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Une BD sous le bras : Le défi de la littérature…

L’écriture change souvent les vies. Par leur capacité à transposer dans des ailleurs foisonnants, les mots arrivent à nous faire oublier la morosité de quotidiens peu stimulés par le réel. L’évasion qui se joue sur les mots n’a d’égal que notre propension à imaginer ce qui se cache dans les zones d’ombres ou les destins magnifiés. Avec Une vie à écrire, Liman et Félix donnent à un anti-héros par essence les moyens d’accomplir son rêve et ça n’a pas de prix ! Alfonso Zapico quant à lui parvient à nous plonger dans le destin de l’un des auteurs européens majeurs du vingtième siècle, James Joyce, un petit bonhomme frêle qui devait défier son époque…

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1reCOUV UNE VIE A ECRIRE OK.inddSa reconnaissance ne devait peut-être pas quitter le cercle de sa campagne profonde. Billy Bob écrit des histoires à l’eau de rose, de celles qui font frémir la ménagère de plus de 50 ans qui voit dans ces destins de femmes ordinaires un moyen de croire qu’elle peut encore émouvoir son homme ou quiconque voudra. Une écriture simple qui va à l’essentiel et qui procure dans un rayon de 10 kilomètres à la ronde de quoi égailler des destins somme toute assez moroses. La campagne profonde américaine n’offre que peu l’occasion de briser le train-train quotidien, trop peu de déraison ou de vies à épier qui en valent la peine. Billy Bob l’a bien compris et s’adonne à sa passion de l’écriture avec une ferveur sans pareille. Et plus il rencontre de ces dames groupies de ses histoires, plus il pense qu’il pourra un jour tirer gloire de son don indéniable. Un jour il séduira Scarlett, celle qu’il aime en secret et qui lui parait pourtant comme un sommet infranchissable. Il faut dire que Billy Bob n’a pas grand-chose pour lui. Un physique ingrat dominé par sa vue bigleuse, un déhanché pas vraiment sexy et des manières qui n’émeuvent pas grand monde. Mais conscient de ses handicaps il misera sur son atout majeur, la croyance farouche et indéfectible en ce fait indéniable : un jour il sera riche en vendant son talent d’écriture et quoi de mieux que de se rendre à Hollywood où les fortunes se font souvent en peu de temps ? Oui mais voilà encore faut-il arriver à franchir les barrières qui se posent devant lui et ne pas perdre la croyance en son destin…

Avec ce récit poignant qui interpelle par les décalages permanents qu’il met en avant, la pauvreté du sud et la richesse d’Hollywood, la vaste campagne profonde et une micro-société repliée sur elle-même, la beauté adamantine des stars du cinéma et le cachet made in nulle part de certains illuminés croyant dur comme fer changer l’ordre des choses, Félix et Gautier-Liman arrivent à convaincre voire à nous faire croire aux possibles. Billy Bob sera l’un de ceux qui tireront du peu un destinée atypique dans une société du faux et de l’apparence. Même si l’affliction n’est jamais loin, elle rend touchant le destin de Billy Bob et le dessin d’Ingrid Gautier-Liman, tout en délicatesse, arrive à doper le récit. La description d’un Hollywood où domine le faux, ces destins couchés sur papier pour mieux stimuler un public avide de scoops, donne à Une vie à écrire une dimension sans doute cruelle mais tout aussi mythique. Une suite captivante à Hollywood Boulevard publié par les deux auteurs il y a maintenant quatre ans. Ou comment tirer le peu vers le haut avec cette capacité à faire vivre l’histoire, simple, mais ô combien essentielle !

Félix/Liman – Une vie à écrire – Grand Angle – 2013 – 18,90 euros

 

JoyceDifficile de reconstruire la vie de l’un des auteurs phares de ce vingtième siècle émergeant. Pas que l’époque soit moins propice au mythe ou à la description plus ou moins amère de destins somme toute peu connus de nous, pas que l’auteur lui-même soit fade et sans relief, mais cela oblige à une plongée intime et documentée dans la vie d’un homme qui, même si la vie présente un intérêt documentaire certain, n’était pas non plus celui qui devait détourner l’attention d’une époque frappée par la guerre – la première – et les peurs légitimes de l’entre deux. James Joyce avait un physique débonnaire, petit homme à lunette, d’apparence affable, propre à attirer à lui la confiance de tous. Sa mégalomanie littéraire, son envie de bousculer les codes, de renverser le trop bien-pensant, lisse et sans saveur, devait pourtant faire de l’homme un des esprits éclairés de son temps, profondément détestable et pourtant si attachant par sa capacité à nier le pire, à faire comme si chaque instant devait modifier l’ordre des choses. Auteur maudit en son temps, dont la signification des textes échappait à tous ou presque, il devait de ne pas finir dans le caniveau des littéraires oubliés qu’à la volonté farouche de quelques amis, devenant plus rares au fil du temps, et d’une éditrice qui aura tout misé sur la croyance populaire et celle des milieux littéraires à reconnaitre le talent de l’homme de Dublin.

Zapico s’attache à revenir aux sources. Dublin, un cercle, d’amis étudiants comme lui, puis la déclinaison d’une vie non austère mais peu propice à l’éclosion et à l’affirmation du talent de Joyce : voyages et déménagements successifs, attirance pour l’alcool, les beuveries qui en découlent et les femmes même si une s’accrochera à lui au point de lui donner deux rejetons qu’il s’appliquera à aimer avec les erreurs propres aux génies déconnectés de leur époque et de leur devoirs par trop avilissants. En juillet 1916 après bien des déboires, Harriet Weaver s’engage à publier A portrait of the Artist as a Young Man (Portrait de l’artiste en jeune homme), puis s’enchaîne l’édition nord-américaine de Dubliners en décembre de la même année. Il décroche ensuite en août 1917 un contrat pour la publication d’Exiles. En mars 1918, il reçoit le soutien financier de la millionnaire Rockefeller McCormick qui lui alloue une bourse de 1000 francs mensuels somme qui aurait dû le mettre à l’abri du besoin. Pourtant l’homme défiera la chronique pour faire de lui un destin profondément atypique qui voyait dans chaque instant de la vie le bon côté des choses. Rien ne devait l’atteindre sauf la santé mentale déclinante de sa fille, Lucia qu’il accompagnera et suivra dans les pires moments.

La biographie richement documentée de Zapico pourrait paraître bavarde par certains côtés elle repose pourtant sur le cœur du sujet à savoir l’histoire d’un homme, génie littéraire, de son entourage et de son époque. Le dessin se fait simple – passerelle vers le sens -, déchargé de certaines préoccupations pour coller à son sujet. Même si parfois les épisodes de la vie de l’auteur peuvent paraître répétitifs dans la description de l’excès, ils fondent ce roman graphique qui participe à révéler la genèse du talent d’un homme. Récit essentiel en ce sens qu’il donne l’envie de découvrir l’œuvre de Joyce !

Zapico – James Joyce : L’homme de Dublin – Futuropolis – 2013 – 27 euros

 


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