à mesure que les quatre héros se découvrent et partagent leur but commun. Le dessin, lui, laisse l’image d’une Stalingrad fantôme dans laquelle le froid rigoureux de l’hiver laisse échapper ses brouillards glacés. Une ville décomposée, sous le feu permanent de tirs croisés, dans laquelle la vie semble n’être qu’un sursis laissé aux hommes. Un purgatoire grandeur nature au cœur des sauvageries de la guerre. Un album trace, à suivre…

Ricard/Bourgeron – Stalingrad Khronika – Dupuis – 2011 – 16,95 euros

 

La résistance française durant le second conflit mondial n’a pas à rougir de son action. Souvent décisive pour sauver des détenus de la déportation, semer le doute dans le camp allemand sûr de son fait, mener des actions visant à retarder la progression de l’ennemi ou organiser sur le territoire français les différents débarquements, elle aura permis pour nombre d’hommes et de femmes de s’opposer, au péril de leur vie, à la présence allemande. Si la résistance française s’organisa dans des réseaux structurés capables de mener à bien des opérations d’envergure programmées minutieusement, il se développa, également, un peu partout dans nos villes et nos campagnes une forme de résistance « spontanée », dont les actions individuelles et la prise de risque qui en découle n’en sont pas moins méritantes. Ces petites histoires ne sont pas toutes connues. Elles alimentent pourtant encore les récits de nos anciens au coin du feu. Tranquille courage publié dans la collection Grand Angle nous propose un de ces récits.

Peu après le débarquement en Normandie en plein été 1944, un jeune aviateur américain, Weston Lennox, doit s’extraire du cockpit de son avion de chasse abattu par l’aviation allemande. Sauvé de justesse il trouvera refuge dans la ferme d’un brave paysan Auguste Briant qui décidera, malgré une présence renforcée de l’armée du IIIème Reich, de risquer sa vie pour sauver le jeune capitaine. Le fermier français possède une forte personnalité qui n’hésite pas à énoncer quelques vérités criantes aux oreilles des officiers allemands de passage. Cacher un soldat américain dans sa grange va au-delà de cette simple opposition langagière et est passible d’exécution. Pour éviter de mêler sa famille à cela et risquer de propager la rumeur, Auguste Briant décidera de ne pas informer ses proches. Durant deux mois l’officier américain dormira ainsi dans un tonneau aménagé spécialement par le fermier. Au fur et à mesure que les jours passent une complicité qui vire rapidement en amitié sincère se forge entre les deux hommes. Une de ces amitiés qui rassure sur la capacité de l’homme à partager, offrir et écouter l’autre. Olivier Merle et Alexandre Tefenkgi nous proposent avec Tranquille courage un diptyque étoffé accompagné d’un cahier documentaire précieux qui replace cette histoire vraie au cœur de l’histoire. Rien de grandiloquent mais des liens qui se tissent inexorablement avec le lecteur et finissent par l’associer à ce récit poignant et humain. Cet album proposé par Grand Angle en intégrale, se vaut de figurer en bonne place dans votre bibliothèque.

Merle/ Tefenkgi – Tranquille courage – Bamboo/Grand Angle – 2011 – 25, 90 euros

 

 


Sur MaXoE, il n'y a PAS DE PUBLICITÉ Par contre, vous pouvez nous en faire sur les réseaux sociaux







Depuis combien de temps lisez-vous MaXoE ?





Chargement ... Chargement ...