Les enfants posent souvent de bonnes questions, de celles qui demandent un effort particulier pour y répondre de façon pertinente en contournant l’obstacle posé de manière inconsciente par le petit bout de chou. Les enfants peuvent aussi se faire fragiles et se murer dans un mutisme qui dénote que quelque chose ne tourne pas tout à fait rond. Entre innocence et douleur, les enfants, la famille au travers du regard du neuvième art…
La famille c’est cette histoire commune qui nous lie depuis l’enfance et où nos envies, nos passions, nos désirs se forgent et prennent corps. Le temps, la société, le monde du travail font ensuite leur office pour allonger le chemin qui nous ramène à des souvenirs devenus peut-être plus volatiles mais qui reprennent tout leur sens dans un lieu ou un contexte particulier. De vieilles photos compulsées, une vidéo captée quelques années auparavant, des mots débordants d’affect et d’émotion d’un aïeul aux yeux pétillants, des dessins d’enfants gardés dans une vieille male, des souvenances éparses partagées avec lui et elle et lui, toutes ces personnes qui ont marqués et marquent encore notre vie passée, présente et à venir, tout cela nourrit l’instant. La famille s’est affirmée comme plurielle au fil des siècles. A des époques obscurantistes succèdent toujours des moments plus calmes et plus sereins car rien ne changera le fait que chacun possède son histoire, et que de la diversité des expériences personnelles s’inscrit la richesse d’une société ouverte sur son avenir. Parfois il faut expliquer aux plus jeunes pourquoi sa famille est différente de cette autre-là. Cela demande parfois de choisir ses mots pour que l’explication soit suffisamment compréhensible de tous, mais le regard de l’enfant lui ne devrait pas changer sur ce qu’il voit ou ce qu’il ressent…
Avec Mes deux papas, Juliette Parachini-Deny et Marjorie Béal proposent un album jeunesse qui va à l’essentiel, expliquer que chacun peut avoir une origine ou un parcours différent. Les mots sont justes, le ton jamais virulent et l’esprit en adéquation avec son temps, celui où les vérités détenues et garantes d’une soi-disant moralité s’effacent dans la réalité, le rapport au concret, dans cette vie heureusement plurielle qui prend corps dans notre société. Une très belle manière d’aborder un thème encore sensible.
Juliette Parachini-Deny et Marjorie Béal – Mes deux papas – Des ronds dans l’O jeunesse – 2013 – 10 euros
Visiblement Joe n’est pas vraiment passionné par l’école… Peut-être que la contrainte d’apprendre avec une finalité encore trop diffuse dans une institution parfois trop cadrée pour lui permettre de s’épanouir lui a ôté tout goût pour les études. C’est donc en retard qu’il arrive chaque jour à l’école et pour cause, il refuse de prendre le bus qui passe devant chez lui pour couper à travers la forêt. Lorsque l’histoire débute nous sommes en plein hiver quelque part dans une petite bourgade enneigée d’Amérique du Nord et, comme à l’accoutumée, Joe ne prend pas le bus, il enjambe un grillage haut et s’engage sur le chemin qui le sépare du collège. Ce matin-là il croise un orignal, nom donné aux élans nord-américains, et l’instant de leur face à face fugace devient comme un symbole : la force et le calme réunis dans un seul instant… A peine arrivé au collège Joe est pris à partie par Jason, un de ses camarades, qui lui assène coups et réprimandes. Le sujet et posé, la violence scolaire ici déclinée dans tout son spectre, du racket, à la violence physique et psychologique.
Thématique difficile s’il en est, la violence scolaire a toujours existé et Max de Radiguès l’explore ici avec un regard porté sur ce qui se joue à sa périphérie, l’incompréhension, le refus de voir des adultes qui, même s’ils se doutent – ou devraient se douter – de quelque chose, ne voient pas dans le comportement de Joe quelque chose d’alarmant. Les professeurs, l’infirmière, les camarades de classe, la famille de Joe ne détectent pas le mal être de l’enfant et ce qui pourrait se jouer, poussé dans une situation extrême. Dans le récit de Max de Radiguès, Joe va trouver malgré lui une porte de sortie à son supplice qui le marquera au moins autant que le mal procuré par celui qui le persécute au quotidien. Le récit présente des faits avec cette idée de mettre devant leurs responsabilités ceux qui, pourtant garant de la santé et de l’épanouissement du garçon, n’arrivent pourtant pas à prendre conscience de la tragédie qui se joue. Le dessin va à l’essentiel : le sens sans surcharge, ni fioriture en lançant ce message simple et évident : apprenons à regarder, à écouter car même si nous sommes des acteurs passifs de ce qui se trame autour de nous rien ne doit nous laisser plonger dans la passivité…
Max de Radiguès – Orignal – Delcourt/Shampooing – 2013 – 13,95 euros
Les enfants, ça change la vie et les deux garçons qui composent celle qui nous occupe ici sont plutôt du genre suractif ! Les dénommés Têtard et Mini-Troll sèment ainsi souvent leur bonne humeur, leur passion communicative pour la vie et ses découvertes quotidiennes dans le foyer où une mère patiente, attentionnée et qui se prête au jeu, tente de parachever l’écriture d’une bande dessinée à laquelle il manque un titre… De situations cocasses, en fou-rires communicatifs nos deux têtes blondes délivrent un flot continu de joie sur le foyer où les deux parents font tout pour ne pas se laisser déborder. Et parfois cela peut s’apparenter à un défi de taille… Du réveil en passant par les repas pris en famille, les accompagnements à l’école, les rencontres de voisins faites dans l’escalier de leur immeuble, aux après-midi chargées devant la TV ou sur le tapis de jeu, chaque moment de la journée délivre son potentiel de surprises pour nos deux parents, des surprises qui donnent du sel à la vie et la teinte de couleurs souvent bariolées…
Avec cet album plein de pêche, Marie Pavlenko et Teresa Valero livrent une copie de très bonne facture. Construit à la façon d’un livre à sketches qui s’enchaînent avec une trame et des acteurs communs, We are Family se savoure de bout en bout. Le flot d’humour condensé en scénettes allant de quelques cases à une ou deux planches fait souvent mouche, il opère d’autant mieux que le texte trouve un vrai répondant par le dessin de Valero qui excelle dans le dynamisme et le rythme impulsé sur chaque plan. Humour donc mais pas uniquement car on trouve posé çà et là des moments de pure tendresse où les deux terreurs peuvent délivrer des mots à renverser leurs parents : Oh regarde, maman, le soleil allume les fleurs ou Maman, j’ai des petits frissons. Tu dois avoir froid lui répond la mère attentionnée, et l’enfant de rétorquer : C’est parce que tu es tout près de moi…
Un album qui apporte incontestablement un moment de fraîcheur. Maitrisé donc et tout plein de bons sentiments. Ceux qui auront été conquis seront heureux de lire sur la couverture qu’il s’agit d’un premier tome et la suite de cette série devrait s’avérer être tout aussi pimentée. Hautement recommandé !
Pavlenko/Valero – We are family – Delcourt – 2013 – 13,95 euros