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L’Egypte en BD avec ‘Cité d’Argile’ de Milan Hulsing (Actes Sud/l’an 2) : Chronique et Interview

Si l’Egypte a donné lieu à de fabuleux récits graphiques portés par l’histoire de ce pays, fascinant dès sa plus ancienne antiquité, nous avons plutôt choisi de vous faire (re)découvrir cette Egypte cachée, celle qui peut dévoiler ses faces les plus sombres. Car le pays n’est pas qu’un musée à ciel ouvert, il est aussi vivant, fait de composantes plurielles qui l’inscrivent dans une contemporanéité parfois dure faite de troubles profonds, de l’emprise morale et spirituelle de quelques communautés mais surtout d’espérances vivaces en un avenir meilleur.

Avec Cité d’Argile le dessinateur néerlandais Milan Hulsing propose un roman graphique d’une esthétique rare. Tout part de la lecture du texte troublant Over the Bridge de l’égyptien Mohamed El-Bisatie dans lequel le dessinateur puise son inspiration. Dans ce récit critique envers la société égyptienne contemporaine le héro, Salem, fonctionnaire d’Etat, monte un plan machiavélique pour détourner des sommes d’argent colossales destinées à la solde et aux frais de fonctionnement des forces de police. Pour cela rien de plus simple : créer une ville imaginaire, Khaldiya dans laquelle règne le vice, mais aussi où les grèves et les manifestations fomentées par les communistes nécessitent une intervention régulière des forces de l’ordre. Tout cela conduit inévitablement à augmenter les sommes d’argent débloquées pour faire face aux surcharges de travail.

Pour arriver à ses fins Salem devra cependant s’attacher les services de Younis, lui aussi fonctionnaire, homme sans le sou qui ne demande qu’à améliorer son quotidien. Il devra aussi fabriquer de toutes pièces une masse vertigineuse de paperasses pour abuser ses supérieurs et faire de Khaldiya non plus une simple ville imaginaire, née de l’esprit d’un homme peu scrupuleux mais bel et bien une ville crédible, qui possède tous les aspects d’une capitale de province. Cette recherche constante de crédibilité trouve son paroxysme lorsque Salem construit, dans son appartement, une maquette en argile de cette ville fantôme. Plus la ville prend corps entre les mains de Salem, plus l’esprit de celui-ci s’égare entre réalité et fiction. Cette lente plongée dans la schizophrénie sonne progressivement la perte de l’homme. Milan Hulsing reconnaît avoir pris certaines libertés avec le texte d’origine. Il construit avec Cité d’argile un roman graphique salutaire qui puise dans les maux de notre société les images propices à nos propres questionnements.

Questionnements sur notre rapport à la société et la manière dont elle se trouve policée à l’extrême mais aussi sur les rapports entre les hommes – certains tout du moins –  pour qui l’égoïsme et le repliement sur soi semblent les voies privilégiées pour se protéger d’un mal indéfinissable mais aussi, et plus sûrement, pour cacher leur lâcheté. La tension se fait également sentir lorsque Salem dans un moment de lucidité souhaite reverser à des personnes touchées par la misère une partie des sommes qu’il dérobe à l’insu de sa hiérarchie. Cela se révèle un échec cuisant, accentuant de fait sa lente descente aux enfers. La réussite de ce projet tient aussi dans le ton donné par le dessinateur à ce conte sombre. Un ton qui oscille entre causticité et humour noir renforçant de fait la portée du message livré. Le dessin quant à lui est à l’image de l’Egypte pluriel, sombre, mouvant, sensible. Les couleurs naviguent dans les bruns : sépia, ocre… gommant au passage la gaieté qui a peut-être suivi d’autres chemins, et pas forcément ceux de l’Egypte d’aujourd’hui. Point de résignation mais une attente certaine…
Milan Hulsing – Cité d’argile – Actes Sud/l’an 2 – 2011 – 19, 50 euros

 

Interview de Milan Hulsing

Peux-tu te présenter à nos lecteurs ?
Je suis né à Amsterdam en 1973, d’un père néerlandais et d’une mère tchèque. Même si mes parents étaient très ouverts d’esprit, on ne peut pas dire que j’ai grandi dans une ambiance artistique. Pourtant, cela ne nous a pas empêchés, mon frère et moi, de nous diriger vers la bande dessinée et l’animation. J’ai commencé à écrire de courts récits pour des petits magazines. Ces récits étaient toujours un peu bizarres, jouant sur le suggéré et les dangers. Il y a, aux Pays-Bas, beaucoup de bons dessinateurs mais comme le pays n’est pas très grand, il est difficile de vivre de la bande dessinée. Par chance, me débrouillant assez bien dans l’animation, j’ai fini par travailler dans ce domaine. J’ai ainsi réalisé par exemple le film Magic Show en 2009 pour Sylvia Kristel. Il y a cinq ans ma femme a eu une proposition de travail en Egypte et nous avons décidé de déménager là-bas avec nos deux enfants. J’aime travailler dans le film d’animation mais, intellectuellement, j’avais besoin d’un autre stimulant. C’est pour ça que tout en poursuivant dans l’animation, j’ai commencé à réfléchir à la réalisation d’un long roman graphique. En Egypte, j’ai trouvé le temps et l’inspiration pour l’entreprendre.

Cité d’argile est basé sur la nouvelle Over the Bridge de Mohamed El-Bisatie. Quand as-tu découvert ce texte et quand as-tu décidé de l’adapter en bande dessinée ?
C’est ma femme qui a découvert ce texte. Je l’envie d’être une si bonne lectrice. J’aime bouquiner mais je prends mon temps. En revanche ma femme est une véritable dévoreuse de livres ! Connaissant mes goûts, elle m’a recommandé ce texte. Un de mes livres préférés est Les Ames mortes de Gogol. Le livre de Mohamed El-Bisatie possède beaucoup de points communs avec lui. Ce n’est pas étonnant car Gogol et la littérature russe ont eu une grande influence sur la littérature égyptienne.

Tu vis en Egypte depuis quelques années. Peux-tu nous parler de la situation actuelle de ce pays ?
C’est assez fluctuant. Il y a une semaine beaucoup de nos amis étaient déprimés de voir grandir ce que nous appelons la « contre-révolution silencieuse » et la position souvent peu claire des militaires. Il y a aussi la crainte de voir la révolution récupérée par les forces religieuses. Récemment s’est tenue une grande manifestation à Tahrir, dans l’esprit des premiers jours de l’insurrection. Un mélange de personnes et de groupes radicalement différents mais qui ont entamé entre eux des discussions saines. Il reste donc de l’espoir, en ce moment du moins…

Salem le héros de l’histoire construit une ville imaginaire afin de détourner de l’argent public. L’idée de la ville imaginaire est une thématique très présente en littérature (Platon, Italo Calvino, Jorge Luis Borges…), ici pourtant elle n’existe pas et elle est loin d’être une ville idéale. Khaldiya est-elle un raccourci des problèmes que rencontre l’Egypte actuellement ?
Je ne pense pas que Khaldiya soit une cité utopique. Elle est ce que l’on appelle une dystopie (ou contre-utopie). Salem doit créer une ville qui coûte suffisamment cher à l’administration pour que son existence ne soit pas remise en cause. Pour cela il est obligé de mettre en place une police d’état et d’inventer des problèmes de sécurité. La réalité devient fiction. Tous les rapports de police archivés peuvent aussi être factices. Mais comme l’histoire n’est pas très linéaire et qu’elle est parfois coupée on ne peut pas affirmer que Salem soit l’auteur réel des chapitres de Khaldiya. Une tension naît de ce que nous lisons.

Ce qui inquiète dans cette histoire c’est que, si Salem détourne de l’argent, le lecteur ne connaît finalement pas son but réel. La tension qui s’installe progressivement dans cette histoire est-elle pour toi l’une des clefs de ce drame ? Salem n’est-il pas finalement la victime d’un système qui favorise l’exclusion et l’isolement ?
Je ne pense pas que Salem soit une victime. J’ai sincèrement pitié de lui. Je crois que beaucoup de gens sont dans sa position et occupent des emplois « intellectuels » sans aucune perspective d’avenir jusqu’à la fin de leur vie. Mais lui ne peut pas. On peut dire que nous sommes dans une histoire qui parle de la folie. Il n’y a pas toujours de logique dans les actions et les choix de Salem tout comme dans la manière dont il façonne Khaldiya dans sa tête. Son drame personnel, celui qu’il projette sur l’inspecteur de Khaldiya, pourrait aussi être imaginé. Dans ce sens nous pouvons dire qu’il est sa propre victime. Mais c’est vrai que j’ai eu besoin de ce drame personnel pour ouvrir une fenêtre dans l’esprit fermé de Salem.

Tu as choisi de n’utiliser que peu de couleurs dans ce roman graphique (différentes teintes de brun : sépia, ocre…) est-ce un choix délibéré et spécifique à cette histoire pour accentuer la tension ou bien est-ce quelque chose sur lequel tu travailles plus généralement ?
J’ai beaucoup travaillé en noir et blanc et certains de mes contes ressemblent à de la gravure sur bois. Il est exact que mes bandes dessinées, tout comme mes illustrations, sont généralement dans des teintes plus « conventionnelles ». Je pense cependant qu’il fallait que je fasse ce choix pour ce livre. Il est difficile de parler des partis pris esthétiques et de dire en quoi ils affectent l’histoire d’un point de vue dramaturgique. Pour moi ces couleurs correspondent très bien à l’Egypte.

L’humour, même s’il s’agit d’humour noir, n’est pas totalement absent du récit (je pense par exemple au passage avec la danseuse qui reçoit de l’argent de la part de Salem ou au formulaire administratif qui apparaît à la fin du livre). Cela donne en quelque sorte des « respirations » au récit. Est-ce aussi un moyen d’accentuer la portée de cette histoire ?
Je suis heureux que vous parliez de l’humour qu’il peut y avoir dans cet album. Des parties de l’histoire relèvent en effet du grotesque, comme le franc-parler et l’ignorance des réalités sociales de l’inspecteur. Si ce n’est pas humoristique c’est au moins grotesque ! La violence dans mon livre n’est pas du genre de celle que l’on trouve dans certaines bandes dessinées – la douleur et les blessures sont bien réelles – il a donc fallu que je travaille spécifiquement pour placer ici ou là des touches d’humour noir. Je ne voulais pas rire des victimes. Ce qui produit de l’humour selon moi c’est la différence entre les intentions de chaque personnage et les résultats concrets qu’ils obtiennent, tout comme l’idée fausse qu’ils ont d’eux-mêmes. Il fallait aussi que je place des scènes plus concrètes et plus claires pour le lecteur pour desserrer l’emprise. Ces passages permettent aussi de garder un contact avec le temps qui passe. En travaillant sur le livre j’avais besoin de m’assimiler plus ou moins à chaque personnage. Je devais me rapprocher du caractère de Younis pour avancer. Il est rongé par la tristesse mais reste pourtant foncièrement comique. Je pense que je l’aime malgré ses faiblesses. Lorsque j’ai demandé à Mohamed El-Bisatie de me parler de Younis son visage s’est éclairé d’un sourire. Il m’a dit « Ah Younis… », comme s’il s’agissait d’un de ces vieux amis.

As-tu rencontré des difficultés (techniques) dans l’adaptation de cette histoire et as-tu pris certaines libertés par rapport au texte de Mohamed El- Bisatie ?
Dans le livre original l’inspecteur est un personnage à part entière. Les parties concernant la ville de Khaldiya sont écrites dans un deuxième temps. Il y a dans le roman tout un jeu linguistique autour de chaque narrateur pour distinguer les parties entre elles. J’ai essayé de construire mon récit de cette façon mais cela ne fonctionnait pas. Du coup mon histoire ne comporte pas de narrateur. Même si l’on peut dire que Salem est l’auteur des parties concernant Khaldiya, il est difficile de mettre en évidence ce lien dans ma propre version. J’ai également dû composer avec le nombre important d’anecdotes qu’utilise Mohamed El-Bisatie dans le roman. J’ai essayé de rendre l’histoire plus linéaire pour qu’elle puisse prendre la forme d’un roman graphique. J’ai aussi changé la fin de l’histoire car je la trouvais un peu abrupte. J’ai pensé qu’il était nécessaire de la retravailler. J’ai procédé à de nombreuses adaptations au fur et à mesure que j’avançais dans mon travail ce qui a modifié également l’ordre de certains évènements.

Que retiens-tu de ce travail sur ce projet ?
Je pense que je me souviendrais tout particulièrement des scènes que j’ai réalisées de Younis. Avec certains amis, je me promène de temps à autre la nuit de manière semblable, sans but précis. Nous nous asseyons dans le centre pour prendre un café. Dans les scènes que j’ai réalisées pour cet album j’ai pu projeter ma vision du Caire.

 

Chroniques de Nécropole c’est avant tout une histoire d’amour de deux français pour l’Egypte et plus particulièrement pour le village de Gournah, situé tout près de Louxor. Golo, de son vrai nom Guy Nadaud, vit dans cette région depuis de nombreuses années. Dibou elle, est consultante en marketing et vit à Paris lorsqu’elle rencontre Golo en 1995. Progressivement Dibou va se faire accepter par les habitants de Gournah, découvrira les coutumes locales et les personnages singuliers qui le peuplent. Les séjours à Gournah se font de plus en plus réguliers jusqu’au jour où elle décide finalement de tout lâcher pour rejoindre Golo et poursuivre les projets déjà en gestation, dont l’ouverture d’un atelier/boutique de souvenirs pour touristes.
Au-delà de cette histoire d’amour pour une terre qui n’a pourtant rien d’hospitalier au premier abord, l’histoire de Golo et de Dibou, doit se lire comme un réquisitoire contre l’industrie outrancière du tourisme dans des zones écologiquement ou socialement fragiles. L’Egypte vit par son tourisme qui lui permet de faire entrer des devises étrangères fortes. Dès lors tout ce qui va dans le sens d’un développement des activités tertiaires est encouragé, et ce même si des populations où un village entier doit disparaître de la carte. Gournah deviendra ce village qui gêne le développement des activités lucratives. Dès lors il était condamné à court ou moyen terme.
Avec beaucoup de nostalgie Golo et Dibou nous content les derniers moments vécus sur place avant la destruction complète du village, agrémenté de photos prises sur le vif, avant et après l’ultime arasement des maisons. On y découvre les liens tissés notamment avec les enfants, les concours de la plus belle poupée ou du dessin du plus beau bateau. A chaque fois les photos immortalisent le moment de joie qui en résulte. Golo et Dibou auront tout donné pour créer le lien, offrir autant qu’ils ont pu recevoir, pour faire vivre l’âme du village et graver des souvenirs dans les mémoires.
Aujourd’hui le village n’est plus. Mais il reste cette chronique de la nécropole, magnifiée par le dessin de Golo. En véritable artificier d’émotions il use ainsi de couleurs bariolées à l’image de celles qui se mêlent dans les pays méditerranéens : Des déclinaisons de bleus et de jaunes au service d’une histoire sincère où l’émotion simple s’affiche au fil des pages. Un témoignage bouleversant…   
Golo et Dibou – Chronique de la Nécropole – Futuropolis – 2011 – 22 euros


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