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Voyage en Alzheimer…
Trois récits dessinés déclinent leur vision de la maladie

Le neuvième art livre en cette rentrée littéraire trois récits graphiques autour de la terrible maladie d’Alzheimer. Ce sujet pas forcément facile d’approche trouve ici toute la pertinence de son traitement par la BD au travers de projets tout à la fois documentés et forts en symbolique. Le nombre de malades de part l’allongement constant de la durée de vie et le vieillissement de la population croît de manière continue. L’avenir ne laisse que peu d’espoir de voir s’inverser la courbe. Connaitre, comprendre et prévenir la maladie n’en devient dès lors que plus essentiel…

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D’un point de vue médical la maladie d’Alzheimer est une maladie neurodégénérative. Pour faire simple le cerveau perd progressivement des neurones au point de causer des atteintes irrémédiables aux fonctions motrices, au goût, à l’odorat, au langage et à la mémoire immédiate. La maladie est connue depuis le début du vingtième siècle et les traitements qui sont proposés aux malades ne parviennent pas pour le moment à freiner le développement de la maladie. La prévention à base d’activité cognitive soutenue tout au long de la vie, d’une bonne hygiène de vie tout à la fois physique et alimentaire (vitamine C et E, aliments pauvres en cholestérol…) permettent de retarder l’apparition de la maladie sans pour autant pouvoir l’enrayer. Ceux qui sont atteint par la maladie d’Alzheimer se trouvent donc en sursit. Les premiers temps ils peuvent prendre conscience de leur état et vivre presque normalement, puis au fur et à mesure l’aide d’une personne tierce devient indispensable.
Le sujet se trouve développé dans les trois récits qui suivent de manière tout à la fois documentée sans tomber dans le pathos avec l’idée de présenter les malades et leurs relations avec leurs proches. La souffrance engendrée par la maladie reste difficilement palpable. L’impact sur le moral des proches, conjoints, enfants, amis reste par contre relativement fort émotionnellement parlant. Voir le malade perdre chaque jour ses facultés et jusqu’à sa mémoire proche et moins proche peut devenir très vite insoutenable.

HD COUV.inddDans Au coin d’une ride, Eric se voit contraint de laisser son compagnon Georges dans une maison de soins. Cette séparation difficile à vivre pour les deux hommes semble pourtant inéluctable. Face à cette situation Georges se refuse à descendre de la voiture une fois arrivé sur le parking de l’établissement médicalisé. Pas vraiment un caprice mais l’idée que la vie lui échappe, qu’il risque progressivement de perdre Eric, avec qui il vit depuis de longues années. De loin des mamies assises sur un banc observent la scène amusées. Une situation que ces pensionnaires un brin curieuses ont dû observer à maintes reprises. Après un temps de « résistance » Georges se décide à ouvrir la porte de la voiture et à suivre les infirmiers jusqu’au bureau du directeur de l’établissement. Une visite de cette pension pour malades d’Alzheimer s’en suit… Avec un talent certain Thibaut Lambert livre un récit qui explore les méandres de cette maladie dégénérative tout en doublant l’histoire du regard permanent de l’autre face à l’homosexualité des deux hommes. Georges, le malade, voit ses repères progressivement s’effacer. Pour autant le stade d’évolution de la maladie lui permet malgré tout de ressentir encore des émotions fortes, ce qui rend la séparation d’autant plus difficile à vivre. Deux vies bien réglées qui se trouvent chamboulées de manière irrémédiable. Si la situation de Georges, placé en institut spécialisé tout en sachant qu’il y restera jusqu’à sa disparition prochaine, est peu enviable, celle d’Eric qui possède toutes ses facultés, l’est tout autant. Il y a tout d’abord cette idée d’abandon qui le tourmente en permanence, ces petits moments de vie construits à deux qu’il se doit de vivre désormais seul. Il y a aussi cette consigne difficilement acceptable de devoir cacher sa vraie personnalité. Car pour le chef d’établissement accueillir un pensionnaire homosexuel pourrait être mal vécus par les autres résidents. Éric sera donc le fils de Georges, un fils proche qui vient le voir régulièrement. Mais peut-on gâcher les derniers moments à vivre lorsque l’amour est encore et toujours présent ?

Le grand désordreSarah apprend la maladie de Midge, sa mère seulement âgée de 52 ans, en 1996. Pour la famille et les proches, le mal dont elle souffre ne peut porter pour nom Alzheimer. Peut-être en raison de ce que cela induirait pour le reste de la vie de la famille. Midge se voit alors proposé par les meilleurs spécialistes des batteries d’examens destinés à tenter de mettre un nom sur ce trouble que chacun espère passager. Mais il faut bien se résoudre à l’évidence. Il s’agit bien d’une dégénérescence neuronale. Sarah veut alors garder une trace de ce qu’elle va vivre comme moments tragiques mais aussi comme derniers beaux jours de partage avec sa mère. Elle décide donc de prendre des notes, accompagnées de dessins qui retranscrivent les scènes vécues, les doutes, les chagrins difficiles à surmonter et tout ce qui pourra un jour permettre de se souvenir de la beauté des moments passés près de celle qui demeura pour elle un modèle. Dans Le Grand désordre Sarah se rappelle de son enfance passée à la campagne dans une vieille ferme, de ses relations avec sa sœur Hannah. Elle revient aussi sur l’histoire de sa mère et de son père, explique la manière dont ils se sont rencontrés, les moments importants qu’ils ont vécus jeunes et lorsqu’ils sont devenus parents. Puis elle entre de plain-pied dans la maladie, les premiers troubles qui signent de manière forte la propagation de la maladie même si celle-ci n’est pas encore asservissante pour Midge. Les premiers oublis, les premiers lapsus, ces petits riens auxquels on ne prêterait pas attention si on ne savait le mal qui la touche. Pourtant dans le cas présent ces « accidents » du quotidien sonnent comme autant de signaux à la portée plus que symbolique, jusqu’à ce que ceux-ci deviennent par la force du temps plus récurrents et plus aliénant…
Dans cet album à la portée émotionnelle réelle, Sarah Leavitt se livre sans far. Elle offre aux yeux de tous ce que fut les années de maladie de sa mère sans cacher les moments les plus durs, ceux où les proches voient partir celle qu’ils ont aimée sans qu’ils ne puissent la retenir parmi eux. La famille restera quoiqu’il en soit toujours unie, refusant le plus longtemps de placer Midge dans un établissement de soin.
La force de cet album réside dans l’importance laissée aux petits moments de vie qui deviennent des grandes expériences de partage. La progression de la maladie se vit au quotidien avec l’idée que, même si le temps est compté, il ne doit jamais être gagné par la sinistrose. Les moments vécus en deviennent ainsi plus forts émotionnellement sans virer dans la surenchère de pathos qui aurait pu nuire au récit. Un album dont la lecture marque incontestablement celui qui s’y plonge.

CEUX QUI ME RESTENTLa couverture sur fond jaune montre un homme semble-t-il accompagné de sa fille. Les deux sont plongés dans un profond sommeil que personne ne dérange. Les dernières lettres du titre de l’album, Ceux qui me restent, couchés au-dessus des deux personnages, s’effacent progressivement comme pour donner à lire le moment éphémère qui sépare les héros d’un inéluctable dont le lecteur ne peut encore saisir toute la portée. Lui c’est Florent, un jeune homme un brin déboussolé qui a décidé, un jour de 1968, de tout plaquer pour rejoindre de l’autre côté de la Manche une jeune anglaise avec qui il avait partagé des bons moments lors des manifestations du fameux mois de mai. Il vivra avec elle un amour fou dont naitra la jeune Lilie. Mais l’enfant est arrivé lorsque sa mère sans est allé. Florent, seul pour élever la jeune fille, donnera le meilleur sans que cela soit peut-être suffisant. Aujourd’hui, bien des années après, l’homme devenu vieux se trouve happé d’un mal bien plus profond nommé Alzheimer.
Ceux qui me restent dépeint le parcours poignant d’un homme frappé tout au long de sa vie par le visage de la perte. Perte de sa femme, de sa fille, de sa mémoire. Perte de son autonomie et de sa vie. Cette trajectoire poignante d’un homme est décrite avec beaucoup de profondeur et de suggestion par deux auteurs inspirés. Le récit aborde en substance le drame d’Alzheimer mais pas que on y retrouve le drame de la séparation, du temps qui passe et sculpte des sillons profonds dans l’âme humaine, des sillons desquels il est parfois difficile de s’extraire pour changer le cap d’une vie semble-t-il déjà tracée. Les deux auteurs livrent un témoignage sincère sur une maladie qui gagne d’avantage de terrain chaque jour et qui ne laisse pas la chance de revenir en arrière pour accomplir ou tenter d’accomplir ce que la vie ne nous a pas laissé le temps de réaliser. Sa fille, Florent pourra la toucher, la sentir, la voir sans pour autant comprendre qu’elle est là. L’importance pour Lilie d’accompagner son père jusqu’à son destin final n’en possède que plus de force. Même si elle se questionne sur le sens de son action, même si elle en veut encore à celui qui n’a pas pu être le père tant désiré, elle comprend que le regret pourrait gangréner les jours à venir. Alors elle continue à venir au chevet de celui qui accomplit son dernier combat dans les interstices de ses souvenirs. Le dessin qui se fait parfois volatile, fragile, esquissé rencontre un texte qui se fait subtil, peu bavard, dans lequel chaque mot pesé possède son sens. Essentiel !

Trois récits qui abordent la maladie d’Alzheimer par trois angles d’approche différents. Des récits qui se font donc complémentaires et prouvent que le neuvième art peut proposer des sujets sensibles sans tomber dans la facilité de la déclinaison des sentiments. A découvrir.

Thibaut Lambert – Au coin d’une ride – Des ronds dans l’o -2014 – 13 euros
Sarah Leavitt – Le grand désordre – Steinkis – 2014 – 18 euros

Damien Marie & Laurent Bonneau – Ceux qui me restent – Grand Angle – 21,90 euros


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