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Focus “Récits de voyage et pays lointains” : L’Afrique plurielle (3ème partie)

Laissons la terre ferme de l’Afrique pour nous avancer le temps d’une halte sur les eaux qui s’étendent à perte de vue au-delà de Madagascar. Sur la terre désolée de l’ïle de Tromelin, où presque plus personne ne s’aventure, hormis quelques chercheurs, s’est joué il y a presque trois siècles un évènement passé inaperçu à son époque et qui joua pourtant un rôle majeur dans la conviction de certains révolutionnaires de bannir à jamais l’esclavage. L’idée suivra son chemin mais ne prendra forme qu’un demi-siècle plus tard. Le destin des esclaves de Tromelin se devait d’être (ré)exposé, et Sylvain Savoia s’y révèle un conteur qui suscite l’attention…

Esclaves oubliés de Tromelin

Les Esclaves oubliés de Tromelin de Savoia – Dupuis (2015)

1761 quelque part sur l’océan indien. Un vaisseau de la Compagnie des Indes s’abime près d’un îlot de terre connu mais mal référencé par les cartes. Les hommes qui composent l’équipage tentent de regagner la plage et font face à des remous terribles qui emportent quelques malheureux avec eux. Alors que le vaisseau s’éventre littéralement, la cargaison qu’il transporte, s’expose à la vue terrible de l’océan : une grosse poignée d’esclaves enfermés dans les cales maintenant ouvertes vont eux-ausse tenter de s’extirper du navire broyé par les vagues. Quelques-uns se noieront dans les eaux capricieuses, d’autres pourtant, parviendront à échapper à l’immédiateté de la mort pour trouver refuge sur le sable de cette île sans nom (devenue par la suite Ile Tromelin). Les vivants de ce naufrage, membres d’équipage et esclaves, tenteront de s’organiser pour fuir cet îlot désertique perdu au milieu de nulle part. Si les efforts communs accoucheront d’une embarcation de fortune capable de regagner Madagascar, celle-ci ne pourra pourtant pas embarquer tous les passagers et les esclaves, seront laissés à l’abandon avec la parole du commandement que tout sera fait pour venir les chercher…
Le dessin qui illustre la couverture du projet construit par Sylvain Savoia prolonge parfaitement le titre qui lui est donné. Les esclaves oubliés de Tromelin. Des hommes et des femmes apparaissent seulement vêtus de bouts de tissus épars, lorsqu’ils ne sont pas entièrement nus. Depuis une plage, et de dos, ils regardent partir une embarcation qui semble plutôt chargée et en devient aventureuse. Pour saisir ce qui se joue il faut connaitre les contextes historique et géographique attachés à la langue de terre sur laquelle se trouvent ces esclaves. Une terre désertique qui flotte sur les eaux tumultueuses qui l’entourent et qui pose une certaine gravité sur le récit développé par Sylvain Savoia. Le dessinateur a  eu la chance de participer à un voyage d’exploration des sols de Tromelin. Son regard aiguisé sur les travaux d’une équipe d’archéologues se double d’un certain détachement par rapport à ce qui se joue. Une distance qui évite au récit de se faire trop didactique dans la description des avancées des fouilles. Bien au contraire, l’auteur joue sur l’émotion procurée par les trouvailles des maisons de pierres et des objets dispersés sur leurs sols à peine recouverts de sable. Au fur et à mesure que le chantier avance l’organisation de vie des esclaves s’affine. A partir de ses éléments glanés le dessinateur développe une fiction qui pourrait très bien se rapprocher d’une réalité vécue quelques siècles plus tôt. D’un point de vue formel le dessinateur alterne donc le récit contemporain dans lequel il tient un rôle d’observateur avec le destin de cette poignée d’esclaves laissés à l’abandon durant près de quinze ans. Le mélange des récits s’accompagne d’une alternance de rythmes, la fiction plus délayée, joue sur l’émotion et la tension qui pèsent sur les esclaves tandis que le récit contemporain, carnet de voyage un brin particulier se fait volontiers plus bavard pour expliquer le travail entrepris par les archéologues, les cartographes et les météorologues présents. Et on s’y laisse prendre. Tout d’abord car l’auteur parvient à retranscrire les tensions du moment sans virer dans le pathos, en laissant le soin au lecteur de s’approprier le récit. Ensuite car il met en lumière la difficulté pour les hommes à vivre dans un espace clos coupé du monde. Cet espace dans lequel ont vécus quinze ans des hommes et des femmes dans un dénuement presque total. Enfin car l’auteur expose un véritable talent narratif à la fois graphique et dans le texte lui-même qui se livre sans far. Un travail remarquable au service d’un de ces moments de vie qui ne fait pas forcément la grande Histoire mais la rend peut-être moins amnésique et moins opaque…    

Sylvain Savoia –  Les esclaves oubliés  de Tromelin – Dupuis – 2015 – 20,50 euros


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