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Les BD du mercredi : Das Feuer (Casterman), Grave (Delirium) et Nada (Dupuis)

Le mercredi c’est désormais trois albums sur lesquels nous portons notre attention. Trois livres qui font l’actualité, trois conseils de lecture, dans une diversité de genre et de format, pour aiguiser la curiosité de chacun !

La guerre n’est ni romantique, ni belle à montrer. Vorace elle accumule les chairs pour nourrir les canons et donner l’idée, improbable, qu’il est mieux fait qu’en face, que la victoire est proche, palpable, qu’elle n’est qu’une question d’heures ou de jours et viendra éclairer cette grisaille qui parcourt depuis trop longtemps l’horizon jusqu’à mêler terre et ciel. Dans les tranchées l’espoir donne encore l’envie de vivre mais la guerre rappelle très vite à ceux qui l’auraient oublié que le plus dur reste encore à faire et que rien ne peut infléchir le souhait d’une victoire totale d’un état-major dépassé.

Dans le no man’s land qui sépare Français et Allemands les corps désarticulés dansent leur dernière matelote sur un océan de terre visqueuse qui colle aux chaussures, aux barbes, aux visages autrefois lisses devenus granuleux. Les obus et les balles tirés au hasard trouveront bien un corps en chemin. Ils donnent en tout cas le la, le rythme et le cadencement sur lequel calquer les pas. Les trous qui se crées dans le sol ici ou là, entre deux cadavres, permettent de cacher un homme dans l’attente des sourdines qui viendront peut-être trop tard. Si la mort ne parvient pas à tout faucher elle rigole bien de cette folie des hommes dont elle n’attendait pas plus ni mieux. Et, lorsque les regards se portent sur l’horizon, lorsqu’ils scrutent les mouvements ou les changements de tons dans ces grisailles métalliques qui ôtent la foi et l’espérance, les yeux exorbités n’expriment plus rien. Parce que la folie telle un cancer a gagné les esprits d’hommes trop tôt séparés à leur femme ou à leur mère.

La pluie fait cascade, piquante d’aiguilles, pour nous transpercer, nous clouer au sol. Et sur nos casques et sur nos râbles, et sur le barda dont le poids nous tire vers la terre, délayée de flotte, la nuit ruisselle, torrentielle et glacée (…) il nous faut de la foi… pour distinguer les hommes de la bourbe qui remue. Mais la foi on n’en a plus guère.

Le texte d’Henri Barbusse reste l’un des plus forts et des plus symboliques sur la Grande guerre. Publié en 1916 d’abord en feuilleton puis en intégrale la même année, il se voit transposé dans le camp allemand par Patrick Pécherot et Joe Pinelli. A partir du texte original livré en saccades, les deux auteurs tissent un récit sous forme de déambulation de soldats dans le no man’s land à la recherche d’une ligne de tranchée perdue. Le dessin joue sur un mélange de matières, pluie, boue, sur un relief escamoté traversé de barbelés et de corps dont n’émergent du magma que quelques bras, quelques pieds ou quelques têtes. Nous ne sommes rien dit le pavé de texte d’ouverture. Les hommes ne sont plus individus mais quantité de matière pour nourrir les combats. C’est à partir de cela que le récit des deux auteurs se construit pour un résultat qui se met à la hauteur du message de Barbusse, violent, sans émotion, sans perspectives, brut, cinglant. Pour éviter de tomber dans l’oubli…
Patrick Pécherot et Joe Pinelli – Das Feuer – Casterman

  

Richard Corben cultive les univers fantastiques et horrifiques depuis toujours. Passionné par la littérature du genre, Poe, Howard, Lovecraft en tête, il voit dans les années 70 une série de ses travaux publiés dans la revue Metal Hurlant qui le révéleront aux yeux du public français. Puis il enchaîne les projets et accumule les récompenses jusqu’à décrocher le Grand Prix très prisé et souvent contesté de la Ville d’Angoulême. Le label Delirium publie depuis 2013 une partie des travaux de l’auteur de La Saga de Den. Ragemoor (2014), Esprit des morts (2015), Ratgod (2016) viennent compléter des recueils de nouvelles parus dans Eerie et Creepy repris par l’éditeur français en deux épais volumes (2013 et 2014). En cette fin d’année 2018 Delirium poursuit le travail éditorial en offrant aux fans de comics le double album Grave/Denaeus.

Grave se compose d’histoires courtes dans l’esprit des contes de la crypte à qui il rend hommage par le biais de son narrateur et de ses déambulations dans les cimetières de campagne isolés ou à l’abandon. Toujours en servant son propos d’un ton décalé, Corben joue sur les peurs et les cauchemars qui nous habitent avec une petite morale rattachée (tu ne voleras point, tu ne tromperas point, tu aideras ton prochain…) dans l’esprit de la série de William Gaines et Al Feldstein publiée par EC Comics. L’album se voit compléter de la mini-série Denaeus sur 80 pages où Corben déroule le fil d’un récit placé dans l’Antiquité avec des personnages connus ou pas, revisité en tout cas à la sauce Corben sur un ton savoureusement décalé. Un recueil à posséder pour les fans de récits glauques et horrifiques !
Richard Corben – Grave – Delirium – 2018

 

Epaulard, un ancien du PCF qui a fait ses preuves en Algérie, au Mexique, à Cuba ou encore en Guinée rencontre D’Arcy militant d’extrême gauche qui lui propose de rejoindre, comme expert, un groupe dénommé Nada qui sera, s’il accepte, composé de cinq hommes et d’une femme. Le but avoué de Nada : l’enlèvement de l’ambassadeur américain en France. Epaulard n’est pas enchanté par le projet et le fait savoir à D’Arcy, mais finalement sera de la partie après avoir discuté avec Buenaventura Diaz, le leader du groupuscule. Treuffais, un prof de philosophie un brin psychopathe, Meyer, un jeune bougre martyrisé par sa femme, folle, qui l’étrangle et le griffe jusqu’au sang et Cash une femme libre qui se définit comme une putain compléteront le groupe.

Chacun des individus est habité par des convictions fortes qui leur ont valu d’être parfois mis au banc de la société. L’action directe est pourtant une chose nouvelle pour eux qu’ils espèrent pouvoir accomplir grâce à la présence d’Epaulard. Pour mener à bien leur projet, ils suivront d’abord l’ambassadeur pour débusquer son talon d’Achille. Ils le trouveront assez facilement. Habitué des parties fines dans des soirées où il paye rubis sur l’ongle des putes de luxe, l’ambassadeur sera embarqué lors d’une descente des membres de Nada dans un club select de la capitale. Mais tout ne se passe pas comme prévu. Lors de l’enlèvement le garde du corps de l’ambassadeur tente de s’interposer et des coups de feu sont échangés. Le début d’une lente déliquescence du plan prévu. D’autant plus que le flic à qui est confiée l’affaire a un compte à régler avec les anars qu’il espère faire tomber dans le sang…    

Les années 60, d’abord aux Etats-Unis au travers de la lutte pour la reconnaissance des droits de la population afro-américaine, puis en Europe et en France, avec comme point d’orgue mai-68, et les années de plomb, connurent un climat de tension permanente marqué par des manifestations tendues (Algérie), des séries d’attentats, de prises d’otages, de cambriolages rocambolesques issus de groupes armés d’extrême gauche dopés en partie par l’agitation dans les pays de l’Est, dans toute l’Amérique Latine et Cuba. Le romancier Manchette était lui-même sympathisant d’extrême-gauche et auteur de polars devenus mythiques pour toute une génération. Il fut à l’origine du renouveau du genre et notamment de la série noire par son attachement à s’ancrer dans la société contemporaine de son temps et d’en dévoiler une partie de ses travers au travers des désillusions qui frappaient le monde d’en bas, les exclus de tout poil, les marginaux et les ouvriers asservis au capitalisme… Le neuvième art par le biais de son fils Doug Headline permet de redécouvrir une partie des récits majeurs qu’il a écrits : La Princesse du sang (2009 et 2011), Fatale (2014) et donc Nada cette année, tous trois avec Max Cabanes au dessin. Les deux auteurs tablent sur l’ambiance et prennent de fait le temps de dérouler la trame narrative en s’attachant à grossir le background des personnages qui conservent avec eux une part de mystères sur leurs intentions profondes. Nada peut se lire comme un grand gâchis. Celui de militants qui défendent des causes légitimes mais qui virent dans les travers de ceux qu’ils dénoncent. Goémond en policier zélé qui a décidé de faire de cette prise d’otage une véritable boucherie, n’hésitant pas à sacrifier l’ambassadeur qu’il était censé sauver des griffes de Nada, n’est pas plus excusable. De ces deux mondes opposés qui s’affrontent n’accouche qu’un néant, qu’une fumée, par essence éphémère, semblable à celle qui s’échappe de la bouche de Cash sur la couverture de cet opus maitrisé de bout en bout.
Doug Headline & Max Cabanes – Nada – Dupuis – 2018


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