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Night Call
Une oeuvre aussi dérangeante que fascinante

NOTE DE MaXoE
8
VOTE DES LECTEURS
1 / 52 / 53 / 54 / 55 / 5
Lou Bloom parcourt les rues de Los Angeles à la recherche d'images chocs pour le compte d'une chaine de télé en perte d'audimat. Peu importe les conséquences de ses actes, il est prêt à tout pour arriver à ses fins.
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Quel est le point commun entre Fury, Gone Girl  et Interstellar ? A première vue, pas de connivence, si ce n’est que ce sont trois films américains sortis récemment, et dont la qualité a été largement reconnue tant par la presse que par les spectateurs.  Le premier est un film de guerre qui se situe dans le passé, le second est un thriller contemporain, et le dernier est une oeuvre de science-fiction futuriste. Mais un point commun les rassemble tous : la « rédemption ». Qu’ils mettent en scène des soldats ivres de vengeance, des médias qui violent la présomption d’innocence ou  les derniers instants de notre planète, ces trois films prennent du recul pour analyser notre société. A chaque fois, pas de leçon de morale, juste un constat sur ce que l’Humain était, est, et sera toujours.

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A travers les réseaux sociaux, les stratégies des grandes marques ou le secteur financier, l’apparence, la tromperie et la manipulation sont devenues des moeurs comme les autres. Désormais, le cinéma nous propose les protagonistes qu’on mérite. Et tant mieux, ça nous change des héros trop lisses, qui nous ont finalement rarement ressemblé. Pourquoi la recherche d’identification à un personnage ne se ferait-elle pas au travers d’individus imparfaits ? Des versions de nous-mêmes rongées par les dérives de notre société.

Le personnage moderne tend de plus en plus à être coupable avant tout. Coupable avant même d’agir, coupable d’être humain, coupable d’être présent sur Terre. Malgré leur culpabilité et ce besoin de rédemption, on les voit cependant se racheter, s’améliorer en trouvant des solutions positives et en évoluant psychologiquement au fur et à mesure que le film avance, mais pas forcément, pas toujours, pas ici, pas dans Night Call.

Il est temps pour le cinéma américain d’entamer un nouveau type de « Mea Culpa » introspectif en reconnaissant les failles d’un système qui a englouti les dernières miettes de morale et d’éthique qui restaient aux médias.

Voici donc Lou Bloom, le personnage qui représente les pires aspects de la société américaine, mais à lui tout seul.

 

 

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Night Call est un film unique et indescriptible. Mais paradoxalement, une liste d’adjectifs pourrait simplement le résumer. En voilà au moins quatre : dérangeant, malsain, fascinant, grandiose. Cette première réalisation audacieuse de Dan Gilroy se veut à contre-courant des autres films de sa génération. On peut adorer ou détester le caractère provoquant et immoral du film pour différentes raisons, mais il est impossible de nier qu’il ne laisse pas indifférent, tout comme la performance hors du commun de Jake Gyllenhaal.

A première vue, on ressent évidement la touche pop des producteurs de Drive sur certains aspects : le tournage réalisé de nuit dans les rues de Los Angeles, ainsi que le personnage solitaire et taciturne au volant de sa voiture américaine. Mais détrompez-vous, dans l’ensemble, le sujet traité est cependant bien différent du chef-d’oeuvre de Nicolas Winding Refn. 

Construit comme un thriller, l’intrigue est prenante et le rythme particulièrement dynamique. Vous êtes pris pendant deux heures dans un tourbillon d’action, d’adrénaline et de dialogues aussi loufoques que brillants. On observe aussi une réalisation irréprochable, un montage minutieux (effectué par John Gilroy, le frère jumeau du réalisateur). Au passage, le troisième frère, Tony Gilroy, produit le film. On peut aussi évoquer la superbe bande-son et le traitement de l’image qui donnent à la ville de Los Angeles cet aspect à la fois poétique et anxiogène. 

 

 nightcrawler-mr-2Mais tous ces éléments ne sont finalement qu’un cadre qui va servir à mettre en scène le pilier principal sur lequel repose tout l’intérêt du film : le personnage de Lou Bloom, figure fantasmagorique aussi haïssable que fascinante.

Interprété par un Jake Gyllenhall absolument grandiose, on est dès les premières minutes dérouté par le visage émacié de l’acteur, son regard vif et sombre, mais surtout ce sourire de sociopathe, à la fois malsain et charmeur, qui vous glace le sang.

Sans histoire, ni famille, ni amis. On en sait peu sur la vie de Lou, si ce n’est qu’il n’apprécie tout simplement pas la compagnie des autres humains. Sa misanthropie ne l’empêche cependant pas d’avoir compris mieux que quiconque comment maîtriser la manipulation mentale à outrance pour pouvoir arriver à ses fins, et cela peu importe les conséquences de ses actes. Un soir, il voit un homme filmer un violent accident et vend les images à une chaîne de télé. De l’argent facile pour un opportuniste tel que lui, déterminé à gravir les échelons en s’acharnant à la tâche. Mais s’acharner ne suffit pas, Lou est un homme de rigueur et de principes auxquels il est attaché. Dans son monde, tout se vend, tout se négocie, y compris votre intégrité, votre honneur ou même votre âme.

 

 

 

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Tout comme Barry Lyndon chez Kubrick, ou comme Chris Wilton dans Match Point de Woody Allen, Lou Bloom est prêt à absolument tout pour parvenir à être « quelqu’un ». Peu importe le nombre d’échelons, peu importe la difficulté, les concessions ou les risques, seule l’ascension sociale compte. Atteindre l’élite en étant parti de rien, c’est l’unique objectif, et gare à ceux qui barrent la route d’un nihiliste. Impossible ici de ne pas songer à la définition du Surhomme Nietzschéen : « Le surhomme est celui qui pense pouvoir transcender les limites morales communément admises, qui pense que sa volonté fait loi. » 

Et quoi de mieux que la cité des anges comme décor pour les desseins d’un Machiavel moderne, ville emblématique entre rêves et désillusions, là où tout est possible si l’on s’en donne les moyens. Los Angeles offre l’opportunité à Lou d’être ce qu’il est vraiment : un coyote solitaire qui erre la nuit dans les rues de la ville à la recherche d’une proie en train d’agoniser. Ces mêmes proies qu’il va marchander à celui qui sera prêt à payer le plus, pour acheter de la peur à revendre ensuite. Celle qui vous fera continuer de regarder ce même contenu absurde que les médias américains servent aux habitants de la ville pour mieux contrôler leur temps de cerveau disponible.

Plus cruel encore, sous le personnage de Nina, interprété par Rene Russo (entre autres la femme de Dan Gilroy) qui revendique et assume totalement sa dépendance aux contenus morbides, non seulement pour elle, mais surtout pour servir de carburant à une chaine de télé en perte d’audimat. Comme Gone Girl en avait déja brillament fait la critique, Night Call vient enfoncer le clou pour réaliser une personnification glauque et atroce des médias sous forme d’un leviathan qui vient compresser et manipuler l’esprit de ses consommateurs.

Adieu l’information, la satyre se veut ici destructrice et lapidaire à propos d’un système qui a vendu son âme il y a bien longtemps déjà.

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 La personnalité de Lou Bloom s’accorde parfaitement avec l’univers dans lequel il évolue. Un peu comme s’il n’était que le simple produit de sa génération. Doit-on finalement blâmer une personne qui ne souhaite que réussir et sortir la tête de l’eau ? Ses actes sont immoraux, mais finalement encouragés par un système qui le pousse à agir dans ce sens. Coupable ! A-t-on envie d’hurler, coupable de participer à ce chaos, coupable d’être présent, coupable d’être vivant, coupable avant tout, un peu comme nous tous finalement. Nous ne voulons pas ressembler à Lou Bloom, mais nous avons tous une part d’irresponsabilité, du fait de notre comportement latent face aux dérives de notre société. On le constate mais on continue de consommer ce qu’on nous donne, en pensant le faire avec modération. On nous impose une appréhension ambivalente du protagoniste qu’on admire et qu’on déteste en même temps. 

C’est ce qui fait de Night Call un film dérangeant et génial à la fois.

 

 

 

 

Crédit Images : Matt Needle, Paul Johnstone, Chris Malbon, Mark Reihill, Chris Thornley,Rachael Sinclair, Ben Holmes, Michael Lee-GrahamSamuel EsquireJanee Meadows and Tom Muller

NOTE MaXoE
8
VOTE DES LECTEURS
1 / 52 / 53 / 54 / 55 / 5

En interview, Dan Gilroy a résumé son film en une phrase : "On a fait le film qu'on voulait faire. Quelque chose de rare et de spécial." CQFD.
ON A AIMÉ !
- La performance de Jake Gyllenhall
- Film audacieux et atypique
- Thèmes abordés, réalisation, musique, atmosphère
ON A MOINS AIMÉ...
- Pas d'évolution du personnage, donc redondance parfois sur la mise en scène dont l'enchaînement des scènes peut paraître répétitif.
Night Call : Une oeuvre aussi dérangeante que fascinante.
Support(s) : Cinéma / DVD
Réalisation : Dan Gilroy
Scénario : Dan Gilroy
Casting : Jake Gyllenhall, Rene Russo, Riz Ahmed
Durée : 117 minutes
Genre : Policier, Thriller
Sortie en France : 26/11/2014
Sortie aux Etats-Unis : 31/10/2014
Musique : James Newton Howard
Distribution : Paramount
Production : Bold Films
Informations complémentaires / A noter : "Nightcrawler" en anglais.

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