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Un certain Cervantès de Lax : Comment se porte le donquichottisme ?
Quand la BD revisite l'oeuvre de Cervantès...

Que peut signifier encore le donquichottisme à une époque qui affiche le repliement sur soi, l’égoïsme, et le désintérêt de l’autre comme les pivots d’une nouvelle manière de vivre et d’appréhender la société ? En quatrième de couverture de l’album Un certain Cervantès, Christian Lax appose la définition du Don Quichotte tirée du Robert : Le mot se rapporte à une personne généreuse qui agit sans espoir de succès et est dépourvue de réalisme. Le Don Quichotte héros désintéressé ne pourrait donc jamais atteindre son but ou son idéal, il ne renoncerait pourtant pas à son action, qui, même veine, dicterait ses actes. Tel est le cas de Mike, GI abandonné ou presque à un sort pas très glamour – les séquelles de la guerre en Afghanistan – et qui se fait fort de saccager les expressions fières de l’ultra-libéralisme qui asservit le plus grand nombre pour le profit de quelques privilégiés détachés des réalités quotidiennes de la grande majorité. C’était bien sûr le cas du Don Quichotte de Cervantès qui a fait passer le nom propre dans le domaine public. Retour sur deux albums incontournables de de premier semestre 2015 !

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Un certain Cervantès de Lax – Futuropolis (2015)

Quelques récits ont déjà exploré la vie d’après du GI revenu de la guerre. Des hommes abandonnés, hantés par leurs souvenirs les plus sombres et capables du pire dans leur lente aliénation au réel. Mike Cervantès est l’un de ces hommes. Tout juste revenu d’Afghanistan où il a perdu un bras dans une lutte acharnée contre les talibans, le jeune soldat a du mal à refaire surface. Il devra pourtant réapprendre à vivre avec ce manque et avec le souvenir des moments passés loin de chez lui. Niché dans une cabane bringuebalante pour se cacher du regard des hommes qui pourraient le juger et le voir tel un demi-homme, Mike est ravitaillé régulièrement par un ami qui représente sa seule ouverture sur l’extérieur. Un jour pourtant, l’armée, dans sa grande générosité, offre à l’ancien soldat la prise en charge d’un bras mécanique qui lui redonnera, au-delà de l’espoir d’une réinsertion, la possibilité de retrouver une estime de soi pour avancer de nouveau. Mais la société se forge sur les injustices toutes plus criardes les unes que les autres. Des injustices que Mike ne peut plus supporter car elles signeraient sa reddition. Le câble trop tendu se casse net emportant notre homme dans une relecture violente et personnelle des injustices, des incohérences et des névroses de notre société. Arrêté pour avoir brisé un distributeur automatique, il se plongera, durant sa détention, dans une lecture compulsive de la littérature contemporaine mais aussi et surtout dans l’œuvre d’un certain Miguel de Cervantès. Don Quichotte, en texte nourricier, influencera Mike qui décidera d’oeuvrer, là où d’autres se résignent, dans le démantèlement en bonne-et-due forme des dérives affichées du capitalisme sauvage…  
Par l’entremise d’un personnage bousculé et en décalage avec son époque, Christian Lax livre un album très personnel dans lequel l’auteur de L’écureuil du Vel d’Hiv’ s’attache à passer en revue les maux qui gangrènent notre société au point de créer ce vide abyssal qui sépare les nantis encouragés à poursuivre et renforcer leur action nocive sur le monde, de hommes et femmes qui n’ont pas ou peu les moyens de bousculer l’ordre des choses. La violence de Mike Cervantès trouve son essence dans la lecture du texte de Miguel de Cervantès. Un homonyme qui partage comme lui la perte d’un bras, mais aussi et surtout celle d’une vie pas toujours tendre. Devenu adepte du donquichottisme, Mike mettra toute son énergie dans le démantèlement des injustices qui lui explosent en pleine face. Christian Lax nous mène sur un terrain inhabituel fait d’une critique acerbe de notre société contemporaine et de ses dérives affichées, laissant ainsi de côté, le temps de cet album, les récits historiques qu’il nous offre régulièrement. La mise en scène d’un héros qui pourrait ressembler à l’une des facettes cachées qui composent les hommes et femmes qui nous sommes. Les excès de Mike ne sont-là que pour mettre en lumière ceux d’une société construite sur des œillères si directives qu’elles ne permettent plus de croire qu’un autre chemin semble possible. Sur la forme Christian Lax construit son récit sur un noir et blanc nuancé de teintes rouges, bleutés ou verdâtres qui donnent un relief à une histoire qui prend littéralement aux tripes par le propos qu’elle renvoie et cette envie de bousculer notre confortable routine. Un album qui marquera les esprits. Prix 2015 de la rédaction MaXoE.       

Christian Lax – Un certain Cervantès – Futuropolis – 2015 – 26 euros

 

Entretien avec Christian Lax

 

Don Quichotte

Don Quichotte de Rob Davis – Warum (2015)

L’adaptation littéraire n’est pas l’exercice le plus facile qui soit. Il faut en effet vouloir s’accaparer l’œuvre pour, tout en lui rendant hommage, prendre un parti pris qui ne se résume pas en la seule paraphrase léchée des passages du roman original. Prendre un parti pris cela veut dire transcender l’époque, les personnages, voire les lieux pour garder l’esprit et un canevas qui, dans les moments clefs, nous rappellent à l’esprit de l’auteur qui, parfois quelques siècles plus tôt, à donner corps à une histoire singulière. Adapter Don Quichotte pourrait nous faire penser à l’alpiniste placé dans les derniers contreforts d’un sommet mythique et qui peine à atteindre la crête acérée qui lui tend les bras. Si loin, si proche. Tout le monde connait la trame grossière du roman de Cervantès. Pourtant l’adapter peut vite se révéler un piège. Surtout si l’auteur qui se penche sur le roman décide de suivre la trame tout en gardant les personnages majeurs et en les plaçant à l’époque où Cervantès les fait évoluer dans son propre roman. Partant de ce principe la question qui nous titille reste sans conteste de savoir où se cache l’originalité de l’adaptation de Rob Davis. Pour le savoir il faut vouloir rentrer dans cet album broché plutôt épais et se laisser porter par un narrateur plutôt déluré qui donne non seulement vit à cette histoire mais lui apporte ce côté tragi-comique et épique qui lui sied à ravir. Le dessinateur anglais n’hésite pas à emprunter des raccourcis pour densifier l’action et lui offrir un rythme qui s’accommode plus facilement du récit graphique. Tout comme il excelle dans le développement des histoires dans l’histoire, ces moments de pause qui donnent toute la sève au récit et qui, entre les mains de Rob Davis, deviennent des moments de pur délire, tout à fait dans l’esprit de Cervantès. Seul bémol qui caractérise la première édition épuisée de cette adaptation, un rendu des couleurs un brin terne dû à un papier qui a eu tendance à un peu trop boire l’encre. Problème fort heureusement corrigé dans la seconde édition qui vient de paraître et qui gagne un peps incroyable !  Un album incroyablement jouissif qui peut revêtir le rôle de porte d’entrée dans l’œuvre géniale d’un petit galérien manchot parvenu à s’extirper des geôles d’Alger et de Séville pour vivre une vie de misère et qui donna corps, au travers d’une imagination débordante à l’un des personnages mythique de la littérature mondiale…

Rob Davis – Don Quichotte – Warum – 2015 – 20 euros

 


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