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Interview des créateurs de la BD ‘Masqué’ chez Delcourt

A l’occasion du salon Comic Con, qui se tient en même temps que Japan Expo au Parc des Expositions de Paris-Nord Villepinte, depuis jeudi 5 jusqu’à dimanche 8 juillet, nous avons pu rencontrer deux artistes qui font actuellement le buzz avec une nouvelle saga rétro-futuriste publiée par la grande maison d’édition Delcourt.

Serge Lehman, scénariste et Stéphane Créty, illustrateur, ont accepté de répondre à nos questions et de présenter à nos lecteurs la série « Masqué » dont le 2nd tome, « Le fuseur » vient de paraître.

Avant de rentrer dans le coeur de notre article, à savoir l’interview, Masqué : le contexte !
Blessé au cours d’une mission dans le Caucase, le sergent Frank Braffort regagne Paris après six ans d’absence. Il découvre une ville en pleine mutation orchestrée par le Préfet Beauregard : Paris-Métropole. Une ville où le gigantisme rétro fait fureur et où se multiplient les « anomalies », évènements mystérieux que nul ne peut expliquer. Une ville qui va s’emparer de Braffort et lier leurs destins à jamais…

Serge Lehman & Stéphane Créty : l’Interview !

 

Comment est né ce projet ?

S.Lehman : ce projet est né d’une intuition historique que j’ai exprimée dans une bd précédente, qui s’appelle « La Brigade chimérique » et qui raconte comment, au moment de la 2nde guerre mondiale, des personnages de surhommes, qui pullulaient dans la littérature populaire française, allemande, italienne, anglaise, avaient d’un seul coup disparu sur le continent.
Disparus pour une raison qui, à mon avis, tient à la dénaturation du surhomme au moment de la 2nde guerre mondiale, évidemment puisque les nazis en avaient fait l’un des axes de leur idéologie… On a une image du surhomme en Europe mais elle est monstrueuse, ce qui n’est pas du tout le cas en Angleterre, pays invaincu, ou aux Etats-Unis, pays vainqueur, de la 2nde guerre mondiale. Eux au contraire, ont projeté dans la figure du surhomme, des personnages comme Superman et tous ceux qui ont suivi, le double sentiment d’être du bon côté de l’histoire, d’être les vainqueurs en d’autres termes, et aussi d’exprimer par ce rayonnement presque solaire du personnage, le sentiment d’être la civilisation qui prend le relais de la civilisation européenne en tant que directrice de la nouvelle organisation mondiale. Donc supers héros, fin de l’histoire apparemment en Europe en 1939/40.

Question, est-ce qu’on peut s’en passer ? Non. A notre avis non !
On ne peut pas s’en passer et la preuve en est que tous les gosses de France et du monde lisent, regardent et admirent les supers héros américains. Pourquoi, parce que c’est de la mythologie. Tout le monde veut être Superman, comme dans l’antiquité tout le monde voulait être Hercule ou Ulysse, l’homme le plus fort, le plus puissant. Ca désigne un idéal surhumain, c’est l’aspiration à sortir de sa condition, à accéder aux valeurs suprêmes, à se sacrifier pour les autres… ce que font périodiquement les supers héros. Ce sont des Christ souvent, ils ne sont pas reconnus.

 


Extrait du tome 1 « Anomalies »

 

C’est un peu le cas de Braffort qui n’est pas tout à fait le stéréotype de l’anti-héros, malgré tout il est traumatisé de guerre, catapulté dans une ville qu’il ne reconnait plus, où il lui arrive des évènements qu’il n’a visiblement pas envie de vivre…

S.Lehman : Braffort est blessé, traumatisé, plein de doutes. C’est quelqu’un qui est un soldat dans l’âme. Il a renoncé à son autonomie parce qu’il cherche une cause à laquelle se donner et d’un coup cette problématique va se multiplier par 100, parce que se donner va impliquer de donner à autrui des pouvoirs gigantesques dont il a hérité sans les avoir voulus. La question qui se pose alors c’est « à qui je me donne », est-ce que je ne suis pas en train de les donner à un monstre, à un préfet fou qui est un sorte de mégalo délirant à demi fasciste… c’est d’ailleurs les rhétoriques politiques qui courent dans la ville.

Justement par rapport à cela, on aurait tendance à se dire que ce pauvre Braffort est totalement persécuté. Il est blessé psychologiquement et l’a été physiquement, il retourne dans une ville qui n’est plus ce qu’elle était, c’est le bazar partout, les Anomalies pullulent alors qu’on ne sait d’où elles sortent, et en plus il écope de supers pouvoirs dont il ne veut pas…

S.Créty : Et ses parents sont des personnages atypiques ! (rires) C’est un personnage qui a un passif lourd et un présent encore plus lourd. On a tous rêvé d’être un super héros et ça n’est pas sur que Braffort ait rêvé d’être ce style de super héros là et c’est justement ce qui est intéressant. C’est la façon européenne d’aborder le super héros. Car c’est aussi quelque chose d’ambigu, quelqu’un qui est désigné par une cause sans avoir vraiment choisi de se la prendre sur les épaules.
Il se met au service d’une cause et il va peut être s’apercevoir que la personne qu’il a choisie n’est pas celle à qui il fallait donner ses pouvoirs. C’est une décision de poids qui pèse lourdement sur ses épaules.

S.Lehman : Il ne sait pas si c’est la bonne cause, et le collectif, fruit d’une époque, qui le produit (en l’occurrence Paris) n’a pas forcément envie d’être représentée par un super héros qui fait 100 kilos de muscles. Ca n’est pas dans la tradition. Paris est une ville révolutionnaire, c’est toujours une ville en ébullition, qui ne supporte rien, qui sort du rituel républicain, même dans le Paris transformé qu’on a créé… on le voit dans les manifestations qui opposent violemment les pro et anti préfet.
On voudrait être une grande capitale mondiale mais ne sommes nous pas des salauds par rapport à notre passé colonialiste ? C’est toutes ces tensions là qui s’expriment et lui il reçoit tout ça sur la carafe et il faut qu’il fasse avec.

S.Créty : En plus c’est un personnage qui reçoit beaucoup de pouvoirs mais qui n’a pas la boite à outils qui va avec pour les contrôler. Il faut qu’il apprenne à faire avec. En même temps que les lecteurs, il découvre ses pouvoirs et les responsabilités que ça sous entend. C’est ça qui est intéressant, on est dans le processus de création de ce personnage qui va prendre forme et se développer, prendre la mesure du costume qu’il a revêtu. C’est là où nous en sommes dans le récit, le moment où il fait sa mue autant que Paris fait la sienne.

Stéphane Créty, par quel biais vous êtes vous inséré dans ce projet ? Vous avez beaucoup travaillé sur des comics auparavant, vous vous êtes consacré à la lecture de ce style afin de vous immerger dans l’univers de ces supers héros ?

S. Créty : Oui je lis beaucoup de comics, je ne lis d’ailleurs que du comics depuis 10 ans,. C’est David Chauvel, l’éditeur de la série, qui m’a contacté lorsqu’ils ont mis en place ce projet avec Serge. Ils recherchaient un dessinateur rapide et qui avait ce background comics, donc ils ont fait appel à moi.

Vous vous transposez dans un univers comics, malgré tout vous restez dans un style de bd très franco/belge. C’est une volonté que vous aviez en commun ou est-ce vous qui avez apporté cette touche ?

S.Créty : Non on ne voulait surtout pas, chacun d’entre nous, faire semblant d’être des américains. On est des européens et on aborde le sujet des supers héros comme des européens. On voulait pas faire semblant d’être du Wisconsin ou du Minnesota, non moi je viens des Ardennes, et il n’y a rien de plus français que les Ardennes, je peux vous l’assurer ! Lui (dit-il en indiquant son acolyte Serge Lehman d’un mouvement de tête) est de Paris, de ce no man’s land français. (rires)
Ils se trouvent que beaucoup de comics que je lis et aime sont publiés aux USA, mais les auteurs sont soient anglais, soient écossais et il n’y a pas plus européens qu’un écossais, je peux vous l’assurer !

 


Extrait du Tome 2 « Le Fuseur »

 

Ce personnage de Braffort est très ambigu, très compliqué, très complet mais en même temps très torturé, vous avez eu du mal à trouver son charac design ?

S.Créty : On a travaillé mais ça n’a pas été une galère. La tenue du super héros ne doit pas être anecdotique, ça n’est pas quelque chose qu’on peut bâcler. C’est important.
Elle devait être belle à la base et symbolique de tous les concepts qui traversent ce principe de super héros parisien, avec l’identité de Braffort. Il y avait différents éléments disparates qu’il a fallu réunir autour de ce costume, donc ça sous entend pas mal de rechercher, d’aller retour, d’élagages, de pistes qui se sont avérées être des impasses. Tourner autour de l’idée jusqu’à s’apercevoir que les solutions les plus simples sont les plus pertinentes, à notre avis. C’est un ancien militaire qui avait donc une tenue et qui se retrouve dans la peau d’un héros avec la référence de Fantomas pour la bi-chromie, la stature, la cape, le thème super héroïque.

Oui, parce que la tenue que vous avez créé est très classe et représente bien l’idée que l’on peut se faire d’un super héros à la française.

S.Créty : Braffort a effectivement le bon goût de ne pas mettre son slip au dessus de son pantalon ! (rires)

S.Lehman : Ah c’est un français, il a des codes vestimentaires ! (rires)

S.Créty : J’ai cherché des tenues car à la base il devait être en civil. Serge et Julien (Julien Hugonnard-Bert, l’encreur de la saga ndlr) m’ont donné des références Kenzo et compagnie.
On voyait pas notre super héros bleu, jaune ou avec des couleurs fluos. C’est une naïveté qu’on a aux USA mais pas en France. On n‘a pas le même historique. Avoir un super héros bondissant entre les gratte-ciels, aux USA, ça n’est pas choquant. On a des raisons qui nous appartiennent et qui sont peut être erronées, mais Serge et moi nous l’imaginions mal en rouge, en vert, en quelque chose d’éclatant. On est plus dans la discrétion, plus dans le passé historique. C’est un militaire, il n’a pas envie d’apparaitre en super héros, il a envie de se fondre dans la masse. La tenue c’est une tenue de combat, il va se fondre dans Paris pour être le plus discret possible, il n’a pas envie de parader sur les Champs Elysée. Donc du coup nous avons opté pour une tenue en noir et blanc, pour moi Paris c’est les films en noir et blanc
(rires). Il y a des choses qu’on s’est interdit parce que ça ne fait pas partie de notre culture.

S.Lehman : C’est un processus très intuitif, on est capable maintenant d’avoir une vison d’ensemble sur notre charte graphique. L’essentiel, le travail de création, celui de Stéphane, c’est fait autour de croquis. On voyait qu’on se rapprochait, s’éloignait, on revenait sur ce qu’on avait fait pour quelque chose qui nous paraissait mieux et un jour il nous sort un croquis et là tout le monde s’écrit « c’est ça ! » et là c’est magique.

Parlons un peu des anomalies qui sont le fil conducteur de votre histoire. Une anecdote sur leur création ?

S.Lehman : Oui, je ne sais pas ce que c’est ! (rires)
S.Créty : et moi non plus !
S.Lehman : ça participe à l’intérêt de la création.

Ok j’aurai essayé ! (rires) Est-ce que vous pouvez nous parler un petit peu de l’orientation des prochains tomes ?

S.Lehman : Deux grands vilains dans les prochains tomes trois et quatre. Dans le tome trois ça n’est pas hyper difficile de savoir de quoi il parlera quand l’on regarde le titre (Chimères et Gargouilles ndlr). Ca se passe à Notre Dame.

S.créty : Ce que je peux dire et que ce que je dessine actuellement est absolument jouissif. Voilà !

S.Lehman : Dans le tome 4 on boucle l’histoire, en se disant que si ça a marché on continuera car le dispositif de base aura été mis en place. Dans le tome 4 Braffort fait ses choix finaux et affronte l’ultime super vilain qui est quelqu’un de son entourage qui le met en face de ses contradictions. Ca va être quelque chose de très déchirant, et très violent.

 


Extrait du tome 1 « Anomalies »

 

Lors de sa conférence de presse de début d’année à Angoulême, Guy Delcourt disait que cette année serait celle du comics. Vous êtes de cet avis ?

S.Crety : Oui par ce que c’est une génération. Il y a des envies de comics qui apparaissent partout, on le voit, des projets se montent. Adapter des projets comics en France montre qu’un lectorat est réellement là et prêt à soutenir ça. On arrive à la génération des quarantenaires qui ont bouffé du « strange » toutes leur jeunesse et qui arrivent maintenant au poste de décisionnaire, ne serait-ce qu’au niveau éditorial. Donc les projets d’il y a 20 ans, auprès de directeurs ou éditeurs, qui n’avaient pas de comics comme fond culturel commun, ont été débloqués. Il se trouve que maintenant on a des gens qui ont a peu près le même parcours que les auteurs. Ils ont lu, ils ont vu et aimé les mêmes choses. Quand on apporte des projets du type comics ou super héros, ils comprennent, on a le même dialogue. Les envies sont convergentes, ça n’est pas un hasard.
Les gens qui ont le pouvoir d’achat aujourd’hui sont ceux qui ont beaucoup trempé dans le comics pendant une vingtaine d’années et qui se sentent hyper « in » maintenant.

S.Lehman : Il y a aussi ce principe de libéralisation dans les bd des 15/20 dernières années. Il y a quand même des histoires qui comptent comme les Watchmen, V pour Vendetta, Hellboy, ce sont des créations majeures de la BD, des créas profondes, comme Corto Maltese. Elles disent des choses sur les époques, elles font de la politique, ce n’est plus quelque chose qu’on peut envoyer balader en disant « c’est pour les gosses ». C’est de la vraie bande dessinée pour adultes, parfois c’est du roman graphique, très ambitieux. On n’est plus ridicule quand on arrive en disant « moi je veux parler de supers héros ».

Merci à Serge Lehman et Stéphane Créty de nous avoir accordé du temps malgré leur emploi du temps de ministres et à Emmanuelle Klein, attachée de presse pour Delcourt, pour sa disponibilité et sa gentillesse.

MaXoE continue bien évidemment de suivre ses deux artistes dont vous retrouverez le tome 3 de « Masqué » sous le titre « Chimères et Gargouilles » début octobre et le tome 4 « Le préfet spécial » en début d’année 2013, chez Delcourt of course !


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