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Sélection MaXoël 2018 de Seb : Franco-Belge, manga et comics

Noël c’est dans quelques heures. Pour ceux qui hésitent encore, comme moi en fait, une petite sélection de BD qui en cette fin d’année s’annoncent comme incontournables. On y retrouve des récits de début ou de fin d’année à poser près du sapin pour vos proches même lointains (comme disait la chanson) en toute confiance ! Petit guide de lecture pour ultimes achats !

Il y a six ans sortait le premier volet d’une saga en devenir qui allait placer Aglaé dans la lumière. Aglaé est une nymphe des eaux dont le quotidien n’épouse pas d’autres voies que d’attendre le prince charmant qui l’amènera au loin. Un jour elle croise un homme-poisson qui la met enceinte. Pour cette faute grave son père l’exclu de son royaume. Elle trouvera refuge dans le cirque de Mister Kite qui adopte au passage les trois filles qu’elle met au monde. Tout aurait pu très bien se passer si le terrible roi Von Krantz n’avait décidé de les enlever une fois parvenues à l’adolescence. Aglaé, portée par un instinct maternel se rendra dans le château du roi pour planifier sa vengeance. Après avoir liquidé Von Krantz elle devient très vite la nouvelle reine. C’est ce récit épicé que le lecteur pouvait découvrir, entre autres histoires savoureuses, dans les deux premiers opus de cette saga (La geste d’Aglaé et Cixtite Impératrice). Avec Boris l’enfant patate, Anne Simon, l’auteure de ce projet loufoque et fantaisiste pousse plus loin son sujet en faisant du fils d’Aglaé un prince despote porté sur la consommation de frites et l’argent à amonceler sur le dos d’un peuple littéralement envouté par la société de consommation qui voit progressivement le jour. Aglaé, quant à elle, est devenue l’ombre d’elle-même. Fantomatique elle se voit affublé d’un nouveau nom : Bulle, comme pour mettre en évidence aux yeux de ses anciens sujets sa relative et irréversible fragilité.

Anne Simon s’est imposée comme une auteure à suivre dans cette génération prometteuse qui a fait ses classes il y a une petite dizaine d’années. A la faveur d’un travail sur Freud, biographie réalisée sur un scénario de Corinne Maier, publié chez Dargaud, elle révèle un dessin relativement lâché et direct au service du récit et de ses personnages. Avec la Geste d’Aglaé elle met en avant son talent d’auteure en maitrisant de manière magistrale la narration d’une histoire qui peut faire écho aux récits de troubadours médiévaux par le côté épique d’un destin traversé de soubresauts incessants. Elle le fait avec un traitement moderne qui sait gratter là où ça fait mal. Car les sujets que développent Anne Simon sont tout sauf neutres. Elle parle de féminisme tout en révélant l’excès dans lequel il peut tomber. Elle critique ouvertement le capitalisme et le despotisme sans oublier les travers souvent aperçus pour lutter contre. La société de consommation qu’elle dépeint, se voit teintée d’ironie car elle est aussi la résultante d’un mode de vie (mal) digéré dans lequel le monde se vautre en pleine conscience. Anne Simon expose ainsi les paradoxes du genre humain qui aurait de sérieux penchants à l’auto-flagellation. L’humour qui se dégage de chaque scène, le travail et l’attention portée à des personnages qui campent des positions sans être totalement antipathiques, les clins d’œil appuyés qu’elle place ici ou là font de ce troisième opus une lecture passionnante et savoureusement irrévérencieuse. De l’excellent travail comme il s’en fait peu !
Anne Simon – Boris, l’enfant patate – Misma

BORIS L’ENFANT PATATE from misma on Vimeo.

 

Publiés à partir de 2009 chez Sarbacane, Les racontars devaient accoucher de trois tomes épais, La vierge froide, Le roi Oscar et Un petit détour. Trois pavés issus de l’œuvre de l’auteur danois Jørn Riel. Une œuvre qui puise son inspiration dans le long séjour qu’il effectua durant seize ans dans le nord-est du Groenland. L’auteur se nourrit des histoires qui se racontent ici ou là et par des légendes locales alimentées par les rares habitants de cette terre enneigée la plupart de l’année. De cette base offerte par les récits de Riel, Gwen de Bonneval et Hervé Tanquerelle proposent une adaptation graphique singulière qui conserve le sel de l’œuvre originale et l’humour constant qui transpire de chaque scène. Le regard porté par les auteurs se fait tout à la fois tendre sans être moqueur. Les hommes isolés qui peuplent cette partie du Groenland sont tous chasseurs et leur vie est organisée autour des saisons de chasse. Il faut d’abord tirer partie du gibier qui crapahute sur les landes gelées pour emmagasiner suffisamment de vivre pour tenir les saisons les plus froides, celles aussi où la nuit reprend son règne pour quelques temps. Ensuite une fois stockée la viande, les peaux représentent de belles monnaies d’échanges pour le troc local ou pour s’équiper de nouveaux matériels auprès des bateaux qui mouillent dans la baie près de la station de Guess Grave. Avec une certaine tendresse Jørn Riel présente des hommes qui sont resté de grands enfants. Coupés du monde, leur vie sociale se résume à peu de choses. A des visites effectuées par les uns ou les autres pour quelques jours ou à des traditions qui perdurent au fil des ans. Dans cet enfermement difficile de vivre seul. Sans ami ou compagnon « d’infortune », sans femme à aimer, les journées paraissent longues. Parfois des étrangers se perdent sur ce vaste territoire, et d’aucun ne mise quelques kopeks sur leur adaptation aux contraintes physiques sur la durée. Des histoires de coq, de femmes fantasmées et partagées par tous, des chicaneries entre résidents, d’une improbable milice organisée par un lieutenant en mal d’affirmation pour lutter contre un improbable ennemi, des amitiés avec des bêtes, et une poilante virée en iceberg à destination des terres plus chaudes. Le regard des hommes et leur façon de vivre dénotent une certaine naïveté en partie alimentée par leur éloignement du monde. Restent ces racontars, vrais ou pas, qui se dévorent avec un plaisir de lecture inégalé. A lire au coin du feu par périodes de grands froids pour partager le sort de ces atypiques héros !
Jørn Riel, Gwen de Bonneval et Hervé Tanquerelle – Racontars arctiques – Sarbacane

 

Mettre en scène la vie du Caravage. L’idée trottait dans la tête de Milo Manara depuis un certain temps. Le Caravage possède un parcours atypique dans l’histoire de l’art, un de ceux qui laisse parfois un goût amer quand la vocation de la peinture se trouve bousculée par le tempérament de l’homme. Le Caravage était homme de tempérament, toujours prêt à s’opposer à l’injustice, fougueux, souvent inconscient du danger à une époque où la violence, dans les rues coupe-gorge de Rome, était de mise. Il le payera au prix fort. Entré dans Rome par la petite porte, sans autre possession que son talent, il sauve très vite un vieil homme attaqué en pleine rue par des sbires de la famille Tomassoni, qui impose sa loi sur des quartiers de la ville. C’est dans une auberge de la ville, où le mène le vieil homme qu’il vient de sauver, que Le Caravage fera la rencontre de Ranuccio Tomassoni, peut-être le plus belliqueux de la famille, que le peintre défiera. Les deux se croiseront régulièrement dans Rome jusqu’à ce duel de rue dans lequel, à l’épée, Ranuccio parviendra à blesser Le Caravage à la tête tandis que le peintre devait occire son ennemi juré. Début de l’exil. D’abord dans les faubourgs de Rome dans un camp de saltimbanques où Le Caravage, fiévreux, proche de la mort en raison de la profonde entaille glanée dans son duel, va se reconstruire, puis vers Naples et, encore plus tard, vers Malte.

Si Milo Manara excelle dans la façon de construire ses personnages, qui gagnent en profondeur au fil des pages, il donne aussi à voir des cadres somptueux dans des cases regorgeant de détails, dans lesquelles il opère un subtil jeu de couleurs, en recherche permanente d’ombres et de lumières à l’instar du Caravage qui en fera sa préoccupation première tout au long de sa carrière. Si le parcours du Caravage reste encore entaché de doutes sur certains des moments de sa vie, Manara a construit son diptyque en puisant dans les recherches actuelles de l’histoire et de l’histoire de l’art. Cela donne un réalisme de tous les instants. Un réalisme parfois reproché au Caravage qui devait bouleverser la peinture de son temps en montrant la vraie nature de l’homme. Un des meilleurs récits de Manara.
Milo Manara – Le Caravage T2 – Glénat

 

Paris en cette fin de dix-neuvième siècle. Epoque des grands bouleversements issus de la révolution industrielle, de la montée aussi d’une défiance pour le monde nouveau, du décadentisme qui fait sa vie dans les salons propices à la débauche, du procès Dreyfus qui devait révéler les penchants vomitifs d’une France coupée en deux et de ce changement de siècle qui n’augure pas forcément du mieux à venir, et l’histoire le confirmera. Dans cette époque qui passe par tous les sentiments dans une même journée, un homme qui rêve de triompher par ses pièces de théâtre vivotent de succès d’estime en succès d’estime dans l’attente de lendemain plus réjouissants. Sa vie va pourtant basculer par un brin de chance mêlé à beaucoup de talent. Il s’appelle Edmond Rostand et Cyrano de Bergerac, la pièce, voit ses tirades se coucher sur le papier à une cadence infernale…

Adapter un roman en bande dessinée, l’exercice a été maintes et maintes fois répété avec succès. Transposer une pièce de théâtre sous la forme d’un récit séquencé est nettement moins fréquent. C’est pourtant ce que réalise avec brio Léonard Chemineau dans Edmond, récit tiré de la pièce éponyme d’Alexis Michalik qui replace le créateur de Cyrano de Bergerac dans le contexte de sa création, avec des enchaînements de scènes menées sur un rythme effréné, un humour constant et un amour du verbe. Le choix de Michalik de placer le lecteur dans les coulisses de l’écriture de la pièce mythique de Rostand fonctionne à merveille. D’abord car elle met en évidence le talent d’écriture d’un homme dont la carrière n’était jusque-là que parsemée de petits succès, et ensuite car elle livre la manière parfois rocambolesque dont s’est déroulée la phase même d’écriture. Une écriture compulsive dans laquelle les mots volaient de la bouche de son auteur à une vitesse stratosphérique. Le montage de la pièce avec son lot d’impondérables, de ratés, de frayeurs, d’émotion transpire de chaque planche. Dans Edmond Léonard Chemineau parvient à tenir son sujet en conservant l’humour constant que laisse transpirer la pièce. D’un point de vue graphique l’auteur de cette transposition surprend par l’usage de couleurs bariolées à l’image d’une époque elle aussi pleine de surprises et par la retranscription d’une époque et d’un cadre typés. Bravo !
Léonard Chemineau – Edmond – Rue de Sèvres

 

Dans ce moyen-âge qui n’entrevoit pas encore les lumières, Colas vit dans une ferme autour d’un père autoritaire et violent. Un jour il fuit sa maison pour éviter les coups à la suite d’une chamaillerie avec sa sœur qui a mal tournée. Il trouve refuge dans une brasserie qui va l’employer, dans un semi-esclavagisme, à moudre des grains pour justifier sa pitance. Dans cet antre nauséeux il trouve d’autres enfants de son âge dont il va se rapprocher pour atténuer la rudesse des journées de travail. Un soir d’hiver avec quelques-uns de ses camarades il décide d’aller jouer vers le lac alors que la neige recouvre la totalité de la campagne environnante. Arrivé à destination Colas croit apercevoir, sous la glace épaisse qui recouvre les eaux, le corps figé d’un homme dans un habit d’épais coton. Il se précipite vers son ami Camille pour lui montrer ce qu’il vient de découvrir mais, une fois revenu au lac, il ne parvient pas à retrouver le corps. Les deux garçons de retour à la ferme vont alors évoquer avec les autres enfants ce que Colas a aperçu sous les eaux. Le corps de l’homme serait celui de Jésus. Un Jésus qui a un message à délivrer, celui de venir libérer son tombeau à Jérusalem. A partir de ce moment les enfants vont tout faire pour mettre sur pied une croisade qui traversera le terroir français pour se porter en Terre Sainte…

La croisade des enfants sur lequel Chloé Cruchaudet construit son récit se base sur un fait réel connu en Europe. En 1212 en Allemagne et dans le nord de la France se mettent en place des croisades populaires (en opposition aux croisades armées) dont l’une d’entre elles auraient été portée par des enfants, sans qu’elle ne puisse parvenir à dépasser les limites du royaume. L’époque est propice à cet élan de foi dans des pays où la pauvreté est partout. La religion dans ce contexte fait office d’exutoire à ce marasme ambiant qui va durer encore quelques temps. Chloé Cruchaudet construit son récit à hauteur d’enfant en usant à bon escient de la naïveté de chacun face à la cruauté du monde et en mettant en évidence au fil de son déroulé narratif la violence qui s’installe peu à peu entre chacun au point de détourner la croisade de son objet initial et la conduire à un terrible échec.
Chloé Cruchaudet – La croisade des innocents – Soleil/Noctambule

 

Ça grouille dans le hall de récupération des bagages de l’aéroport international de Beyrouth Rafic Hariri. Au milieu des familles qui retrouvent leurs proches deux jeunes femmes engagent la conversation pour se mettre d’accord sur le partage d’un taxi à destination du secteur de Jounieh. A priori la course ne devrait pas être longue, tout au plus 20 mn, car l’heure avancée de la nuit a vidé les routes de la plupart des véhicules laissant la voie libre sur les larges artères qui mènent à la ville. Un coup de fil reçu par leur chauffeur va pourtant détourner son attention et lui faire rater la sortie en direction de Beyrouth. La voiture se retrouve dès lors engluée dans des quartiers pas très fréquentables habités par une faune d’énergumènes qui vivent la nuit et font de la violence leur principal mode de vie. Le début pour nos deux jeunes femmes d’un périple fait de frayeurs et de rebondissements dans un pays qu’elles ne reconnaissent plus.

Beirut Bloody Beirut est à l’origine un projet de fin d’étude que la jeune dessinatrice Tracy Chahwan décide de développer en récit complet. A la base de l’histoire deux jeunes femmes que tout oppose. Ramona, fille rangée, respectueuse des règles, craintive, se révèle l’exact opposé de Lio qui semble totalement détachée des évènements qui surviennent. C’est à partir de ces deux tempéraments dissemblables que Tracy Chahwan décline Beyrouth, qui devient, sous son trait dynamique et assuré, le troisième personnage du récit. Une ville marquée par la violence et la désillusion d’une jeunesse, mais aussi par la fête, la musique et une cuisine traditionnelle qui libère ses effluves enivrantes. Ville plurielle donc qui agglomère autant les résignés d’un pays « occidentalisé » que ceux qui croient encore en lui. La dessinatrice reconnait avoir puisé dans des faits réels qu’elle a parfois vécus, de près ou de loin, la matière qui donne corps à cette traversée de Beyrouth, tendant vers un réalisme social qu’elle dépeint avec une liberté de ton parfois sidérant. Avec Beirut Bloody Beirut l’auteure donne à voir un road trip urbain surprenant dans une ville labyrinthique perdue dans ses paradoxes. Le trait incisif et la façon de construire l’architecture de son récit, par volutes successives qui alimentent son message d’amour et de haine pour la ville, sans jamais oublier les touches de dérision, offrent un premier album saisissant proposé, cerise sur le gâteau, à un prix des plus raisonnables.
Tracy Chahwan – Beirut Bloody Beirut – Marabulles

 

Dans cette société sans espoir qui peine à motiver les membres qui la composent Sam appartient à ces jeunes qui se cherchent encore. Pas totalement décidé sur son avenir le garçon de 27 ans vit avec sa mère dans une banlieue sans âme d’Angleterre. Sans travail, il saisit l’opportunité offerte par Keith, un homme qui se dit membre éloignée de la famille, à la recherche d’un assistant. Le quinquagénaire est à la tête d’une petite entreprise spécialisée dans la distribution et parcours la ville pour refourguer ses biens et ses services à de petites entreprises locales. Rien de bien mirobolant mais, sans autres horizons, Sam accepte de faire un essai. Sur le papier tout oppose les deux. L’un est grand et maigre tandis que l’autre affiche des formes plus en rapport avec son âge. L’un est méticuleux maladif tandis que l’autre cultive la désinvolture comme manière de vivre. Les tournées, faites de passages réguliers chez des clients de longue date, respecte les mêmes codes et la même théâtralité : Keith sort de la voiture avec un formulaire à compléter et à signer et revient quelques minutes plus tard tandis que Sam attend dans la voiture ou à l’accueil. Une mécanique bien huilée qui cultive sa redondance jusque dans les pauses déjeuners passées à ingurgiter un friand gras à pâte sèche servi par une vendeuse aux blagues douteuses. Cette petite mort pourrait convenir au jeune homme sans repères et sans idéal – une certaine forme de complicité semble même se lire dans le rapport aux autres, dans cette façon d’habiter le quotidien – mais la vie ne mérite-t-elle pas qu’on la bouscule un peu ? Joff Winterhart excelle dans cette manière de construire ses personnages. Des antihéros qui cachent bien plus de choses qu’ils ne semblent en dévoiler. Keith représente cette vie sans relief rongée de l’intérieur par des habitudes que rien ne peut perturber. Sam lui est à l’image de pas mal de jeunes que la société a lessivés avant même qu’ils ne puissent s’exprimer. Les deux forment un duo atypique qui semble peu à peu se modeler, dans des jeux de regards et dans des échanges parfois surréalistes qui démontrent surtout la fragilité qui les habite.
Joff Winterhart – Courtes distances – çà et là

 

Madrid voit fondre sur elle des nuées de bombardiers qui vont bientôt détruire de manière méthodique les quartiers de la ville rangés aux côtés de la République. Au sein même de la ville, sur les toits, une autre lutte est engagée entre petits groupes de snipers isolés. Lulia ardente combattante, féministe au sein des Mujeres Libres prend tous les risques pour s’opposer aux partisans de Franco. Dans les airs la lutte est elle aussi terrible entre la flotte fasciste italo-allemande et les quelques avions engagés par la Russie pilotés par une faction étroite de soldats internationaux. Roman, l’un d’eux s’ilmpose comme l’un des meilleurs pilote. Lulia, Roman, deux destins qui ne vont pas tarder à se lier…

La guerre d’Espagne n’a jamais autant été portée en bande dessinée. A l’occasion des 80 ans du début du conflit et depuis deux ans, des titres majeurs ont vus le jour. Docteur Uriel publié cette année à la Boîte à Bulles en est un comme le sont le quatrième volet des aventures de Mattéo de Jean-Pierre Gibrat et Verdad de Lorena Canottière. Double 7 vient enrichir la bibliographie du conflit en se plaçant dans une double veine thématique jusqu’alors peu traitée. La première repose sur les conflits aériens mettant aux prises les aviations allemande et italienne, en soutient à Franco et à ses troupes rebelles, à la flotte aérienne russe pilotée par un contingent étranger venu en appui à la République légitimement élue. La seconde aborde les difficultés d’organisation des opposants aux rebelles, divisés entre plusieurs tendances idéologiques que Staline souhaitait contrôler pour modeler le pays dans le moule soviétique. Le « Père des peuples » par l’intermédiaire de conseillers envoyés au plus près des conflits fera son possible pour écarter de l’action les factions anarchistes de la CNT et du POUM (Partido Obrero de Unificación Marxista) qui commençaient à agglomérer autour d’elles de plus en plus de citoyens évincés d’une justice sociale. Pour éviter de tomber dans le récit didactique, Yann, a souhaité mêler la grande histoire à une fiction romantique autour de personnages bien campés, Lulia, la brune, tout juste âgée de 20 ans, fille (fictive) de la Pasionaria et Roman, pilote russe véritable As, blond, timide et maladroit. Un regard échangé (p 34) suffit à lier leur destin dans une Espagne portée à feu et à sang. Sur un projet de ce type le trait classique et classieux d’André Juillard fait des merveilles, plaçant le récit dans une direction retro-chic qui soutient la narration, avec le juste choix des cadrages, l’habileté technique pour exprimer la pensée profonde des héros en quelques traits et cette justesse dans la mise sous tension des combats et des bombardements. La guerre d’Espagne a encore beaucoup à raconter et la bande dessinée qui se développe aussi bien en Espagne autour de témoignages saisissants d’ « anciens » qui ont vécu de véritables drames, que dans les projets portés en dehors de la péninsule, parfois axés, comme dans Double 7, sur le côté romantique de la guerre, tel qui a pu être perçu par les volontaires engagés dans les brigades internationales, démontre la pluralité des approches. Un album à ranger précieusement dans sa bibliothèque.
Yann et André Juillard – Double 7 – Dargaud

 

Les adeptes de manga gore et décalés connaissent Shintaro Kago au travers de quelques-unes de ses histoires parues chez son éditeur français IMHO qui permettent de plonger dans l’univers « fashionable paranoia » qu’il construit. Un mélange de guro, de science-fiction, de dérision pure et d’une amère description de notre mode de vie contemporain où la société libéralisée s’accompagne d’une lobotomisation toujours plus prononcée des membres qui la compose. Hormis les œuvres publiées chez IMHO, le micro-éditeur italien Hollow Press a entrepris de relayer quelques-uns des titres de Kago dans son catalogue. Le surprenant Industrial Revolution and world war, dans lequel de petites créatures de type rongeur découvraient et utilisaient les corps démembrés de jeunes filles nichées dans les pentes escarpées de montagnes creusées par un étroit canyon asséché, s’est imposé comme un album culte de l’auteur. Par sa réflexion sur un monde en déliquescence qui a perdu le sens des valeurs premières pour s’enfermer dans des petites morts toujours plus voraces, tout comme par son traitement graphique ultra-dynamique, qui ne laisse jamais à son lecteur le temps de reprendre son souffle, Kago impressionne. The Day of the Flying Head poursuit dans la veine initiée par Industrial Revolution and world war notamment sur la forme du récit, muet et sur la satire acide de notre société. La narration se voit ainsi portée par le seul dessin que Kago se fait fort de rendre le plus expressif possible. Ce manga, proposé en feuilletons, s’ouvre par la beauté d’un paysage préservé traversé par une rivière qui sillonne une bande de terre sur laquelle pousse une luxuriante végétation. Survient alors un incident aux conséquences encore peu perceptibles : un vaisseau extra-terrestre vient déverser sauvagement dans ce paysage idyllique des barils d’un produit hautement toxique qui se répand par litres entiers dans la rivière. Or l’eau de cette rivière sert depuis toujours à alimenter le réseau qui sert à l’arrosage de toutes les productions agricoles des villes les plus proches. Une fois ingurgitée la nourriture issue de ces cultures polluées va répandre un mal étrange sur des victimes qui voient leur tête, sur laquelle sont encore liés les organes vitaux, se défaire de leur corp. Panique et folie pure s’emparent alors des habitants qui n’ont pas encore été infestés. Au travers des corps démembrés, éventrés, rongés par des acides puissants, déterrés, contorsionnés dans des postures improbables, c’est toute la mutilation des corps, thème cher à Kago, qui trouve ici un terrain idéal d’expression. Elle vient au service d’une société normée et normative dont il critique ouvertement le désintérêt pour la cause écologique. Une société dont le mot d’ordre reste celui de l’asservissement et de la destruction. Un message puissant porté par un dessin cinglant.
Shintaro Kago – Day of the flying head T 3 & 4 – Hollow Press


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