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Roman d’entreprise, roman social, l’écriture comme exutoire… (1ère partie)

Alors que le climat social n’a jamais été aussi tendu sortent successivement romans, films et téléfilms qui essayent de décrypter les maux qui rongent notre société. Autant de témoignages poignants et essentiels…

 

Aucun mois de l’année ne peut se venter d’être aussi chargé que celui de septembre : rentrée des classes bien entendu, précédée de peu par les derniers retours de congés estivaux, rentrée littéraire, rentrée sociale… Tout cela est en quelque sorte bien identifié. Mais lorsque littérature et tension sociale se télescopent, se nourrissent l’une de l’autre, cela donne le ton. Démontre surtout qu’un malaise s’instaure (ou se confirme pour être juste) avec la nécessité de penser le changement. Certains critiques reprochent souvent à la littérature moderne son côté sombre, son pessimisme récurrent. Mais la vision des auteurs actuels ne peut se comprendre que comme une mise en exergue du grand malaise social. Privés de repère, de vision à long terme, les écrivains, citoyens d’une société qui ne propose plus d’alternative à un système qui s’essouffle, transcrivent par leurs plumes les peurs de chacun.

La rentrée littéraire de septembre 2010 met en relief les tensions du moment. Par Philippe Claudel au travers de son ouvrage L’Enquête (Stock), par Thierry Beinstingel et son Retour aux mots sauvages (Fayard), par Nathalie Kuperman pour Nous étions des êtres vivants (Gallimard) et par François Marchand pour son décalé Plan Social (Cherche Midi). Si nous prenons en compte les publications, plus tôt dans l’année, du fabuleux Les derniers jours d’un homme de Pascal Dessaint (Rivages) ou la réédition pas si anodine, au printemps, de L’Imprécateur de René-Victor Pilhes (Points) – pionnier en la matière de roman « d’entreprise », qui nous a accordé un peu de son temps pour revenir sur ce roman qui fit sensation au milieu des années 70 (il remporta, à défaut de Goncourt, le prix Femina en 74) – nous aurons vite compris que le roman « social » revient en force sur les présentoirs des librairies.

Si nous ajoutons à cela la diffusion sur France 2 de l’adaptation du roman de Gérard Mordillat, Les vivants et les morts, réalisé par Mordillat lui-même, il devenait essentiel de revenir sur cette actualité car elle sonne comme un cri d’alarme de la part d’auteurs et d’intellectuels marqués par les dérives d’une société livrée de plus en plus aux dures lois d’un capitalisme certes encore triomphant mais pour combien de temps ? Essai de décrytage d’un malaise…


Les Vivants et les morts de Gérard Mordillat – DVD publié par ARTE Editions – 29, 90 euros

Ce WE sort en DVD chez ARTE éditions la série Les Vivants et les morts diffusée sur France 2 il y a quelques semaines. Cette série réalisée par Gérard Mordillat à partir de son roman éponyme publié chez Calmann-Levy en 2005 (Prix RTL/Lire) décrit la fermeture de la KOS, usine implantée à Raussel dans le Nord, et le drame du licenciement de ses ouvriers. Pour Gérard Mordillat la thématique sociale n’est pas nouvelle puisqu’il est déjà l’auteur de Vive la Sociale ! en 1981 – un retour sur l’enfance dans le quartier qui l’a vu naître au travers de personnages singuliers et attachants, d’un père communiste et d’une mère anarchiste – ou du plus récent Notre part des ténèbres (2008 – Calmann-Levy) qui narre la prise en otage, par les ouvriers d’une boîte « sacrifiée », d’actionnaires d’un fonds spéculatif américain en croisière sur un navire pour millionnaires. Pour l’anecdote il est à noter que ce roman avait été nominé pour l’obtention du prix Darcos 2009 du roman d’entreprise… au grand dam de son auteur qui avait alors déclaré au Nouvel Obs qu’il n’irait pas à la remise éventuelle du prix…

Dans Les Vivants et les morts, Mordillat part de l’histoire de Rudi et Dallas, deux travailleurs de la KOS, pour dresser de l’intérieur le drame qui parcourt les ouvriers, tout d’abord plongés dans le doute – car même si l’issue sociale est connue des ouvriers personne ne veut ou ne peut y croire – puis dans la lutte acharnée. La grande force de Mordillat, au-delà de la description chirurgicale des procédés qui aboutissent au plan social, repose dans cette capacité à faire vivre ses personnages, dans la construction de leurs drames respectifs et de la vie autour de la KOS.

La série débute sur une première épreuve : des pluies incessantes s’abattent sur Raussel et provoquent des inondations qui menacent les outils de travail de l’usine. Immédiatement le service maintenance, avec à sa tête le charismatique Lorquin, figure emblématique de la boite, se met au travail, rejoint par Rudi et d’autres ouvriers, pour sauver l’essentiel… et ce sans savoir ce qui se trame véritablement derrière ce que le direction, implantée au Luxembourg, appellerait un inespéré coup du sort climatique. Malgré la remise en état de fonctionnement de l’usine, les cadres dirigeants, convoqués par le « grand » patron Hoffermann, prennent connaissance de la décision du groupe de mettre en place un plan social destiné à « alléger » la masse salariale de l’usine et à gagner en productivité… Le chiffre de cent salariés (ramené à une soixantaine après la présentation d’un plan par le DRH Format) est avancé. C’est le début de la crise qui va entraîner l’occupation du site et la mise en grève du personnel.

Au travers des destins de Rudi et Dallas, un couple de jeunes ouvriers, de Mickie, déléguée FO (maîtresse de Rudi), de Lamy, délégué CFDT, de Lorquin, de Florence, la journaliste de La Voix qui suit quasi quotidiennement les évènements qui se déroulent à la KOS, de Gisèle, la fille du RH qui fréquente Franck apprenti de l’usine, de Behren, le directeur financier, de Kops, le médecin qui offre du travail à Dallas pour qu’elle arrondisse ses fins de mois et de bien d’autres personnages se nouent des histoires qui nous concernent tous : celles d’hommes et de femmes, de travailleurs qui donnent une partie de leur vie pour leur entreprise (leur seconde « maison ») et qui se retrouvent malgré tout arithmétiquement ramenés à l’état de numéros sur un papier, à l’état de « charges » pouvant égratigner les richesses accumulées par des actionnaires plus prompts à guetter les évolutions du CAC 40 ou du Down Jones qu’à contribuer à l’équilibre social d’une région et des hommes et femmes qui la composent.

Les Vivants et les morts est sans conteste un film militant, mais qui fait preuve d’une incroyable « pédagogie » citoyenne. Si Michael Moore avait tenté dans Roger et moi, qui reste l’un de ces meilleurs films, de dépeindre le climat social et les drames qui découlent de ces « attentats » économiques, Mordillat va plus loin car il arrive à construire sa trame avec beaucoup d’humanité sans tomber dans le larmoyant, la facilité ou le cliché. Il distille par ailleurs des dialogues cinglants qui marquent les esprits :

Dallas (à Florence, journaliste à La Voix) : Pour moi c’est le chômage ou faire la pute. Alors je préfère encore mieux me foutre en l’air.

Rudi (aux représentants de la chambre de commerce venus en réunion dans l’usine) : Nous on ne veut pas du déjà vu, nous on veut du jamais vu.

John Berger (l’écrivain dans son propre rôle) : Ceux qui ne se battent pas ont déjà perdu

Plus radical aussi cette phrase rapportée : Le capitalisme est malade. Achevons-le !

Au-delà de l’incroyable force d’attraction de cette série, il faut retenir un formidable jeu d’acteurs et une réflexion sur notre futur commun. Que devons-nous faire aujourd’hui pour préserver un avenir décent ? Est-il possible de construire une alternative viable à un système visiblement défaillant ? Lorsque la volonté des pouvoirs publics ne suffit plus à maintenir des acquis sociaux gagnés dans des luttes parfois tragiques, pouvons-nous avoir confiance en nos lendemains ?

De nombreuses questions qui ne trouveront peut-être pas de réponses concrètes dans Les vivants et les morts, mais qui laisseront place à une réflexion personnelle et collective sur le sens à donner à nos vies…


A lire (en réédition poche)

– Gérard Mordillat – Les Vivants et les morts – Le livre de poche – 2010 – 829 pages – 8,50 euros
– Gérard Mordillat – Notre part des ténèbres – Le livre de poche – 2009 – 662 pages – 7,50 euros
– Gérard Mordillat – Vive la sociale ! – Point – 2005 – 153 pages – 5,50 euros


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