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Jérémy Sebbane : Interview de l’auteur ‘Le Détachement’ Sélection Grand Prix des Lecteurs 2020

Le roman ‘Le Détachement’ de Jérémy Sebbane est sorti l’année dernière chez Sable Polaire, et il était en Sélection du Grand Prix des Lecteurs lors du MaXoE Festival 2020 dans la catégorie Livres / Romans. Il a à cette occasion accepté de répondre à nos questions.

Voici notre interview de Jérémy Sebbane que nous avons ponctuée d’extraits de son livre et de textes provenant de son site que nous vous invitons à découvrir à cette adresse. Vous pouvez aussi suivre l’auteur sur Twitter @JeremySebbane.

 

Bonjour Jérémy Sebbane, nos lecteurs ont pu découvrir votre roman ‘Le Détachement‘ sur MaXoE par le biais de notre présentation il y a quelques mois et plus récemment dans le cadre du Grand Prix des Lecteurs du MaXoE Festival 2020. Pouvez-vous vous présenter et présenter votre ouvrage ainsi que les deux personnages principaux, Maxime et Juliette ?

Jérémy Sebbane : Oui, je tiens d’ailleurs à remercier votre équipe d’avoir sélectionné mon roman mais aussi toutes celles et ceux, nombreux, qui ont voté pour Le détachement ! Le détachement est mon second roman. Le précédent ‘Après quoi on court’ est en cours d’adaptation pour le cinéma. Après avoir beaucoup écrit pour d’autres – j’ai été la plume de plusieurs personnalités politiques de premier plan- j’ai voulu raconter mes propres histoires. Raconter des histoires, c’est ce que mon héroïne dans Le détachement, Juliette, fait depuis toujours. Maxime, son seul confident, l’écoute et fait semblant de la croire. Mais tout bascule entre les deux amis lorsque Maxime, à qui Juliette a narré durant des semaines une relation passionnée avec un dénommé Raphaël, découvre que ce dernier est mort le soir de sa rencontre avec la jeune fille. Juliette qui refuse de vivre dans le réel préfère croire que tout le monde se ligue contre elle pour nier son histoire d’amour avec Raphaël. Elle devient une veuve imaginaire, s’invente la vie qu’elle aurait pu avoir avec le défunt et va à la rencontre des proches du jeune homme qui n’ont jamais entendu parler d’elle. Fatigué des mensonges de son amie, Maxime se détache d’elle. Mais il s’interroge. Conseiller politique dont les engagements se heurtent à la réalité de l’exercice du pouvoir et prisonnier des fantasmes des réseaux sociaux, lui aussi semble bien plus souvent préférer son imaginaire à ce qu’il vit. Pour eux, une solution : inventer un autre monde moins décevant que celui dans lequel ils évoluent. Celui de la création. Celui où l’on peut vraiment rêver à des lendemains qui chantent. En somme, j’ai voulu raconter l’histoire de personnages qui racontent des histoires.


Extrait
« Depuis toujours, j’aime raconter des histoires. Pas mentir. Juste prolonger un peu la vérité. Tenter de rendre la vie plus jolie, plus supportable (…) Le seul qui me comprend, c’est Maxime. Lui non plus, il n’aime pas le réel. Il le trouve décevant. »


Dans Le Détachement, vos personnages mentent, notamment Juliette, ce qui crée rapidement un sentiment de flottement pour le lecteur qui perd un peu ses repères. Ils expriment aussi non sans humour, des vies fantasmées. On ressent très bien cet entre deux eaux ponctué de déceptions qui d’une certaine manière renforce notre attachement aux personnages qui ne peuvent pas vivre l’un sans l’autre. On ressent de l’empathie pour eux mais aussi le désarroi de les voir se débattre dans un monde qu’ils connaissent si bien et qui les dépasse autant. On s’interroge alors : est-ce une question purement générationnelle ou plus globalement sociétale ? Qu’est-ce qui fait que ces personnages semblent aussi perdus ?

Il y a dans le roman une citation de Rousseau qui écrivait qu’« on jouit moins de ce qu’on obtient que de ce qu’on espère ». C’est souvent vrai pour l’amour et le désir. Ce que l’on vit est irrémédiablement plus décevant que ce que l’on peut imaginer. C’est la raison pour laquelle mes personnages fantasment tant tout au long du récit et que leurs fantasmes sont accentués par leurs obsessions pour les réseaux sociaux, ils se comparent à celles et ceux qui donnent l’illusion de vivre une vie de rêve. Et la citation de Rousseau est encore plus vraie pour les engagements où la perte des illusions succèdent invariablement aux espoirs de changements et de grands soirs, où les convictions souvent sincères et naïves se fracassent face aux ambitions, aux concessions, aux reniements. La dimension générationnelle évidemment est omniprésente puisque mes personnages vivent dans la société française contemporaine où être jeune est souvent synonyme de parcours du combattant pour trouver un emploi, un logement ou acquérir son autonomie.


« Juliette qui refuse de vivre dans le réel préfère imaginer que tout le monde se ligue contre elle pour nier son histoire d’amour avec Raphaël et devient une veuve imaginaire au grand dam de Maxime qui, fatigué des mensonges de son amie, ne la comprend plus et se détache d’elle… »


Votre livre dévoile un univers politique de caste très rude, parfois méprisant et souvent manipulateur. On est loin de l’image (peut-être fantasmée, on y revient) de l’engagement politique bâti sur des convictions fortes. L’action a laissé place à la communication voire au buzz, et il y a une certaine vacuité des mots dans les discours des personnalités politiques qui finissent par en perdre leur sens. Tout n’est plus qu’apparence et faux-semblant même s’ils ne sont pas pour autant ‘tous pourris’. Dans quelle mesure vos expériences politiques auprès de Manuel Valls ou de François Hollande, dans les domaines de la communication justement, de l’égalité femmes/hommes ou encore des personnes handicapées ont influencé cette vision si bien retranscrite dans votre livre ?

En vivant au cœur de ce monde aussi passionnant et excitant que violent et injuste, je me suis toujours dit que je souhaiterai raconter ce milieu où se mêlent convictions sincères et cyniques, engagements et reniements, espoirs et désillusions. Je l’ai fait en partie dans Le détachement qui, je pense, retranscrit bien le côté ingrat de la vie politique où le winner du lundi peut être le loser du mardi et vice-versa ou encore effectivement la façon dont la communication s’est trop souvent substituée à l’action politique ces dernières années. Je continue actuellement sur cette lancée en développant deux séries dont l’une traite très directement de l’entrée de jeunes dans ce milieu redoutable et ô combien cruel.


« Conseiller politique dont les engagements de gauche se heurtent à la réalité de l’exercice du pouvoir, incapable de développer une relation sentimentale équilibrée car perpétuellement amoureux de garçons préférant les filles, lui aussi semble jouir bien moins de ce qu’il obtient que de ce qu’il espère. »


Ce sentiment de perdition qui traverse votre ouvrage est assez perturbant car il y a un côté un peu masochiste à la démarche de vos personnages qui semblent courir après des chimères tout en essayant de correspondre à une certaine image imposée par la société ou la famille, comme Juliette, érotomane qui se rêve en femme parfaite servant son homme, le Prince Charmant ; ou Maxime en bon père de famille mais pas forcément traditionnelle. Ils vivent une vie mais en racontent une autre, à l’instar de celle que l’on peut vivre sur les réseaux sociaux sur lesquels vous êtes d’ailleurs présent. On vous y voit en entre amis, en famille. Maxime lui s’y perd. L’analogie entre le ‘détachement’ et la ‘déconnexion’ semble évidente, est-ce qu’il y a selon vous une corrélation entre les deux ?

Oui, bien sûr. Et je crois que le mal-être que certains jeunes peuvent ressentir est décuplé par l’obsession de l’image que l’on peut donner sur les réseaux sociaux. Le détachement comme mon précédent roman Après quoi on court parle d’identités contradictoires, de la façon dont peuvent cohabiter à l’intérieur d’une même personne des aspirations, des désirs différents. Je crois sincèrement que l’on peut être plusieurs choses à la fois, je ne crois pas aux identités figées, ce qui m’intéresse c’est les doutes, les failles, les points de bascule, la façon dont on peut aussi dans une vie un jour changer de certitudes.


Extrait
« Maxime a une théorie sur les garçons très beaux qui sortent avec des filles banales. Souvent, elles s’appellent Pauline ou Amandine, sont petites, pas très jolies mais compensent en étant puissamment castratrices. Une fois qu’elles en tiennent un, elles ne le lâchent pas. »


On parle beaucoup de déception, de mensonges, de contradictions… Mais votre ouvrage est aussi plein d’humour, d’ironie et de sarcasme comme on le disait en introduction, il y a quelque chose de drôle dans le tragique que vivent parfois les personnages et c’est très bien fait. Et puis il y a cette légèreté qui nous emmène inexorablement vers une fin à laquelle on ne s’attend pas. Le parcours de l’amitié-amoureuse de nos deux adulescents laisse place à une réalité glaçante, traumatisante. Le choc est brutal et met en abyme toutes ces vies rêvées, lorsque la réalité les rattrape et dépasse la fiction. On a l’impression qu’à travers cet ouvrage vous nous poussez à nous interroger sur la (notre) vie et si finalement il ne faudrait pas savoir céder à une certaine légèreté pour s’en protéger ?

Vous avez tout à fait raison, j’écris des romans où l’on pleure dans les fêtes et où l’on peut rire aux enterrements. Il y a d’ailleurs une scène dans Le détachement où l’un de mes personnages qui assiste à des obsèques se demande quel est le délai raisonnable pour draguer le petit frère du mort. J’ai toujours à cœur d’alterner des références très pop et très classiques et de mettre de l’humour dès que ce que je raconte me semble trop violent. En somme, si je veux inventer mon propre monde, je veux aussi écrire des histoires qui ressemblent à la vie où inévitablement des moments tristes succèdent à des moments plus joyeux.


« Alors qu’ils s’aperçoivent au fil des épreuves qu’ils vont chacun traverser combien ils ne peuvent vivre l’un sans l’autre, Juliette et Maxime se retrouvent finalement dans la création où ils vont prendre plaisir à inventer un autre monde que celui, décevant, dans lequel ils évoluent. »


Votre premier roman ‘Après quoi on court’ est sorti en 2014, le second ‘Le Détachement’ en septembre 2019. Vos personnages y ont des vies amoureuses jamais simples, ancrées dans la réalité de leur temps. Vous suivez leurs expériences, leurs bonheurs et leurs malheurs sur fond de thématiques très contemporaines où l’amour se vit (ou pas), se partage (parfois), se fait et se défait (souvent) dans une société où les sentiments exprimés ne sont pas forcément acceptés, où l’insouciance, si tant est qu’elle ait existé, ne dure qu’un temps. Ce qui n’est pas sans rappeler d’ailleurs le cycle littéraire autobiographique de René de Ceccatty. Est-ce que l’on pourrait un jour retrouver ces personnages au coeur d’un polar ou d’une oeuvre de science-fiction ? Compte tenu de leur personnalité, certain(e)s y trouveraient aisément leur place !

J’ai le sentiment que Le détachement, par bien des aspects, peut être considéré comme un thriller. On se demande tout au long du roman si ce que nous raconte l’héroïne est vrai, si elle a pu être capable de tuer par amour, si elle n’est pas impliquée dans une série de meurtres, jusqu’où sa volonté de faire en sorte que sa vie ressemble à ses fantasmes va aller. On me pose souvent la question du degré d’autobiographie dans mes textes et ma réponse est toujours la même : comme mes personnages, je prends la réalité, je la déforme et l’exagère. Je n’écris pas sur des voitures qui explosent ou des extraterrestres, j’écris toujours sur ce qui peut me faire battre le cœur.


« Nous aurions pu nous aimer… » est la première phrase de la 4e de couverture de mon roman « Le détachement ».
Elle dit le deuil de celle qui aurait voulu voir son amour durer plus longtemps.
Elle dit le regret de celui qui aurait souhaité ne pas aimer pour deux.
Elle dit l’espoir de ceux qui se racontent des histoires pour inventer un monde moins brutal que celui dans lequel on vit.


A propos de vos projets justement, quels sont-ils ? L’adaptation au cinéma de votre premier roman que nous évoquions précédemment a été annoncée, avez-vous plus d’information sur les acteurs, le réalisateur ? Vous avez aussi évoqué le développement d’une série, pouvez-vous nous en dire plus ? Et puis la fameuse question de votre retour en politique est d’actualité puisqu’il y a récemment eu un remaniement ministériel et certains de vos amis avaient évoqué un retour aux affaires du côté de la culture. Vous avez de nombreux projets en cours et la page semble bel et bien tournée mais vous pourriez suivre les pas de Maxime dans Le Détachement et revenir en politique ? Par forcément dans un ministère mais on sait que vous êtes un citoyen engagé pour la culture.

Je développe effectivement plusieurs projets audiovisuels. Deux séries politiques que j’écris actuellement et surtout mon premier film puisque c’est moi qui réaliserai l’adaptation de mon premier roman Après quoi on court. Cela me semblait une évidence, en écrivant le roman, je pensais au film qu’il pourrait devenir. Je voyais les images, les plans, j’imaginais la mise en scène, la place de la voix off et des face caméra. J’ai la chance d’avoir un casting très avancé avec beaucoup de magnifiques acteurs très confirmés que l’on a pu voir notamment chez Ozon, Kechiche ou Costa Gavras. C’est une superbe preuve de confiance de leur part. Et il y aura aussi, puisque c’est un film centré sur la jeunesse, de nouveaux talents dont je parie que l’on entendra parler longtemps ! Mais, vous l’aurez compris, pour le moment, je garde le secret ! Quant à la politique, aujourd’hui je préfère la décrire dans mes œuvres que d’y retourner. Cela ne m’empêche évidemment pas d’être un citoyen engagé et de penser en effet que pour mener des politiques publiques culturelles efficaces, il est bon, à la fois d’avoir du sens et de l’autorité politique mais aussi de bien connaître les artistes et leurs réalités.


Extrait
« Il s’appelait Louis, était conseiller ministériel depuis l’élection présidentielle de 2012. C’est toujours triste de voir que ceux qui sont censés représenter la gauche sont souvent ceux qui lui ressemblent le moins physiquement (…) A l’époque, Maxime, issu d’un milieu modeste, avait un engagement naïf, automatique, un peu benêt. Il pensait que la gauche était gentille et défendait les gens quand la drorite était méchante et défendait l’argent… »


On termine cette interview par une question rituelle : MaXoE est un média indépendant et multi-thématiques, pas de frontière entre les bandes-dessinées, les livres, la musique, le cinéma ou encore les jeux-vidéo. A quels jeux (vidéo) jouez-vous ? Quelles sont vos lectures (anciennes ou récentes) ? Vos films ou séries préférés ? Et du côté de la musique, vous écoutez quoi ? Un conseil sur un événement, une exposition à voir ?

Vaste question. Si l’on parle d’actualités, je suis plongé dans la lecture de l’autobiographie de mon réalisateur préféré Woody Allen Soit dit en passant, j’aime beaucoup le nouvel album de Benjamin Biolay Grand prix et j’adore la série The politician sur Netflix…mais il faut aussi et surtout aller au cinéma, les salles sont de nouveau ouvertes et rien ne pourra jamais remplacer cette sensation de découvrir un film sur grand écran !

Merci beaucoup d’avoir répondu à nos questions et au plaisir de vous accueillir à nouveau sur MaXoE ! 🙂


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