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A la découverte d’un auteur : Sylvain Prudhomme…

Après avoir aiguisé notre curiosité avec Les matinées d’Hercule paru en 2007 au Serpent à plumes, Sylvain Prudhomme nous revient avec deux romans publiés coups sur coups en mars et juin 2010. Toujours guidé par ce goût de l’exploration et de la découverte du monde qui l’entoure, le jeune auteur parisien nous invite à nous questionner sur la nécessité de bouleverser notre vision des choses pour la rendre perméable à la créativité, à l’inspiration et aux changements. Un vrai bol d’oxygène !

 

Tanganyika Project (Léo Scheer)

Paru en juin, Tanganyika Project, ce savoure d’une traite, un peu comme si le narrateur, présent à nos côtés, nous racontait l’histoire de sa vie et de sa vision de l’Afrique, tout en teintant son récit d’une dose de nostalgie. Pour toutes ces raisons le lecteur se retrouve très vite happé par ce roman émouvant et sincère, mi-fable contemporaine, mi-reportage sur une terre marquée par les séquelles de la guerre et de la présence occidentale.

Un jeune homme débarque en Afrique poussé par le désir, encore mal défini, de revenir sur les terres de son enfance. A Mwanza première étape de son parcours, il prend conscience à la lecture des mots peints, gravés, affichés sur ses murs et sur ses panneaux, que l’essence de la ville, et par extension de la vie, peut se percevoir dans une collecte systématique de ces griffes offerts à la vue de tous. Mais Mwanza n’est qu’une étape, une mise en bouche dans la quête du narrateur, car c’est Kigoma proche du lac Tanganyika qui en est la destination finale. C’est sur les berges de ce lac où il a vécu vingt ans plus tôt, plus au nord à Bujumbura (Burundi) que le jeune homme débute véritablement sa quête.

Par cette collecte totale des inscriptions de Mwanza et Kigoma, le narrateur entend non pas s’approprier l’espace mais en révéler sa photographie à l’instant « x » où il les transcrit. Il se pose ainsi à mi-chemin entre le sociologue et l’historien de l’instant. Observateur d’un monde qu’il ne juge pas, il offre son regard à la ville ; cette ville qui possède indéniablement une âme. Et ce sont les mots, collés bouts à bouts dans le carnet du voyageur qui en révèlent la richesse : L’idée : la vérité de la ville est là. Aux façades de ces baraques. Dans ces inscriptions que j’observe depuis l’aube. Pas seulement dans le nom de tel ou tel magasin isolé, dans le pittoresque du Dida One Stop ou de la New Jack City 2, pas seulement dans les lettres de flamme du bus Akamba ou les couleurs bariolées de Super Banco. Mais dans la somme de ces inscriptions : dans le texte qu’elles forment rassemblées, elles et toutes celles qu’on peut lire aux façades de la ville et qu’il ne tient qu’à moi de consigner.

Par cet exercice méticuleux qui se doit de tendre vers l’exhaustivité pour garder toute sa pertinence, le jeune homme entre véritablement dans l’espace qui l’entoure. Il perçoit ainsi les choses différemment. Sa quête en devient un véritable hymne à l’observation du monde. Alors que la vie pousse toujours vers plus d’empressement, le simple fait de ralentir pour poser son regard sur la ville donne une saveur nouvelle à l’environnement urbain. Elle procure aussi au narrateur des plaisirs insoupçonnés : Si surprise il y a eu, elle est plutôt venue d’un plaisir inattendu à demeurer contre mon habitude immobile au milieu de la rue, griserie de sentir les êtres et les choses continuer d’aller et venir alentour et de rester pourtant amarré au même bout de trottoir, épargné, intouché par l’universelle attraction, franc de sollicitations et du désir d’aller où que ce soit : sentiment curieux et euphorique de suspens, d’interruption du cours ordinaire des choses et de victoire contre mon besoin habituel d’avancer (…). Ces plaisirs insoupçonnés se retrouvent aussi dans les rencontres avec des êtres singuliers, tel l’artiste peintre Leonardo Da Vinci qui réalise des toiles de poissons à partir d’un livre devenu source d’inspiration. 

De retour à Paris, le narrateur construit une partie de son récit en utilisant Google Earth comme si les images gravées dans son esprit devaient trouver leur confirmation ou leur infirmation dans les images 3D offertes par le logiciel. Ces recherches à « distance » lui permettent aussi de retrouver les traces de souvenirs passés : le MV Liemba, ferry mythique qui longe les côtes du lac Tanganyika dont il nous révèle l’histoire. Le séjour en Afrique laissera des traces indéniables au voyageur qui poursuit, dans la capitale française, sa collecte systématique des mots. Si au début du récit le jeune homme révélait que ce travail faisait de lui un être suspect, à Paris c’est en être illuminé qu’il est perçu. Poussant son travail jusqu’à l’extrême, il en élabore aussi une fiction : celle de la disparition des mots «kidnappés» par un commando qui les effacerait au cours d’une nuit, rendant progressivement les gens déboussolés, angoissés ou neurasthéniques.   

Un roman d’une grande expressivité, à l’écriture fluide et poétique qui nous fait entrer dans l’univers d’un auteur à suivre…

 

L’affaire Furtif (Burozoïque)

Plus tôt en 2010, Sylvain Prudhomme nous avait séduits par L’affaire Furtif, un bref roman d’anticipation paru chez Burozoîque dans la collection Le répertoire des îles. Avant de parler du roman proprement dit, je voudrais dire quelques mots de cette excellente collection. Créée en 2009, elle propose de mêler textes de fictions contemporains et rééditions de textes utopistes du patrimoine littéraire français tels L’an 2440, rêve s’il en fut jamais de Louis Sébastien Mercier ou L’Humanisphère de Joseph Dejacque. Ces utopies, réunies dans de très beaux livres-objets par Burozoïque, donnent des outils pour repenser le monde, pour changer de cap et modeler des espaces fictifs qui soient des propositions de politique expérimentale.  

De cap les héros de L’affaire Furtif ont bien décidé d’en changer car Le monde était sur le qui-vive. Partout on veillait, on anticipait, on prévenait. Il n’était plus un doigt dont le remuement ne fût aussitôt prétexte à alarmes, enquêtes, rapports, expertises, contre-expertises. Alors une nuit de novembre ils décident de lever l’ancre et de quitter ce monde qui n’est plus capable de répondre à leur idéal de vie. Très vite ils sont pris en chasse par les médias qui filment, via des hélicoptères dépêchés spécialement pour l’occasion, leur escapade en temps réel. L’artiste Jo Di Bembo est vite identifié, ainsi qu’Alma Fitzpatrick, professeure de linguistique, puis le botaniste Toyo Sôseki. Nous voulons la paix inscrira ce dernier à l’aide d’algues sur le pont du bateau qui les amène au loin. Cet appel à la liberté n’est pas entendu. Alors, dans un geste d’une grande précision et d’une non moins grande radicalité, Jo Di Bembo sort des cales du Furtif un bazooka et détruit l’hélicoptère. A partir de ce moment les héros, déchus par cet acte de trahison, sont progressivement oubliés. La vie retrouve alors son cours « normal », un quotidien durant lequel les attentats, prises d’otages, crises pétrolières, montée des extrémismes, axe du Mal, menaces de virus, décès princiers ne laissèrent que peu de répit aux journalistes et aux esprits soucieux de leur temps. Tout aurait pu s’arrêter là mais dix ans plus tard sont retrouvés, sur diverses côtes à travers le monde, des éléments d’une sculpture monumentale due à Jo Di Bembo. Une expédition est alors organisée pour essayer de retrouver les fugitifs.

Là commence la deuxième partie du roman, surement celle qui fait basculer le texte dans la fable philosophique : sur les îles où ont vécu les héros de cette robinsonnade, sont retrouvés leurs cahiers et leurs journaux. Ils permettront notamment de comprendre pourquoi ils ont choisi de fuir le monde. Le carnet du botaniste Toyo Sôseki, fabuleux hymne à l’observation de la nature, regorge d’une poésie que le temps modèle. Le texte soutenu et descriptif du début s’épure au fil des jours pour en devenir minimaliste. Le chercheur, en observateur méticuleux et attentionné, souhaite progressivement faire abstraction de ses connaissances pour revenir à la pure observation. Une observation non polluée par les préceptes acquis. Toyo rendu à la nature nous plonge dans un texte prégnant qui bouleverse. Que dire du traité d’anarchitecture de Youri Spassky qui prône l’autoconstruction en opposition à toutes les théories architecturales et urbanistiques du monde ?

En mettant en scène ces penseurs qui n’hésitent pas à sacrifier leur vie pour bouleverser une forme de bienséance, Sylvain Prudhomme prend date. Il n’y aura pas d’avenir sans valorisation de la créativité, sans refondation d’un système qui s’essouffle et finalement meurt chaque jour un peu plus…

A lire :

– Tanganyika Project – Léo Scheer – 189 p – 17€
– L’affaire Furtif – Burozoïque – 117 p – 8€


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