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Voyages au loin, les épopées maritimes en BD

La mer fascine et renferme suffisamment de mystères pour nourrir les plus insoupçonnés récits. Moby Dick, ce combat halluciné entre un capitaine à la raison perdue et une baleine blanche demeure l’histoire la plus connue, la plus forte en symbolique et aussi la plus revisitée d’Herman Melville. Elle donne à voir tout son potentiel entre les mains d’Olivier Jouvray et Pierre Alary. Chanouga avec Narcisse, l’histoire d’un jeune homme abandonné sur une île inhospitalière de l’actuelle Papouasie, livre un récit intimiste qui touche à l’essence même de ce rapport de l’homme aux éléments fondateurs de son histoire, une histoire dont les contours flous livrent une ou des vérités à la lumière de l’imaginaire débridé de son lecteur. Errance possède lui aussi sa force attractive dans un récit qui se compose entre carnet de voyage et récit contemporain enlevé sur les traces d’Henry de Monfreid. Trois récits entre terre et mer, qui nourrissent nos rêves les plus exaltés…

 Narcisse

Narcisse couvSur les côtes vendéennes dans le dernier quart du dix-neuvième siècle. Près d’un phare un jeune garçon pris à parti par des camarades chapardeurs tente de leur échapper. Il prendra la fuite vers le phare, là où vit l’homme cannibale, celui qui fait fuir les villageois les plus téméraires et qui alimente les plus sombres histoires. Le contact entre l’enfant et l’homme aura lieu alors que le garçon libère l’embarcation, faite de bois assemblé par ses soins, dans une mer agitée. Par ce vent-là, si ton voilier file droit, dans quelques semaines il aura rejoint la rive d’en face lui dit l’homme. L’Amérique mon gars poursuit-il, c’est l’Amérique en face. Malgré tout, les chances sont maigres… Difficile de dire lorsqu’un bateau prend la mer ce que le destin lui réserve… Peu après l’orage gronde et les éclairs traversent le ciel sur un rythme de plus en plus soutenu. L’homme propose alors d’abriter jusqu’à la fin des intempéries le jeune garçon dans sa maison près du phare. Il profitera de l’occasion pour lui conter sa propre histoire celle d’un jeune garçon avide de voyage au loin…

Les récits se construisent parfois sur des petits riens, de manière presqu’accidentelle, avec l’envie d’explorer les zones d’ombres attachées à des destins peu conventionnels qui manqueraient de relief pour tout un chacun, mais qui, passés au filtre d’un regard d’artiste, peuvent révéler leurs sucs. Un livre aperçu sur les étals d’un bouquiniste peut faire naitre des images en tête, de ces images qui alimentent les légendes et sont propices à la prise au vent, pour aller encore plus loin, vers des étendues dangereuses et mystérieuses. C’est de cette manière que Chanouga amorce son histoire maritime baptisée sobrement Narcisse. Lorsqu’il aperçoit en 2007 au hasard d’une brocante un vieux numéro de la revue Histoire de la mer contenant la photographie d’un homme scarifié, au regard perdu au loin et dont le nez est affublé d’un os qui le traverse de part en part, comme on le voit parfois dans les peuplades primitives, l’image agit immédiatement dans son imaginaire. Il en fera une histoire, celle de Narcisse Pelletier, un jeune mousse engagé sur un clipper faisant route vers l’Australie aux alentours de 1856. Abandonné sur les côtes de la Louisiade suite au naufrage de son embarcation, il vivra au contact des autochtones durant plus de 17 ans. Pour Chanouga les non-dits, les moments de doutes, la vérité, réécrite, sera l’âme de son travail de novélisation. L’auteur va s’emparer de l’histoire improbable d’un homme ayant vécu parmi les primitifs papous et qui fut redécouvert accidentellement, pour laisser libre court à son talent de conteur. Le sujet sera traité sous forme de triptyque pour se laisser le temps, lire entre les lignes, explorer les vides d’une histoire et les combler de supposés agissant comme des moteurs au symbolisme d’un récit peut-être édulcoré mais assurément jouissif, porté par un trait d’une poésie redoutable, qui ne se fait jamais bavard mais donne au lecteur le soin de stimuler son imaginaire. Un premier volet qui reste longtemps en tête après avoir quitté la dernière planche et dont nous attendons la suite avec une frénésie que nous espérons communicative !  

Chanouga – Narcisse T1/3 : Mémoires d’outre-tombe – Paquet – 2014 – 14 euros

 

L.10EBBN002048.N001_ErranceMe_C_FRUne rue paisible et vide d’un village au charme préservé. Dans ce calme anesthésiant le téléphone sonne soudain. Un homme répond et part aussitôt sur les routes de campagne. Sa femme mourante en a fini de lutter contre l’irréversible fin. Elle rendra son dernier souffle peu après. Lui c’est Tom, prof d’arts plastiques au collège Edmond Rostand. Il peine à refaire surface dans les lieux qui conservent implacablement les souvenirs de sa défunte femme. Il postule alors pour un poste à l’étranger, là où il pourra sans peine se reconstruire. Il débarque ainsi en Afrique et plus précisément à Djibouti : Je me sentais faible… Mais fasciné et excité par cette opportunité. Elle me permettait d’échapper peut-être à cette douleur qui me taraudait l’estomac depuis la disparition d’Anna. Dans ce nouvel espace qui se présente à lui Tom ressort ses carnets de croquis, son appareil photo pour capter l’ambiance, la couleur, la vie de chaque lieu. Un soir il fait la rencontre de Fred, un marginal qui vit de l’exploitation à des fins touristiques d’un boutre, un voilier traditionnel de la mer Rouge. Ils partageront des moments de vie… jusqu’à cette proposition de grands frissons…

Les pirates des temps modernes ont peut-être moins d’aura que leurs prédécesseurs. Ils n’en demeurent pas moins aussi sanguinaires, prêts à tous les risques et avides d’argent et de richesses. Comme leurs aïeuls ils  possèdent aussi et surtout le triste privilège d’une espérance de vie réduite à peau de chagrin. Le Golfe d’Aden, qui sépare la corne de l’Afrique de la péninsule Arabique demeure un no man’s land terrifiant pour tous les marins d’où surgissent parfois les embarcations rapides des pirates surarmés. S’aventurer sur ces eaux relève donc, malgré les mesures prises par les grandes nations (Etats-Unis, Grande-Bretagne, France, Japon, Inde Russie, Chine…), soit de l’inconscience pure et simple, soit du goût du risque soit encore de l’optimisme le plus aliénant. Joël Alessandra y construit son nouveau récit, Errance avec l’idée de confronter le présent à travers l’histoire de Tom, le prof devenu trop tôt veuf, et le passé via l’œuvre et le fantôme d’Henry de Monfreid qui a vécu de contrebande sur ces terres difficiles dans la première moitié du vingtième siècle. Récit d’aventure donc mais pas que, l’auteur joue avant tout sur les rapports humains d’hommes brisés, qui essayent malgré tout de se reconstruire dans un lieu, sur des terres et des mers improbables. Le risque que prend Fred, l’ami de Tom, dans son rôle de protection des embarcations qui ne veulent pas plier en contournant l’Afrique par le cap de Bonne-Espérance, relève de l’inconscience pure, elle offre, au-delà du simple gain financier, ce brin d’adrénaline recherchée, ce panache inconscient et romantique. Pour mener à bien son projet Alessandra mêle les textures et les matières. Son aquarelle explose visuellement des larges planches, les carnets de croquis et de voyage donnent un aspect reportage au récit qui le fait pencher vers le documentaire fictionnel, les photos prises par l’auteur renforcent ce sentiment. Enfin les reproductions de pages de récits d’Henry de Monfreid finissent de lier les âmes aux lieux parcourus. L’aspect général se renforce de cette diversité. Une diversité qui dope le récit du destin de Tom venu pour fuir un passé trop pesant et qui va découvrir un monde déconnecté, coloré, mouvant, où la torpeur des corps martelés par les chaleurs mortifères trouvent un écho salvateur sur les mers qui bordent ces terres chauffées à blanc. Mention spéciale au travail éditorial qui met en valeur le travail de l’auteur. Une excellente découverte !

Joël Alessandra – Errance en mer rouge – Casterman – 2014 – 22,50 euros

 

Moby DickIshmaël, un jeune homme, débarque dans une ville alors que la neige se met à tomber dru. Il trouve refuge dans une auberge bon marché et demande un lit pour y passer la nuit. Le tenancier lui rétorque que l’auberge est complète mais qu’il pourrait toutefois lui trouver une solution s’il n’est pas trop regardant. En effet une des chambres, occupée par un indien du nom de Queequeg pourrait être partagée. Faute de mieux le jeune homme accepte. Il passera une nuit dans la terreur de se faire dépecer par son voisin de matelas… Mais Queequeg n’a qu’une parole. Il avait affirmé la veille qu’il ne toucherait pas un cheveu de son compagnon de nuit et il tiendra parole. Même mieux, il vouera une amitié réelle envers Ishmaël. Les deux hommes se présentent sur le port afin de trouver un baleinier qui voudrait bien les employer pour la prochaine chasse qui se prépare. Queequeg est un habile harponneur, il fera montre d’une dextérité redoutable pour se faire engager avec Ishmaël à ses côtés à bord du Pequod. Ils découvriront bien vite que le capitaine du bateau, Achab, possède un contentieux avec une baleine blanche et que son seul but reste de la retrouver pour lui faire payer le fait de lui avoir arraché une jambe… La tension monte dès lors à bord au fur et à mesure que le capitaine fait l’étalage de son obsession qui vire à la folie pure…

Adapter une œuvre aussi forte que le Moby Dick d’Herman Melville peut vite tourner à la déroute. Outre le fait que l’œuvre est archi-connue de tous les amateurs de littérature et de récits d’aventures, elle dégage tout un lot de thématiques difficiles à représenter graphiquement dans leur globalité. Mais fort heureusement le travail d’adaptation autorise l’appropriation de l’œuvre par ceux qui s’y engouffrent. Dans le cas présent Olivier Jouvray et Pierre Alary s’y frottent avec une belle maestria. Leur adaptation fait le choix de se pencher sur la lente folie qui envahit le capitaine Achab, dont la noirceur trouve un contrepoids de choix dans l’amitié qui se renforce entre Ishmaël et Queequeg. La scène de la rencontre des deux hommes dans l’auberge alors que le jeune mousse vient juste de gagner la ville demeure l’une des plus fortes et des plus symboliques. Pierre Alary avoue même à demi-mot que s’attaquer à retranscrire ce passage le motivait au plus haut point par ce qu’il renvoie de peur enfantine et primale. Les choix opérés par Olivier Jouvray même s’ils synthétisent l’œuvre de Melville en conservent le plaisir lié à l’attente du face-à-face entre Achab et la baleine blanche. Sur le plan graphique Pierre Alary impose son trait dynamique qui évite de plonger le récit dans des travées pesantes. Il va à l’essentiel tout en suggérant beaucoup de chaque plan, chose rare. Bref la lecture en one-shot de cette adaptation de Moby Dick, si elle se fait moins possédée et intimiste que celle de Chabouté parue en début d’année, demeure amplement complémentaire et délivre un réel plaisir de lecture. Un très bon cru !

Jouvray/Alary – Moby Dick – Soleil – 2014 – 17,95 euros


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