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Orval, récit d’une abbaye à travers les âges par Servais

Jean-Claude Servais nous livre avec Orval un récit poignant sur l’histoire tragique d’une abbaye. Le deuxième volet de ce diptyque publié récemment confirme le talent de ce dessinateur proche de la nature et foncièrement humain… Orval restera comme une œuvre d’une grande richesse émotionnelle et d’une beauté « plastique » rare…

Les amateurs de bières trappistes connaissent sans aucun doute Orval, mais l’abbaye qui a donné son nom à ce breuvage, aussi délicieux soit-il, possède également une histoire riche et tragique que Jean-Claude Servais nous narre dans un diptyque dense, d’une rare beauté esthétique. Il faut souligner d’entrée que la tâche n’était pas des plus aisée, puisque l’histoire qui nous est révélée au travers de ces deux volets (l’un paru en novembre 2009 et le second en octobre 2010) embrasse près de dix siècles, de la création des premiers murs jusqu’à la reconstruction de l’abbaye à partir de 1926. Servais devait donc choisir un angle d’attaque qui permette non seulement de tisser une histoire romancée qui possède sa dramaturgie mais aussi de s’attacher à respecter les grandes trames de l’évolution dans le temps de l’abbaye tout en conjuguant cette trame avec certains principes religieux qui participent à la compréhension générale de l’histoire. La lecture d’Orval nous apprend ainsi beaucoup des préceptes de St-Benoît, elle nous explique aussi le souci de méditation et de recueillement, propre aux moines bénédictins. L’histoire proprement dite s’oriente autour de deux personnages centraux, le moine Gauthier et maître Froisset. Les deux hommes, que tout sépare, vont se croiser et se recroiser sur plus de trente ans. Ils vont permettre de comprendre les légendes attachées à l’abbaye ainsi que certains soubresauts de l’histoire de France.

Mais commençons tout d’abord par le début, les origines de l’abbaye et son étymologie. Servais nous présente deux moines qui crapahutent à travers les forêts à la recherche du lieu idéal pour élever les murs de leur édifice consacré à Dieu. Nous sommes en 1070. Ils s’arrêtent sur un choix qui s’impose à eux comme une véritable révélation : Cette vallée est merveilleuse, elle inspire le recueillement et la sérénité. Ce lieu est sacré. Il correspond parfaitement à ce que nous cherchons depuis des mois en parcourant la Lorraine. Ils sont alors accueillis et protégés par Arnould de Chiny qui permet à l’abbaye de se développer rapidement. Un jour de chasse au sanglier, la comtesse Mathilde de Toscane vient se rafraîchir dans la fontaine des moines. Elle y perd son anneau d’or. Malgré les tentatives de le retrouver, ses hommes doivent se résigner à repartir en raison de la nuit qui pointe. Se produit alors un véritable miracle lorsqu’une truite se rapproche de la surface avec dans sa bouche le fameux anneau. La comtesse donnera ainsi le nom de Vallée d’or à ces terres…

L’histoire se poursuit quelques siècles plus tard à l’approche de la révolution française. Servais présente deux hommes qui se battent en duel à l’épée. L’un d’eux, Gauthier se résignera au combat et quittera se monde dont la violence le répugne pour trouver refuge au cœur de la forêt. Là il fera corps avec la nature qui s’affiche pour lui comme un moyen de se recueillir et d’entrer en méditation. Il y rencontrera aussi Helena, une jeune femme accompagnée d’un loup. Ils s’aimeront mais Gauthier dans ses méditations se résigne à l’amour corporel pour rejoindre l’amour de Dieu. Il se dirigera vers l’ordre des bénédictins d’Orval.

L’histoire se concentre dès lors sur l’abbaye, son développement architectural et économique qui passe par la maitrise de la sidérurgie et de la métallurgie rendues possible grâce à la mise en exploitation d’un moulin hydraulique. En pleine prospérité se produit à Paris un incident majeur. Le roi Louis XVI a pris la fuite. Il sera arrêté à Varennes. Certains pensent qu’il devait trouver refuge à l’abbaye d’Orval avant de quitter la France. De là viendra la rancœur du peuple, qui ne pardonnera pas cet épisode. En décembre 1793, les moines prennent la fuite et se réfugient au Luxembourg. Seuls six moines et quelques frères convers restent pour « garder » l’abbaye. Quelques mois plus tard le peuple souverain décide de s’accaparer les richesses restantes, dont le bois et le minerais. Les intérieurs de l’abbaye seront pillés notamment par maître Froisset. A cette suite l’abbaye sera brûlée et presque entièrement détruite. Fin du premier tome de ce diptyque.

Le tome 2 s’ouvre quelques années plus tard. Nous sommes en 1800. Henri Froisset poursuit son travail de pillage. Il dérobe les pierres tombées lors de la mise à sac par le peuple de l’abbaye pour édifier ses nouvelles écuries. Entre en scène un nouveau personnage qui se dit être le fils bâtard de maitre Froisset. Rejeté par son père, ce brigand de bas étage, jurera devenir plus puissant que lui.

La puissance, le bandit veut la gagner grâce à la découverte du trésor des moines d’Orval, car la légende dit que, lors de leur fuite au Luxembourg, les religieux ne purent prendre avec eux toutes leurs richesses…  – Les moines ont eu le temps de planquer leur or dans des souterrains secrets avant de s’enfuir pour Luxembourg et la mise à sac de l’abbaye par les révolutionnaires. Mais ce n’est pas tout ! La reine Marie-Antoinette avait emmené ses principaux bijoux dans sa fuite avec Louis XVI. Elle les avait confiés à son coiffeur Léonard Autié, parti en éclaireur avec le général Bouillé. On sait que le but de l’escorte royale était la citadelle de Montmédy. Louis XVI et Marie Antoinette devaient ensuite franchir la frontière pour Luxembourg en passant par l’abbaye d’Orval. Is n’ont pas été au-delà de Varennes-en-Argonne, mais le coiffeur Léonard a été vu à Montmédy, et le général Bouillé (…) est passé par Orval.  – Les moines ont aussi un refuge dans les murs de la citadelle. – Exactement ! Mais on n’a pas retrouvé les bijoux ! Aucune trace… seraient-ils cachés dans les dédales de la citadelle de Montmédy ? Je pense sérieusement qu’ils sont plutôt ici, à Orval…

Entre chasse au trésor et envie de puissance sous fond d’amour et de retrouvailles, ce second tome poursuit son effet de séduction. Le lecteur se trouve plongé au cœur d’une histoire dense, au suspense efficace fait de surprises et rebondissements, qui ne néglige pas pour autant une réflexion sur le temps et le rapport de l’homme à la nature.

Gaulthier restera le gardien et l’âme de l’abbaye jusqu’à sa mort. Ayant décidé de vivre en ermite – même si les « effets » de la révolution et de la haine portés au clergé et hommes d’église se sont estompés – il poursuit son travail de méditation et de réflexion : Ma relation à Dieu passe par la méditation et l’isolement. Je m’y livre tout entier. Un jour viendra où le calme reviendra sur ces terres, je ne devrai plus me cacher. Les gens pourront venir me demander conseil, et profiter de l’expérience spirituelle que j’aurai acquise tout au long de ces années de solitude.

Cette fresque consacrée à Orval s’inscrit comme un récit qui fera date. Le dessin de Servais possède une richesse du détail remarquable qui donne un réalisme presque troublant à l’histoire contée. Maîtrisant avec une justesse infime, le compromis entre récit historique et histoire romancée, entre le luxe de détail et les plages de « respiration » – offertes au travers du rapport qu’entretien Servais avec la nature, foisonnante et luxuriante, ainsi que la faune, notamment le loup qui ressurgit à de nombreux moments du récit et qui devient un personnage à part entière de ce diptyque (voir le regard qu’il porte lors de la destruction de l’abbaye par les révolutionnaires en fin du premier tome) – le dessinateur nous offre avec Orval une histoire qui se savoure de bout en bout. Que dire de plus sinon qu’Orval doit être considérée comme une œuvre à part entière, d’une force émotionnelle et d’une charge dramatique si réjouissante que l’on se laisse happer sans opposer aucune résistance…

Planches reproduites avec l’aimable autorisation de Dupuis :   Orval – © Dupuis – 2009 et 2010

A lire :

Servais – Orval (T 1 & 2) – Dupuis – 2009 et 2010 – 14, 50 euros le tome.

A voir :

L’exposition des planches de la bande dessinée à l’abbaye d’Orval jusqu’au dimanche 9 janvier 2011, dans les caves du musée, tous les jours de 10h30 à 17h30 entrée 5,50€


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