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Joker – Une lente et chaotique descente aux enfers
... Et un drame social aussi puissant qu'implacable

NOTE DE MaXoE
9Sélection Best Of MaXoE
VOTE DES LECTEURS
1 / 52 / 53 / 54 / 55 / 5
"Une seule mauvaise journée peut suffire à aliéner le plus normal des hommes. Voilà le décalage entre moi et le reste du monde : une seule mauvaise journée." - The Killing Joke, Brian Bolland & Allan Moore

Arthur Fleck est un homme en souffrance. Sujet à des troubles mentaux le faisant rire fréquemment et de façon inopinée, il est au mieux ignoré mais très souvent méprisé par la société qui l’entoure. Et parfois même agressé. Travaillant en tant que clown publicitaire pour tenter de subvenir à ses besoins ainsi qu’à ceux de sa mère, Arthur Fleck est un être torturé qui n’a jamais rien connu d’autre que désespoir et désillusions. Il aimerait pourtant rire. Et surtout faire rire, car selon sa mère qui le surnomme Joyeux, il aurait pour mission de « donner le sourire et de faire rire les gens dans ce monde sombre et froid ». Ainsi, tandis que sa ville est au bord du chaos, sombrant dans le chômage, la crise financière, la criminalité et faisant l’objet d’une politique d’accroissement des inégalités, il tente de devenir humoriste.

Nous sommes dans les années 1980. À Gotham City.

« Je peux sourire, mais c’est très extérieur / Mon rire moqueur, un rien ne désarme / Si vous sondiez mon cœur tout baigné de larmes / Vous verseriez avec moi un pleur. » Cette réplique, prononcée par le Joker (alias Jack Nicholson) dans le Batman de Tim Burton, illustre parfaitement l’angle adopté par Todd Phillips pour son film. Un film qui efface la figure du clown afin de montrer l’homme derrière le masque. Car le Joker est avant tout un homme, étouffé par la souffrance et la tristesse.

Personne, il y a quelques années, n’aurait misé sur Todd Phillips pour proposer au public autre chose que des comédies (qui a dit potaches ?). Pourtant, après la trilogie Very Bad Trip, il opère un tournant dans sa carrière de cinéaste en réalisant War Dogs – une comédie dramatique sur le commerce des armes sortie en 2016 – avant d’emprunter lentement le chemin le conduisant à l’histoire tragique du Joker. Car Joker n’est ni une comédie, pas plus qu’il n’est une fable retraçant le parcours de l’ennemi juré de Batman. Il n’est pas non plus un film de S-F sur un super-vilain, noyé sous les effets visuels et usant à l’envi du fond vert à l’image des précédentes productions de l’univers DC ou de chez Marvel. Non, Joker est une tragédie humaine, un drame shakespearien sur la chute d’un être que la société n’a pas su, ou peut-être même voulu sauver.

Si la lente descente aux enfers de cet homme – Arthur Fleck, artiste raté, moqué et méprisé – et sa transformation progressive en ce sociopathe nihiliste qu’est le Joker est le sujet central du film, celui-ci se double d’un second propos. Un propos qui évolue tout d’abord en parallèle avant de venir rencontrer l’histoire d’Arthur, pour finalement s’y confondre. Le drame shakespearien se mêle alors à un drame social, celui d’un laissé-pour-compte parmi tant d’autres et qui devient presque malgré lui le reflet de toute une frange de la société. Cette majorité silencieuse – qui assiste impuissante à la diminution de ses droits, à l’asphyxie des services publics, à l’augmentation du chômage et qui subit les différentes mesures d’austérité prises par les gouvernants de manière unilatérale – ne dispose plus que d’une arme pour se faire entendre : la révolte. Une révolte qui, sous le regard voyeur des médias, se métamorphose progressivement en violence à mesure que les inégalités se creusent, que la population se précarise tandis que quelques nantis continuent à s’enrichir tout en la déconsidérant et en lui donnant des leçons. Là est toute la force de Joker qui, par le biais d’un personnage de comics, livre un puissant message politique selon lequel la lutte des classes n’a ni frontières, ni époque.

Si la fiction rejoint ici la réalité, Todd Phillips n’en oublie pas pour autant l’histoire de Batman et du Joker imaginée par leurs différents créateurs/auteurs successifs. Ainsi, se dessine également en filigrane l’affrontement futur des deux hommes, résultat du parcours d’Arthur Fleck. Et si Batman n’apparaît pas en tant que tel dans le film, il est évident que sa création est la conséquence indirecte des actes du Joker, tout comme la naissance du Joker est indirectement liée aux Wayne.

Dans Joker, la puissance du fond n’a d’égal que celle de la forme, la mise en scène étant d’une précision redoutable. Alternant entre plans serrés et profondeur de champ et misant sur une bande-originale au bord de la rupture, elle oppresse progressivement le spectateur à mesure que le personnage d’Arthur Fleck sombre dans sa folie destructrice, prisonnier de son état et ne parvenant pas à reprendre le dessus de façon raisonnée. De même, l’usage de la violence (que le film ne cherchera pas une seule fois à excuser) n’est jamais gratuit mais est au contraire toujours le fruit d’un événement, d’une parole, d’un acte poussant l’esprit déjà malade d’Arthur dans ses derniers retranchements. Cette violence – qui finalement l’emportera sur la raison et qui agit chez le Joker comme une libération de sa condition – rappelle à la fois les réalisations de Stanley Kubrick (en particulier Orange Mécanique) et de Martin Scorsese. La parenté avec les films de Scorsese est d’ailleurs totalement assumée par le réalisateur de Joker ; tant dans le rôle de présentateur de talk-show confié à Robert De Niro, en référence au personnage joué par Jerry Lewis et auquel il faisait face dans La Valse des Pantins, que dans la représentation du Gotham des années 80, qui ressemble à s’y méprendre au New-York de son Taxi Driver.

La filiation ne s’arrête pas là. Elle touche aussi le personnage principal de Joker, victime d’un profond traumatisme tout comme Travis Bickle dans le film de Martin Scorsese et qui avait également choisi la voie de la violence comme exutoire. À l’époque, De Niro était impressionnant tant il était habité. Dans Joker, Joaquin Phoenix semble avoir réinventé le terme. Présent quasiment à chaque plan du film et très souvent seul dans le champ de la caméra, l’acteur – dont la performance est tout simplement sidérante – est totalement possédé par cet homme arrivé à la limite de l’acceptable, physiquement comme psychologiquement. Constamment sur le fil, personne ne saurait deviner à l’avance quand il va basculer, et même s’il le fera. Ça n’est d’ailleurs pas cette chute définitive qu’il faut retenir de Joker, mais plutôt tout ce qui précède : la dépression progressive puis l’aliénation d’un homme blessé par une société dont la violence est impitoyable.

NOTE MaXoE
9Sélection Best Of MaXoE
VOTE DES LECTEURS
1 / 52 / 53 / 54 / 55 / 5

Joker n'est pas un film de super-héros. Pas plus qu'il n'est un film de super-méchant. Il est le reflet de ce que notre société actuelle crée en accentuant les inégalités : des êtres désespérés pouvant basculer dans la folie après une seule mauvaise journée.
ON A AIMÉ !
- La beauté et l'intelligence de la mise en scène
- La profondeur du propos
- La lutte des classes
- Joaquin Phoenix, absolument hallucinant
- Joaquin Phoenix, absolument fascinant
- Et Joaquin Phoenix, absolument sidérant
ON A MOINS AIMÉ...
- Les toutes dernières minutes du film, presque superflues sauf - une fois encore - pour la performance de Joaquin Phoenix
Joker – Une lente et chaotique descente aux enfers
Joker
Support(s) : Cinéma / DVD
Réalisation : Todd Phillips
Scénario : Todd Phillips et Scott Silver, d’après le personnage du Joker créé par Bill Finger, Bob Kane et Jerr
Casting : Joaquin Phoenix, Robert De Niro, Zazie Beetz, Frances Conroy, Brett Cullen, …
Durée : 2h 02min
Genre : Drame
Sortie en France : 09/10/2019
Sortie aux Etats-Unis : 04/10/2019
Musique : Hildur Guðnadóttir
Distribution : Warner Bros.
Production : DC Entertainment, Joint Effort et Warner Bros.
Informations complémentaires / A noter : Lion d'Or à la Mostra de Venise 2019

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