Afin d’aiguiller les retardataires n’ayant pas encore acheté leurs cadeaux de Noël, nous vous proposons un choix de titres plutôt adaptés à la période. On y trouve de beaux albums bien lourds, des livres de contes ou des souvenirs de notre enfance, bref de quoi alimenter les paniers et garnir le pied du sapin !
Les histoires de fantômes peuvent parfois prendre des tournures insoupçonnées. On pense savoir, comprendre, deviner ce qui se trame entre les mots, entre les interstices des lignes griffonnées sur un cahier sans lignes et voilà que le sens du texte se trouve happé dans un au-delà difficile à localiser pour nous laisser démuni et sans voix face à son dénouement. Il convient dès lors d’être méfiant car on ne pourra pas toujours accepter de se faire berner de la sorte. Non pas que le plaisir de lecture en souffre, non pas que notre esprit cartésien se trouve soudainement sujet à des sautes d’humeur nous laissant dans l’impossibilité de renouer le sens de la raison, mais plutôt car le malin petit plaisir des farfadets, fantômes en tulle blanche, esprits frappeurs et autres mère lusine à nous pousser vers des sentiers frissonnants et peu avenants pourraient nous faire claquer les pages de ce grimoire, qui trouve place entre nos mains, plus vite que nous le souhaiterions. Non, non nous ne saurions céder à la peur ou aux artifices de la peur car nous savons, nous faisons partie de ce que certains appellent les sachants, ces hautes autorités rassurantes capables de démêler le fil d’histoires déraisonnablement embuées par des lymphes trop longtemps sirotées à une heure avancée de la nuit. Cela nous rassure donc et à vrai dire nous en avons bien besoin.
Avec cette Epouvantable Encyclopédie des fantômes, Pierre Dubois, conteur hors pair sort de sa besace toute une série de contes, traditions populaires, faits divers, ayant trait aux spectres et autres êtres venus de l’au-delà ou d’ailleurs. On y trouve donc tout un bestiaire d’épouvante mais aussi tout un symbolisme, toute une manière d’appréhender le fantôme, par le bruit, l’ombre, le moment… Il nous plonge par ce biais dans une véritable visite guidée de son train fantôme avec un formidable talent de narration. Mais cet ouvrage n’est pas que le fait du conteur. Pour arriver à poser l’ambiance il fallait indubitablement que le travail se fasse à plusieurs mains, et c’est dans cette porte ouverte qu’Elian Black’Mor et Carine-M ont su prendre le parti de Pierre Dubois pour proposer des illustrations riches en couleurs et en contextes défrisants pour mieux servir le texte. Le texte servant lui-aussi l’image, bref ce bel ouvrage façon « vieux grimoire » pensé à trois possède tous les atouts pour nous tenir en haleine. Tout d’abord les histoires sont souvent cocasses mais ce n’est pas tout, nous découvrons énormément de choses à sa lecture même si nous pensions en savoir déjà un rayon. Les illustrations quant à elles oscillent entre humour décalé, mise en ambiance et dérouleuses d’imaginaire. Elles surgissent souvent çà et là sur la page sans que nous les sentions venir, telles des farfadets échappés d’un vase clôt ou d’un cimetière à la nuit tombée. Elles donnent à cet ouvrage un sens au regard, nous permettent de nous échapper du texte qui monopolise notre attention, et nous offrent un panorama d’angoisses et autres peurs. Il est question de vie et de mort dans cet ouvrage mais plutôt vu du côté de la vie nous disent les illustrateurs et cela pourrait finir de vous rassurer.
Un ouvrage hors-norme, que l’on aime feuilleter, toucher, redécouvrir page à page, poser aussi sur notre table de chevet pour, le soir venu, et avant d’aller rejoindre Morphée, lire par bribes, pas d’un seul trait et trop goulument, mais avec ce besoin de laisser le temps agir, des passages qui nous éloigneront de notre monde parfois trop cartésien. Et, peut-être qu’au creux de la nuit, les grincements de boiseries vieillies, le souffle du vent frappant les volets, le bruit de pas sur les graviers auront une toute autre portée… Pour le meilleur ou pour le pire !
Pierre Dubois/Elian Black’Mor & Carine-M – L’Epouvantable Encyclopédie des fantômes – Glénat – 2012 – 39 euros
Pour en savoir plus :
Interview d’Elian Black’Mor et Carine-M
L’Epouvantable encyclopédie des fantômes de… par seb_maxoe
Beaucoup d’entre nous furent bercés par les aventures de Picsou et en gardent encore aujourd’hui des souvenirs quasi indélébiles. Carl Barks aura réussi grâce à l’histoire du canard le plus célèbre de la bande dessinée à imposer son univers. Un univers qui s’est développé bien après lui, par le biais d’auteurs s’insérant dans les ramifications ou les interstices laissés libres par leur créateur. Car l’univers de Picsou s’impose par la richesse des paysages et des lieux traversés, par les personnages multiples aux backgrounds imposants, par les thématiques abordées et l’histoire qui s’affiche en toile de fond et retrace les grands évènements qui ont marqué les deux derniers siècles. Don Rosa s’impose peut-être comme celui qui aura le mieux réussi à s’insérer dans l’univers laissé par le maître, celui qui aura su lire entre les cases pour offrir des pistes ou des alternatives à nos imaginaires à partir du personnage de Balthazar Picsou, qu’il développe depuis la fin des années 80.
Avec La Grande épopée de Picsou les éditions Glénat nous proposent de revivre l’intégrale des aventures créées par Don Rosa en pas moins de sept volumes de près de 300 pages chacun. Les deux premiers volets reviennent sur la jeunesse de Picsou depuis le manoir de ses ancêtres en Ecosse dans les années 1877-1880 jusqu’à son installation à Donaldville bien des décennies plus tard. Entre temps Balthazar sera passé de jeune cireur de chaussures des cités écossaises, en chercheur d’or sur les terres africaines, australiennes ou nord-américaines.
La réussite de l’œuvre de Don Rosa ? Elle passe par la construction du fond du personnage dont il décortique le caractère, la force et les faiblesses. Elle passe aussi par le panorama offert de l’Amérique, des bayous de Louisianne en passant par les grands froids de l’Alaska. Le tout en restant fidèle aux époques traversées. La crédibilité de l’univers proposé par Don Rosa découle de l’énorme travail préparatoire qu’il réalise avant de se mettre à sa planche à dessin, mais aussi par la passion qu’il porte au personnage qu’il souhaite incorporer pleinement à l’histoire américaine. Mais le dessinateur ne s’arrête pas là. Ses arrière-plans particulièrement riches sont un pur bonheur graphique. Il utilise en outre son amour du cinéma pour insérer çà et là des dialogues tout droits sortis de ses films préférés. Clins d’œil qu’il explique et développe dans les notes d’auteur qui suivent chaque histoire. Un pur bonheur !
Don Rosa – La grande épopée de Picsou T1 – Glénat – 2012 – 29,50 euros
Le travail de René Hausman sur les classiques de la littérature, telles les Fables de La Fontaine ou les contes de Perrault a traversé les âges. Peut-être en raison de son dessin qui s’affiche comme atemporel et peut de fait être lu par une génération ou une autre avec le même intérêt et la même curiosité.
Les Editions Dupuis nous livrent en cette fin d’année la réédition du Roman de Renart. Une version qui date d’une quarantaine d’années mais dont la (re)découverte reste relativement fraîche. On y retrouve avec plaisir le Renart alias Le Goupil et le Loup alias Ysengril dont les aventures tourmentées et colportées par les troubadours il y a bien des siècles, ont inspirés nombres de contes ou fabliaux. René Hausman les dévoile en animaux hirsutes rongés par la faim et prêts à tout pour arriver à survivre dans un monde pas forcément tendre. Ses illustrations riches de détails révèlent tout le trouble du texte. Les regards sont interrogatifs, gagnés par la peur ou l’espoir. Les couleurs bariolées alimentent le bestiaire tout en nuançant le texte souvent sombre. Elles sont le reflet de l’imaginaire d’Hausman qui a retravaillé le texte pour en tirer une vision expurgée des zones d’ombres créées par le vieux françois parfois déroutant et ainsi exposer sa vision personnelle dans laquelle il soutient ce qui lui parait essentiel : conspuer les puissants et se moquer d’eux.
A redécouvrir bien calé au fond de son lit par une longue nuit d’hiver !
René Hausman – Le roman de Renart – Dupuis – 2012 – 35 euros
Se lancer dans un récit dont les héros sont des animaux est devenu un vrai challenge. La faute aux nombreuses histoires qui se sont développées ces dernières années en dessins animés et attestent d’un réel intérêt du public mais aussi d’une exigence pour la thématique. Un récit de ce type se doit de concilier émotion, graphisme riche, tension, humour et suspense. Avec Kalimbo Crisse et Besson parviennent à réunir ces ingrédients pour lancer une série qui devrait sûrement trouver son public.
Kalimbo, doyen des éléphants garde encore sa superbe mais se sait usé par une longue vie d’errance à travers la savane. Il sent son heure venue et décide de se retirer pour rejoindre le cimetière des éléphants où son esprit pourra retrouver celui de ses aïeuls. En chemin il rencontre un ami, Makussa le lion agile lui aussi atteint par les ans mais qui reste lucide face aux dangers de son environnement. Il décide d’accompagner Kalimbo jusqu’à son dernier repère. Les deux amis déambulent ainsi vers la dernière demeure des géants de la savane lorsqu’ils tombent sur un jeune zèbre isolé de sa horde qui semble ignorer les ruses des prédateurs qui l’entourent et en font une proie de choix. Il se nomme Mata Mata et dit avoir été isolé des siens suite au passage d’un troupeau de gnous en migration. Kalimbo et Makussa décident alors de dévier de leur chemin pour essayer de rendre le jeune zèbre à sa famille.
Une histoire simple dans laquelle les valeurs de solidarité, d’aide entre les générations, de respect et d’attention portée à l’autre s’affichent comme les moteurs du récit. Crisse et Besson livrent une copie des plus agréables en déjouant le piège du mélo pour servir un récit à l’humour bien présent mais qui ne s’y enferme pas pour autant. Le graphisme, tant dans les détails que dans le mouvement des animaux ou la transcription de leurs sentiments et états d’âme s’affiche entièrement convaincant. Le rythme volontairement lent pourrait devenir une faiblesse mais permet ici d’être en phase avec la thématique qu’il développe et nos deux héros rongés par les ans. Un récit qui devrait encore nous surprendre dans ses prochains volets !
Crisse & Besson – Kalimbo T 1 – Soleil – 2012 – 14,30 euros
Hal Foster n’était pas destiné à devenir une figure incontournable de la bande dessinée. Et lorsqu’il accepte de donner les traits au personnage de Tarzan en 1931, il a alors peu conscience de la suite des évènements. Le dessinateur devient rapidement une icône du comics et les lettres des fans engorgent vite sa boîte aux lettres. Foster aurait pu se contenter de ce succès et vivre grassement des cachets plutôt attractifs de ce job (nous sommes seulement quelques mois après la crise boursière de 1929). Mais le jeune Hal ne pouvait concevoir être le simple dessinateur d’une série qu’il juge plutôt pauvre scénaristiquement. Il travaille donc sur un personnage entièrement de son cru qui deviendra chevalier de la Table ronde : Prince Valiant. L’idée séduit King Features Syndicate qui lui propose une carte blanche sur ce projet. La légende est en marche. La nouvelle série voit le jour en février 1934. Elle se poursuivra jusqu’au début des années 80 (Hal Foster atteint d’arthrite passera le relais à Murphy à partir de 1971).
Résumer en quelques lignes Prince Valiant relève de la gageure, nous n’en dirons donc que quelques mots pour placer le contexte. Fils du roi de Thulé chassé de ses terres par des hordes sauvages, le jeune Val grandit sur des terres inhospitalières situées dans des marais reculés. Dans cet univers peuplé d’animaux féroces, il fait progressivement ses classes et devient habile chasseur maitrisant avec une dextérité remarquable l’arc, l’épée et le gourdin. Il décide au cœur de son adolescence de regagner la terre ferme. Il deviendra l’écuyer de Gauvain, chevalier de la cour du Roi Arthur et entreprendra de devenir chevalier à son tour.
Prince Valiant se lit aujourd’hui comme témoignage d’un âge d’or du Comics, une étape dans la construction de cet univers protéiforme. Le personnage possède les traits d’un héros contemporain, le scénario souvent désuet possède pourtant pas mal de ramifications possibles, de tension et de suspenses. Le dessin lui a ouvert des voies à une multitude d’auteurs qui s’engagèrent dans la veine ouverte par Foster. En ce sens la réédition de l’intégrale de cette série n’est en rien anecdotique, bien au contraire tout comme le plaisir de sa lecture.
Hal Foster – Prince Valiant T1 – Soleil – 2012 – 24,95 euros