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Focus “Récits de voyage et pays lointains” : En passant par la terre sainte…

De retour sur le continent africain, nos pas nous mènent vers le nord, sur la terre des pharaons. De là toujours plus vers le nord la Palestine et le Liban s’offrent comme des passages obligés, où, sur des terres de tensions, se jouent des destins particuliers qui captent notre attention. Des terres de culture, avides d’échanges sur lesquelles les hommes et les femmes croient encore en une paix possible. Une fois quitté ce berceau de l’humanité, nous bifurquons vers la Turquie et plus particulièrement sur ses flancs est en direction de l’Arménie, pays martyr d’un siècle qui n’aura jamais versé autant de sang. Une fois quitté les montagnes arides du sud caucasien, nous entrons enfin sur une terre fermée sur l’extérieur, le Turkménistan qui possède le triste privilège d’être gouverné par un dictateur à l’ancienne, fier de son image et de la peur qu’il répand sur un peuple pourtant ouvert à l’art et à la création…

Salaam Palestine Hébron 2.indd

 

Une saison en Egypte

Une saison en Egypte de Fauvel – Casternam (2015)

Lorsqu’il se rend chez son médecin, Sacha, poète presque sans le sous, pense que lui sera révélée l’évidence d’une fin prochaine. L’homme n’est pourtant pas bien âgé, mais ses poumons, sensibles, lui font cracher la mort. Le mal dont souffre le jeune homme n’est pourtant pas très méchant, à supposer qu’il se décide à fuir la Russie humide et fraiche pour passer un séjour dans un pays bien plus chaud et bien plus sec. Il se résoudra ainsi à se rendre en Egypte, porté par cette envie de se plonger dans un orientalisme à la mode et cette assurance de pouvoir guérir enfin du mal qui le ronge. Sur le bateau qui le mène vers le port d’Alexandrie il fera la connaissance d’Alexandre, peintre de son état, venu chercher en Egypte les clés de la lumière qu’il espère maitriser pour enfin atteindre le niveau et la reconnaissance à laquelle il aspire, et de sa femme, la belle et mystérieuse Camille. Les trois se promettent de se revoir plus tard et de découvrir ensemble les beautés du Caire qui aura sur Camille et Sacha des vertus capables de leur redonner l’inspiration. Un jour Alexandre fait la connaissance du cheikh Ahmed qui les invite chez lui dans sa somptueuse demeure pour leur faire découvrir Asma une danseuse bouleversante qui envahit littéralement l’espace. L’image de la jeune femme, qui occupe les pensées de Sacha aura aussi sur Alexandre, qui s’essaye à capter sur la toile, la beauté et la grâce d’Asma, un effet trouble. 
Claire Fauvel réalise avec Une saison en Egypte un premier album d’une facture plus qu’honorable. La jeune femme qui a construit son récit en mêlant l’attrait que représente l’Egypte du XIXème siècle pour toute une caste d’artistes en recherche d’exotisme et de lumière, se plait à mêler graphiquement ce qui pourrait ressembler à un carnet de voyage, dans la construction des moindres ruelles du Caire et dans les vastes espaces qu’offre le désert sauvage, et un récit qui se densifie au fil d’une histoire au sein de laquelle la belle danseuse Asma joue malgré elle un rôle actif. D’un point de vue formel la dessinatrice livre donc une copie plutôt séduisante sur un découpage plutôt classique à la base. Les effluves des marchés bigarrés, la moiteur d’un climat dominé par un soleil de plomb et la fraicheur des fontaines nous parviennent lorsqu’ils apparaissent sur la planche comme si notre immersion se révélait totale. Du beau travail qui donne incontestablement l’envie de partir au loin et tout particulièrement ici sur la terre des pharaons…  

Claire Fauvel – Une saison en Egypte – Casterman – 2015 – 20 euros

Salaam Palestine de Massenot, Pilorget et Abel – La Boîte à bulles (2013)

Au départ cette envie de voyage, de partir sur les terres reculées voire inaccessible de notre globe. Puis cette envie qui prend au corps de raconter en toute simplicité ce qu’il observe autour d’eux durant le bref séjour qui les immerge dans une culture à découvrir. Pour Véronique Massenot, Bruno Pilorget et Marc Abel Salaam Palestine est né d’un voyage dans les territoires palestiniens réalisé en octobre 2009 à l’occasion d’un échange artistique franco-palestinien entre les Centres Culturels Français locaux et le Rendez-Vous du Carnet de Voyage de Clermont-Ferrand. Véronique rendra compte par ses mots de ce qui la marque et la touche de chaque rencontre et de chaque contexte. Bruno le fera quant à lui au travers de ses crayons qui dressent les portraits des hommes, femmes et enfants rencontrés au détour de chaque quartier ou zone traversée. Abel enfin captera avec ses objectifs les négatifs d’instants qui ne se révèlent en rien figés dans le temps. Le tout assemblé dans un ouvrage plutôt épais rend compte des instants vécus loin de France une quinzaine de jours durant par les trois auteurs. Salaam Palestine reste d’abord un voyage à étapes et offre en ce sens des bribes d’histoires récoltés dans tous les lieux traversés d’Hébron à Naplouse en passant par Jérusalem et Ramallah. Dans chaque ville le même principe, rencontrer les gens, les écouter, capter leurs quotidiens difficiles et leurs espoirs esquissés, avec pudeur et cette envie de mettre en avant la richesse d’une culture qui ne se veut en rien fermée sur elle-même mais qui fait du partage le maître mot. Une galerie de portraits se dessine alors au fil des pages : Kheloud, Maram, Ruba, les étudiantes, Hanane la lycéenne, Ghassan, le contremaître, Saed, le musicien, Joséphine, la traductrice ou encore Amal la physiothérapeute sont ainsi croqués par nos trois auteurs. Ils forment le cœur de cet ouvrage qui repose autant sur les acteurs que sur les lieux traversés. La volonté de Véronique Massenot, Bruno Pilorget et Marc Abel n’est pas de juger les situations qu’ils rencontrent d’où ce choix de capter l’instant. Les interviews et esquisses sont parfois menées dans des voitures roulantes sur des routes cabossées, les photographies ne sont jamais la résultante d’une pose prolongée ou d’une mise en scène mais traversées par l’énergie de l’instant tandis que les mots se couchent sur le papier rythmés autant par l’énergie de la rencontre que par celle du souvenir. Un Carnet de voyage qui offre toute une palette de sentiments à sa lecture et se révèle ainsi essentiel et rare.

Véronique Massenot, Bruno Pilorget et Marc Abel – Salaam Palestine – La Boîte à bulles – 2013 – 29 euros

yallah bye

Yallah bye de Park et Safieddine – Le Lombard (2015)

Pour Mustapha et sa famille qui vit en France depuis la fin des années 70 lorsqu’il quitta, après avoir très jeune combattu dans un pays en proie à une guerre civile qui devait partager les communautés religieuse d’une part et la menace israélienne d’autre part. Le retour aux sources bien des années plus tard en 2006 avec une partie de sa famille, femme, fille et l’un de ses deux fils, permet à Mustapha de se replonger dans cette enfance perturbée mais qui garde encore les meilleurs effluves. Celles du port, des pêches organisées au petit matin, celle des marchés chaleureux et de ces pauses pour fumer le narguilé. En remettant les pieds à Tyr Mustapha retrouve cela en plus de revoir ses amis d’enfance et les membres de sa famille restée au pays. Pourtant les souvenirs de la guerre refont très vite surface. A l’origine des tensions deux chars israéliens abattu par le Hezbollah. De quoi mettre le feu aux poudres. Et très vite en effet les tensions se précises et viennent à menacer les Libanais et les touristes présents sur le territoire. Avec un fils hémophile qui risque sa vie à tout moment s’il ne peut prendre les médicaments qui lui assurent sa survie, Mustapha voit sa marge de manœuvre s’étioler. Il devra prendre des décisions lourdes de sens…
Le cahier qui clôt l’album le précise comme il se doit, l’histoire qui nous est contée est tirée de faits réels, plus précisément du sort réservé aux membres de la famille du scénariste Joseph Safieddine, lors d’un voyage réalisé à Tyr en 2006. Les faits particuliers sont cependant présentés ici de manière légèrement romancée, autant pour satisfaire aux exigences du scénario et de sa progression dramatique que pour garder une certaine distance qui peut s’avérer parfois nécessaire. L’immersion qui place le lecteur au plus près des personnages fait incontestablement mouche. Les doutes, les tensions, les peurs, les espoirs, les longues attentes mortifères sont ainsi partagés avec toute leur portée symbolique. Le contexte historique quant à lui repose sur une riche documentation qui permet d’instaurer force de réalisme et d’expressivité. Le dessin de Kyungeun Park, qui a souhaité se rendre au Liban pour s’immerger dans l’ambiance d’un pays, de sa culture et de son architecture, parvient à soutenir cet ensemble en se révélant être totalement en phase avec le propos développé. Il fait ainsi montre d’un dynamisme dans le trait et d’une justesse dans les cadrages qui portent véritablement le récit. Les quelques cent-soixante pages de cet album, se lisent sans véritable coup de mou, grâce à trois fils narratifs, celui de Mustapha et de sa famille à Tyr et au sud Liban, celui de Gabriel, seul membre de cette même famille à être resté en France et celui du flashback qui reprend l’enfance, l’adolescence et la vie de jeune homme de Mustapha et son rôle actif joué dans la lutte armée lors des premiers affrontements du Liban avec Israël. Le choix opéré par le scénario, qui se forge autour du huis clos vécu à Tyr, lorsque les habitants et touristes se voient assignés à résidence par les frappes aériennes meurtrières qui sévissent dans un cadencement des plus rapproché, emporte le lecteur au fil des pages d’un album plutôt agréable à lire et qui permet au lecteur d’appréhender les grandes lignes du conflit ayant opposé le Liban à Israël.

Safieddine/Park – Yallah bye – Le Lombard – 2015 – 20,50 euros

Sables noirs

Sables noirs de Troub’s – Futuropolis (2015)

Troub’s reste cet infatigable voyageur qui aime à s’aventurer vers des lieux riches en promesses. Après nous avoir fait découvrir la Polynésie aux côtés de Benjamin Flao dans Va’a, le Caquetá, région de Colombie Amazonienne dans Le goût de la terre ou encore le Laos dans Capitale : Vientane, projet polyphonique qui plonge le lecteur dans le quotidien d’une des capitales les plus fascinantes d’Asie du sud-est, le dessinateur nous fait pénétrer dans un pays opaque qui tente de s’ouvrir discrètement au monde, le Turkménistan. Armé d’un carnet de croquis, Troub’s capte avec maestria les scènes du quotidien. Des marchés ou échoppes qui s’ouvrent sur la rue, il offre un panorama bigarré ; de la circulation dans laquelle il se fond à pied ou en taxi local, il donne à voir une capitale façonnée à la gloire de ses dirigeants. Une de celle qui arbore des monuments dignes d’un régime dictatorial moderne. Puis, en entrant dans le cœur de cette ville tentaculaire entourée de déserts, il s’immisce, sur la pointe des pieds, dans le quotidien des autochtones sans juger, en présentant les faits. Il retranscrit ainsi par des mots et des dessins simples, ce qu’il perçoit ou entend des discussions emplies de sous-entendus menées avec les gens qu’il rencontre ici ou là. Le tout assemblé donne Sables noirs. Un album au titre tout en sous-entendus, le sable pouvant s’apparenter à cette matière difficile à saisir et à enfermer dans le creux de sa main, le noir pouvant désigner cette face sombre induite par les règles de vies édictées dans les manuels officiels. Le Tukménistan que présente Troub’s peut s’apparenter à l’Iran voisin dans la manière de régenter la vie et de sanctionner les déviances. Il cache pourtant en son sein des artistes au potentiel réel, peintre ou écrivains qui, dans une semi-clandestinité, tentent de vivre en travaillant l’acquit gagné de séjours entrepris à l’étranger lorsque le régime laissait encore des fenêtres ouvertes vers l’extérieur. La peur, l’enfermement reste le quotidien des habitants qui ne peuvent, sous peine de suspicion, accueillir les rares touristes de voyage ou les étrangers venus travailler à la construction des édifices de la capitale sous la bannière Bouygues. Le sens de l’observation de Troub’s trouve ici toute son expression, dans cette capacité à exposer les faits à partir du peut qui lui parvient. Un tour de force qui dénote de ce besoin de raconter qui s’impose comme une évidence pour un auteur voyageur majeur du neuvième art.    

Troub’s – Sables noirs – Futuropolis – 2015 – 18 euros

 

Entretien avec Troub’s

 

Varto

Varto de Torossian, Aprikian et Djian – Steinkis (2015)

Alors que la guerre déverse ses flots meurtriers sur l’Europe au cours d’une première guerre mondiale particulièrement avide en chair à canon, se joue, plus au sud, un drame caché des yeux du monde. Un drame qui trouve son origine des tensions causées par la présence, en bordure des frontières de l’est de la Turquie, d’une communauté arménienne qui attise, assurément à tort, des peurs difficilement compréhensibles. Hassan vient juste de rentrer de la ville où il vient de faire des affaires. Son père, mourant, lui confie le destin de deux jeunes enfants arméniens qu’il a promis mettre à l’abri auprès de leur oncle au-delà des montagnes qui s’élèvent vers l’est. Mais le chemin n’est pas des plus sûr car, sur les routes, rôdes des marginaux de tout poil, des soldats désœuvrés et toute une faune prête à tout pour tirer profit d’une situation tragique qui voit les Arméniens dépossédés de leurs biens et exilés au loin dans des marches sans retour. Dans ce contexte tendu, Hassan parviendra-t-il au bout du chemin ? et, si oui, dans quel état physique et psychologique ?  
Il y a tout juste cent ans été perpétré dans l’indifférence des nations un des génocides les plus sanglants du vingtième siècle. Les raisons de cette tragédie restent difficiles à cerner. Le peuple arménien occupe depuis des temps immémoriaux les terres situées à l’est de la Turquie, proche de l’Iran. Des terres qui s’étendent au sud du Caucase et se révèlent enclavées mais pourtant ô combien stratégiques par la zone tampon qu’elles représentent à toutes les époques de notre histoire. Alors que la guerre éclate en Europe en 1914, l’Empire ottoman prend une part active dans les combats aux côtés de l’Allemagne. Pour les Jeunes-Turcs récemment au pouvoir en Turquie, la volonté affichée reste de rétablir la splendeur de l’empire, pour cela une alliance avec l’Allemagne pour tenter de reprendre pied sur le continent européen doit se doubler d’un contrôle des minorités à l’intérieur des frontières. D’où les déportations et exactions perpétrées contre le peuple arménien qui conduira à la mort près d’un million et demi d’hommes, de femmes et d’enfants. Avec Varto le trio d’auteurs composé de Stéphane Torossian, Gorune Aprikian et Jean-Blaise Djian parvient à mêler dans un roman graphique d’une grande intensité émotionnelle, la fiction au terrible déroulé d’une histoire passée sensible et tragique. Sur la forme, le traitement en noir et blanc ajoute un surcroît de tension et de dramaturgie au sujet. Un sujet qui veut et qui expose avant tout ces fenêtres ouvertes vers une réconciliation des peuples turc et arménien. Gorune Aprikian explique ainsi que, malgré la gravité de son contexte, l’ambition de l’histoire exposée dans Varto se veut actuelle, positive et universelle. Qu’au-delà des fanatismes, il est possible pour des hommes et femmes des deux peuples de regarder le passé ensemble et d’en tirer tous les enseignements possibles. Car les deux peuples sont liés par leur histoire commune depuis plus de vingt siècles… en cela le choix opéré de suivre le destin de deux jeunes enfants « sauvés » du génocide se révèle judicieux en ce sens que l’innocence possède cette force de gravité confrontée aux aberrations qui se développent parfois dans un monde armé d’œillères. Un récit pour ne pas oublier qui propose un épais dossier final qui offre des clés de compréhension à cet épisode sanglant de l’histoire…

Torossian, Aprikian et Djian – Varto – Steinkis – 2015 – 20 euros


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