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HeBDo BD (#14) avec Etunwan, Demi-sang, Requiem, Ekhö, Une vie, Anita…

Pour cette suite et fin de notre sélection de juin et juillet nous vous proposons le grand écart entre les récits enfants (Gaspard et Berlingot, Zoo Box) et adultes (Anita, Voyeurs) qui montrent le spectre qu’épouse le neuvième art en terme de genre. Nous vous livrons aussi les présentations de deux coups de cœur de la rédaction, à savoir Etunwan de Murat et Demi-sang de Hubert et Gatignol, deux récits qui poussent loin leur sujet et dénotent d’une maîtrise totale, chez leurs auteurs, de la manière de le livrer. Nous vous conseillons également de poursuivre les lectures des séries Requiem (tomes 3 & 4), Ekhö (tome 5) et Une vie (tome 2). D’autres récits viennent compléter cette ultime sélection d’été avant d’attaquer les nouveautés d’août et de septembre, lisez-les !

HeBDo 14 une

PsychonautesBirdboy parviendra peut-être à son but d’apprendre et de maitriser son vol qui, avouons-le pour un oiseau, même encore jeune, semble être un minimum syndical. Un matin plutôt beau et enchanteur il se lance de son nid pour effacer ses échecs passés et quitter définitivement son statut de looser. Mais Birdboy est rongé par la peur, une peur qui le contraint à n’envisager le grand saut qu’en se dopant auparavant de drogues qui vont l’aider à contrôler ses appréhensions, tout du moins le croit-il. Pourtant, et malgré les stimulants, aujourd’hui, c’est encore l’échec qui pointe. Dinky quant à elle est une souri comme il en existe tant d’autres. Sauf qu’elle cache en elle une terrible détresse qui fait qu’elle s’ennuie à l’école (ou plutôt que la normalité des autres enfants l’effraie et lui renvoie en pleine face ses propres troubles) et tarde donc à se lever. Lorsqu’elle y parvient c’est pour mieux faire tomber au sol son réveille-matin raccommodé de toutes pièces qui le sera encore et encore. A vrai dire, et nous le saurons plus loin, le mal profond qui la ronge provient de la perte de son père survenu dans un accident d’usine trois ans auparavant. Birdboy lui-aussi est orphelin de père. C’est peut-être ce qui réunira les deux jeunes enfants déboussolés qui vont vite se déscolariser pour se souder et apprendre à vivre avec ce qui les ronge et, pourquoi pas, se reconstruire…
D’Alberto Vazquez certains connaissent en France L’évangile selon Judas publié chez Rackham en 2010 qui est en réalité le second album de l’auteur. Psychonautes, son premier album, qui pose la marque de son univers si singulier n’avait jusqu’alors jamais été publié. Rackham s’y est donc attelé. Le cadre du récit ne déploie pas une gaieté des plus folles et le drame traversé par les deux héros, dopés aux cachetons, se fait un brin mortifère. Pourtant au fil du récit, et avec la connaissance du passé qui nous parvient de chacun, Vazquez nous donne les clefs pour comprendre la détresse de Birdboy et de Dinky. Il ne se contente pour autant pas que de cela puisque c’est son analyse fine des gens qui entourent les deux gamins, des gens de peu qui, du haut de leurs certitudes et de leurs petites théories croient tout savoir du destin passé et du futur forcément sombre de nos deux amis, que Vazquez nous présente ici. Le poids des préjugés qui sur le fond ne condamne que les faits sans tenter de percevoir de quoi ils sont la résultante. Pour nous donner à voir au-delà des apparences, et même si cet album reste sombre de bout en bout, le voyage dans l’univers troublé de Birdboy et Dinky vaut le détour.

Vazquez – Psychonautes – Rackham – 2016 – 17 euros

Zoo BoxSophie et Eliott vont passer la soirée seuls. Leurs parents, invités chez des amis leur donne les dernières consignes et une promesse bien alléchante d’une visite de musée le lendemain. Une fois les parents partis, Sophie, la sœur aînée propose à son frère d’effectuer une virée au grenier pour s’amuser à se déguiser et tenter de dénicher des vieilleries qui pourraient s’avérer bien sympathiques. Sophie déniche un costume de tigre tandis qu’Eliott s’habille d’un terrifiant habit d’ours. Le jeu commence et les deux enfants en viennent à découvrir une étrange boîte ronde sur laquelle est spécifié « Ne pas ouvrir ». c’est ce que feront pourtant les deux enfants et qu’elle ne sera pas leur surprise lorsqu’ils verront s’échapper de celle-ci une autruche bien réelle puis tout une arche d’animaux tout droit sortis d’un zoo improbable…
Berlingot et son fils Gaspard profitent des vacances pour partir tous les deux à la pêche équipés comme il se doit pour attraper des poissons qui composeront sûrement le repas du soir. Si l’enthousiasme est bien présent le jeune garçon avoue à son père au bout d’un moment qu’il s’ennuie un peu surtout que la plupart de ses copains sont partis vers des destinations bien plus exotiques : la haute mer à la découverte des baleines, un désert de sable chaud, un glacier sur lequel il est possible de skier en plein été, et bien d’autres encore, jusqu’à la lune a priori inaccessible et pourtant…
Gaspard et BerlingotZoo box et Gaspard inaugurent une nouvelle collection de l’éditeur Jungle. Destinée aux jeunes lecteurs de 4 à 6 ans les deux premiers titres se veulent susciter le goût des lecteurs pour la lecture de récits séquencés. La trame reste facile d’accès et les découpages bien marqués pour accompagner aux mieux les néo-bédéphiles. L’histoire elle, sur chaque album, est empreinte d’une petite morale ou d’une leçon de vie, d’un message à transmettre. Cette nouvelle collection propose, en plus de l’album proprement dit, des bonus accessibles depuis le site de l’éditeur qui permettent de compléter la lecture par des axes pédagogiques élaborés pour donner envie d’aller plus loin dans le récit qui vient d’être lu ou vers d’autres projets. Très belle initiative !

Vecchini & Sualzo – Gaspard et Berlingot – Jungle jeunesse – 2016 – 9,95 euros
Cohn & Steinke – Zoo Box – Jungle jeunesse – 2016 – 9,95 euros

EtunwanLassé de tirer le portrait de riches notables de Pittsburg ayant prospéré par leurs activités industrielles menées sur les territoires conquis aux indigènes amérindiens, Joseph Wallace, jeune homme de 33 ans décide de s’embarquer dans une mission exploratoire financée par le gouvernement. Le but de cette mission serait de cartographier et d’explorer de futurs territoires à conquérir, d’en estimer tout leur potentiel. A la différence des quelques convois qui se sont aventurés dans l’ouest profond une vingtaine d’années plus tôt, celui dirigé par le Docteur Walter brandit donc le sceau de l’exploration scientifique et a réussi à agglomérer à lui des chercheurs de tout poil, botanistes, topographes, naturalistes, minéralogistes, ornithologues, géologues ainsi qu’un photographe qui devra saisir sur plaque de verre les clichés des terres traversées, dans toute leur rudesse et leur dénuement. En cours de voyage Wallace se lie à un certain Herman Greenstone, ethnologue enseignant à l’université de Chicago qui lui ouvre une partie de son regard sur ces terres encore préservées. A son contact il apprendra la langue indigène, assez pour pouvoir comprendre et dialoguer avec les Sioux Oglalas dont il entreprendra, lors d’un second voyage, de photographier. Pour que les souvenirs restent intacts, qu’ils ne souffrent d’aucune altérité, l’homme, dès le premier jour, entreprend de consigner par écrit, dans un carnet de voyage, ce qu’il voit, ce qu’il ressent, pour donner du sens à ce voyage qui le changera à jamais…
Thierry Murat reste un auteur à part dans l’univers du neuvième art. Attiré par les grandes étendues préservées et solitaires (Les larmes de l’assassin, Le vieil homme et la mer…) il aime capter ce qui se joue dans l’espace-temps. Un temps qui ne possède pas forcément la même unité là où l’on se trouve, dans des contextes et des échanges si pluriels et si singuliers. C’est en tout cas ce que perçoit indirectement son personnage central, photographe exploratoire qui tente de préserver et consigner l’instant, non pas perçu au travers des vastes terres qui s’élèvent à l’ouest du Mississippi, mais au travers des personnages qu’il rencontre, des amérindiens Oglalas qu’il met en scène sur ses plaques de verre pour mieux leur donner corps. Si l’on met du cœur à l’ouvrage et si l’on fait preuve de sincérité, la séance de pose peut se teinter d’un naturel incroyablement vrai. Qu’est-ce qu’une image, sinon un fac-similé de la réalité ? Cela ne sert à rien de vouloir à tout prix représenter les choses telles qu’elles sont. Il faut les mettre en scène ; les sublimer. Si on se contente de retranscrire le réel, même dans le meilleur des cas, on n’obtient qu’une pâle copie des sensations que nos yeux ont perçues. Alors il ne faut pas uniquement montrer. Il faut raconter avec le regard. Etunwan, celui-qui-regarde vaut pour le choix esthétique de son auteur qui donne à voir des images figées dans l’instant qu’animent tout à la fois les pensées de son personnages, les dialogues des échanges qu’il entretient avec les autres membres de l’exploration ou les indiens qui rencontre, et la succession même de ces instants assemblés qui offrent toute la mesure du moment et le dimensionne à sa juste valeur. Le carnet en ce sens possède le ton de la restitution et de la raison, là où les images donnent à voir cette déraison qui opère une étrange mutation dans son esprit, comme si la perception du réel copier sur ses plaques de verre l’invitait pour la première fois à voir, à comprendre, à partager. Sa vie bien lisse et bien huilée, faite d’une femme aimante et séduisante, mère de deux marmots souriants, représente ce que la société de Pittsburg assimile à cette réussite personnelle dopée par une réussite sociale évidente (il œuvre dans la photographie, art en pleine mutation qui expérimente des techniques qui s’affinent chaque jour d’avantage et capte l’intérêt des plus hautes instances gouvernementales). Seulement voilà Wallace a goûté à cet instant fragile et pur de l’innocence première et il s’en voit transformé à jamais. Là où l’homme blanc ne porte qu’une attention éphémère et dénuée d’intérêt lui voit la richesse symbolique d’un moment qui se perd, et d’autant plus avec les désirs expansionnistes de la grande nation américaine…

Murat – Etunwan, celui-qui-regarde – Futuropolis – 2016 – 23 euros

Ekhö5Pour ceux qui auraient raté quelques épisodes, revenons aux grands principes de cette série maintenant bien engagée et à vrai dire très engageante qu’est Ekhö. Ekhö est un monde parallèle à celui que nous connaissons, il y ressemble assez fortement par certains aspects avec tout de même quelques variations notables. A savoir notamment que ce monde est peuplé d’être étranges, les Preshauns, de petits écureuils aux bougnes de peluches qui peuvent pourtant aussi muter en des créatures terrifiantes et sauvages, animées par une soif de destruction. Fourmille Gratule a été transportée dans ce monde sans vraiment l’avoir souhaité. Jeune femme au tempérament bien trempé, elle tente de savoir les raisons de ce « dérèglement » et ce qui est vraiment attendu d’elle. Alors peut-être pourra-t-elle avancer vers un avenir meilleur. Son transfert vers Ekhö a fait une victime collatérale en la personne de Yuri un jeune homme un poil grincheux avec qui elle traverse ce nouveau monde. Alors qu’ils viennent de quitter Barcelone avec pour destination Rome et le Vatishaun, où se trouvent les plus hautes instances Preshauns, Fourmille, Yuri et Sigisbert, un preshaun qui les accompagne dans leur épopée, profitent du luxe du Couine Marée II, un navire de croisière juché sur un calamar géant. A son bord ils vont vite faire la connaissance d’un pur romain issu d’une riche et influente famille, Francesco Castiglione Borghese, un dragueur invétéré aux yeux de Yuri, très visiblement attiré par les charmes de Fourmille, fort séduisante dans son étroit bikini. Fran, c’est son surnom, sera la porte d’entrée de nos amis dans le Rome version Ekhö. Un Rome très dense où se trame des choses bien mystérieuses, à commencer par la difficulté pour Sigisbert à entrer dans le Vatishaun…
L’aventure continue pour Fourmille et Yuri, qui ne savent toujours pas les raisons de leur présence sur Ekhö. Ce nouvel opus, le cinquième, va pourtant lever pas mal de secret sur ce qui se trame. Rome ville tentaculaire, où le pouvoir central des Preshauns possède son siège, reste aussi séduisant architecturalement que son homologue du monde connu. La Fiat 500 y possède son pendant tout comme le Vespa, et ses palais en pleine ville sont tout aussi marqué patr l’histoire et les ancêtres illustres qui y ont vécus. Arleston astucieux scénariste savait en attaquant ce nouveau chapitre de l’histoire de Fourmille qu’il fallait lâcher les cheveaux et révéler enfin quelques secrets bien cachés. Sans les déflorer nous pouvons vous dire que nous saurons tout sur l’origine de ce monde et sur la personne qui règne sur les Preshauns. Plus que cela Fourmille connaitra enfin les raisons de sa présence sur ce monde parallèle. De quoi redonner un coup de boost à cette série qui vaut aussi par le formidable talent graphique de Barbucci qui livre encore et toujours une copie quasi-parfaite !

Arleston & Barbucci – Ekhö T5 : Le secret des Preshauns – Soleil – 2016 – 14,50 euros

Rêve d’OlympeC’est une histoire comme il en existe tant d’autres. Le drame, la tragédie de l’exil. Quand l’espoir d’un ailleurs plus chaleureux, plus humain, plus juste et moins violent se dessine dans l’esprit d’hommes ou de femmes dont l’ambition reste encore de ne pas mourir à petit feu dans un pays – le leur – en qui  ils plaçaient tant d’espoir. Le fondamentalisme religieux, celui qui gangrène toujours plus les pays pauvres, notamment en Afrique de l’est, dans cette corne de l’Afrique jadis si fière et aujourd’hui si soumise au bon vouloir de milices armées, gagne peu à peu du territoire obligeant les plus courageux à la fuite. Samia Yusuf Omar est l’une de ces femmes. Une athlète qui a connu l’inestimable chance de représenter son pays aux Jeux Olympiques de Pékin en athlétisme sur 200 mètres. Une course, une seule, dont elle finira dernière mais non sans avoir conquis le cœur de ceux qui l’ont vu courir. Car l’important est bien ailleurs, dans cette envie de croire en la liberté de tous et au pouvoir de l’espérance. Cette expérience aura changé la vie de la jeune femme, mais alors qu’elle rentre dans sa Somalie natale, elle découvre chaque jour d’avantage le pouvoir et l’influence d’Al Shebab, un mouvement islamiste dont les objectifs sont l’établissement d’un Etat islamique et le jihad mondial. La pression que les milices armées exercent sur elle va la pousser à fuir vers une terre plus accueillante où elle pourra poursuivre son rêve de représenter encore une fois son pays aux JO de Londres. Elle se rend ainsi à Addis-Abeba où elle retrouve une tante, Mariam, qui va décider de faire le voyage avec elle vers l’Europe, où elle pourrait s’entrainer dans des conditions optimales et améliorer ses performances. Mais le voyage ne va pas être de tout repos et les dangers de plus en plus concrets…
Le destin tragique que dresse Reinhard Kleist de cette jeune femme en quête d’espoir ne peut que renvoyer son lot émotions et de questionnements. Les émotions se lisent dans cette volonté pour Samia de croire en son destin, de la voir espérer, à chaque étape de son voyage, atteindre enfin son but, et donner corps à ses rêves les plus fous. Les questionnements naissent quant à eux de cette incapacité, pour les grandes nations occidentales, à inverser la courbe des tragédies, à libérer des peuples entiers de l’oppression dont ils sont victimes et à trouver des solutions durables à la tragédie de l’exode. Un exode dont profite tout un réseau mal attentionné de passeurs qui fait son beurre de la détresse humaine. Réalisé par l’auteur en partie grâce aux posts facebook laissés par la jeune Samia, cet album ne vire jamais dans le pathos qui l’aurait desservi, justement car les émotions et les espoirs de cette jeune somalienne, nous rappellent que la liberté à bel et bien un prix, un prix bien différent en fonction du lieu où l’on réside…

Kleist – Rêve d’Olympe – La Boîte à bulles – 2016 – 17 euros

Une vie Winston Smith 2Eton marque à jamais. Cette antichambre qui « fabrique » les futures élites de la nation anglaise possède des travers remarquables mais aussi et surtout cette capacité à ouvrir les esprits, ce qui, dans le formatage ambiant d’une époque qui se contente bien souvent de reproduire les mêmes modèles, offre une singularité qui marque à jamais ceux qui en sortent. Winston Smith sait que la place qu’il a acquise à Eton n’est pas des plus justifiée. Mais il n’a pas vu le pire. Les premiers mois de son immersion à Eton sont ainsi marqués par cette peur constante de subir la loi du dernière année, un prénommé Bismarck, qui le bizute avec une régularité confondante au fil des semaines, comme le veut une tradition elle aussi toujours renouvelée. A la fin du second trimestre les résultats sont sans appel pour Winston qui, malgré une volonté bien réelle et un travail acharné, se voit occuper les derniers rangs du classement. L’échec dans les études, l’isolement qu’il subit, les brimades, cette impression de ne pas être à sa place pousseront le jeune homme vers des envies bien sombres auxquelles il résistera pourtant, peut-être en raison de l’amour profond et encore adolescent qu’il voue à Miss Wilkinson. Peut-être aussi en raison de l’arrivée à Eton d’un nouvel élève, Blair, qui le marquera à jamais par son attitude un brin nonchalante et par cette phrase prononcée à son intention à la première rencontre « Un conseil, oubliez le bachotage des profs, ne cherchez pas à leur plaire, vous perdez votre temps. Les gens brillants s’éduquent seuls ». Dans la construction du jeune homme qu’il est, l’enseignement n’est que l’une des mamelles de son évolution et au fil du temps son besoin d’affirmer son amour envers Miss Wilkinson occupe ses pensées, et ce jusqu’au besoin charnel…
Les années Eton sont peut-être celles où tout se joue pour Winston Smith. L’écrivain aventurier doit à ces années de formation la rigueur des grandes écoles anglaises mais surtout cette possibilité de croiser des personnes qui vont sculpter et orienter ses futures pensées et ses futurs actes. Blair, tout d’abord, compagnon de classe d’une grande maturité, Aldous Huxley ensuite, dont il suivra l’enseignement. Dans une Angleterre meurtrie par les premières salves d’une guerre meurtrière comme jamais Winston Smith grandira de ses épreuves, la mort sa mère qui, dit-il, ne lui procurera aucun chagrin mais aussi et surtout de ce rapport complexe et non sans conséquences qu’il entretient avec Miss Wilkinson. Christian Perrissin possède cette manière subtile de mêler une double narration, celle de l’instant dans des scènes et dialogues parfois et souvent incisifs, celle de la réflexion dans l’utilisation, au travers de pavés judicieusement choisis, de passages de l’autobiographie de Winston Smith. Le dessin et le découpage effectué par Guillaume Martinez garde cet aspect retenu très british avec cette volonté de rester au plus près du personnage central qui se construit au fil des planches et dont nous traversons l’histoire pour l’instant marqué par quelques épisodes tragiques. Le récit n’offre ainsi aucune lourdeur mais possède une incroyable force d’attraction, celle de découvrir un personnage singulier et en devenir…

Perrissin & Martinez – Une vie T 2 : 1917 – 1921, King’s scholar – Futuropolis – 2016 – 15 euros  

Demi-sangBien qu’il ne soit pas issu de la lignée légitime du roi, Yori, fils de la favorite du monarque qui domine les territoires nichés au pied du château des Ogres-Dieux, bénéficie d’un sort qui pourrait presque se lire comme enviable. Beaux appartements, éducation assurée par le précepteur officiel, celui-là même  qui enseigne aux fils légitimes du roi et une affection marquée de la part de son père. Pourtant la tension reste palpable entre les deux fils du roi et le bâtard du royaume, les premiers reprochant au second son statut issu d’une aventure de sa mère, qu’ils qualifient de simple prostituée, avec leur père. Un jour où la tension se fait des plus explosives, une bagarre éclate entre les deux turbulents princes et le pauvre Yori. Une bagarre qui n’est pas sans conséquences puisqu’elle entraine le départ de Yori et de sa mère vers les bas-fonds de l’illustre cité royale. Là, sans perspective aucune, ou si peu, Yori fomente sa vengeance et se promet secrètement d’accéder aux plus hautes fonctions en devenant chambellan. Pour cela il met en place un plan machiavélique n’hésitant pas à se prostituer pour s’attirer les faveurs de quelques femmes mures qui lui offriront le tremplin rêvé pour atteindre son but. Mais pourra-t-il y parvenir ? Et quels pourraient en être les dommages collatéraux ?
Dans l’univers des Ogres-Dieux construit par Hubert et Gatignol, Demi-sang nous narre l’ascension impossible d’un jeune illégitime du roi vers les plus hautes sphères. Yori possède une intelligence bien supérieure aux personnes qu’il manipule. Observant la faiblesse de chacune il brosse le poil toujours dans le bon sens, parvient à gagner leur confiance avant de les laisser chancelantes sur le bas-côté, dans une désolation incommensurable. De chaque nouvelle rencontre il gagne ainsi un peu plus de terrain pour tenter d’accomplir son but ultime. Avec ce second opus qui reste dans la droite ligne du premier Hubert construit et donne corps à un univers gothique qu’il densifie sans cesse. Pour cela il joue avec le support qu’il lui est offert et n’hésite pas à nourrir de longs textes à la prose assurée le grimoire d’un monde qui se révèle à nous dans toute sa dureté et sa démesure. Un monde où les Dieux ne possèdent pas cette aura qui pourrait leur être attachée. Masses informes, un brin dégénérés ils n’en n’imposent que par leur force physique, qui les rend capables selon leur bon vouloir et leurs caprices d’écraser comme des mouches les hommes bien insignifiants à leurs yeux, quand ils ne s’en nourrissent pas comme bouchées apéritive. Une série édifiante, soutenue par un dessin des plus immersifs, qui développe tout à la fois une esthétique propre et participe à une réelle densification des thèmes abordés. Notre bonheur est presque complet. Presque car nous attendons bien sûr la suite avec une faim d’ogres…

Hubert & Gatignol – Demi-sang – Soleil/Métamorphose – 2016 – 22,95 euros       

AnitaDelcourt poursuit son travail de réédition de l’œuvre de l’italien Guido Crepax. Après Emmanuelle, Histoire d’O, Justine, La Vénus à la fourrure, nous est ainsi proposée une intégrale d’Anita, troisième personnage féminin majeur construit par l’auteur après Valentina et Bianca. Trois récits ont été composés autour de cette femme envahit par une véritable langueur qui va se trouver happée, sans opposer de véritable résistance, dans des terrains de jeu sexuels des plus délurés. Pour cette intégrale Delcourt un inédit de 85 pages vient compléter les récits publiés jusqu’alors, pour tout savoir sur Anita… 
Peut-être parce qu’elle s’ennuie seule chez elle la belle Anita s’occupe en regardant la télévision qui diffuse des programmes propre à lui suggérer des envies d’évasion. Devenue addicte à ce média, la jeune femme va jusqu’à développer des fantasmes sexuels à partir des programmes qu’elle prend le temps de regarder. Prise au piège elle se voit peu à peu envahit par une fatigue destructrice qui lui vaut, le jour, à son travail, de ne plus être aussi attentive et précise que par le passé, ce que ne manque pas de lui souligner son patron… 
Le téléphone sonne et Anita décroche. A l’autre bout du fil on demande une certaine Valentina. Erreur ou plongée dans une aliénation progressive et délétère ?
Derrière son ordinateur Anita tape à longueur de journée des données pour la boite qui l’emploie. Un jour son patron lui confie une mission de la plus haute importance, choisir le nouveau responsable du bureau des ventes. Son patron lui indique que l’annonce qui a été publiée a donné lieu à un nombre impressionnant de candidatures. Des candidatures qu’il va falloir maintenant saisir sur ordinateur…
Anita de nouveau prise dans une frénésie de programme TV. La belle jeune femme ne parvient plus à contrôler sa télécommande et se voit projetée dans les programmes qui s’enchainent sur l’écran. Nue elle ne peut que se muer dans les décors et dans les corps des personnages qu’elle aperçoit pour quelques instants ou quelques minutes sur son écran… 
Guido Crepax avait ce don pour creuser les sujets a priori simples et louvoyer autour d’eux par l’entremise de ses personnages féminins. Ici avec Anita on sent une certaine critique de la société de consommation, et notamment de cette société qui en vit plus qu’à travers la technologie qui les happe et les perd au point d’en faire de simples objets malléables. Anita semble ici ne plus maitriser son corps, comme si elle perdait au fur et à mesure le contrôle, placé dans un univers qui tiendrait du psychédélique, comme l’illustre pour le coup de belle manière la couverture composée pour l’occasion. Lire Crepax est une vraie expérience de lecture et ses récits, les images construites, dans des déconstructions de formes, restent longtemps en tête après leur lecture. Essentiel !

Crepax – Anita (intégrale) – Delcourt – 2016 – 22,95 euros

VoyeursHoracio Altuna a pas mal roulé sa bosse de son Argentine natale jusqu’en Espagne où il bénéficiera de son image pour poursuivre la diffusion de son œuvre. Auteur courtisé par la presse, il est surtout connu pour ses strips ou ses histoires courtes. En 1991 il est engagé par le magazine Playboy pour des histoires de quatre planches qui seront un peu dans le ton de la revue, impertinentes, avec des chutes empreintes d’humour et d’un érotisme plutôt soft. Il réalisera en tout une centaine de récits dont une sélection nous est proposée aujourd’hui par Perspective Art 9. Pour vous mettre en bouche, je vous propose la présentation des trois premiers récits proposés qui dénotent de cette volonté d’Altuna de mêler humour et sexe, pour se détacher aussi et sûrement d’autres auteurs du genre.
Le match – Un homme sonne à la porte de l’appartement d’un couple d’amis et « s’invite » pour voir le match qui passe à la TV. Si l’hôte semble sûr de la victoire de son équipe et s’en gosse d’avance affalé dans son canapé, son « invité », lui, préfère voir le match de loin, attablé avec la femme de son ami. Et pour tout dire le match aura pour cet invité intrusif une autre saveur, celle de la femme gourmande et ouverte à toutes les propositions d’un ami bien trop préoccupé à soutenir des hommes courants derrière un balon… 
Les violeuses – Alors qu’il sort en boîte de nuit, un homme est reluqué de bas en haut par trois jeunes femmes entreprenantes. Il faut dire que la tenue de l’homme met particulièrement en valeur ses formes prometteuses. Les trois filles s’approchent de l’homme pour lui proposer de passer du bon temps à quatre mais il refuse en disant qu’il doit partir. Au dehors l’homme est menacé d’un pistolet et violé par les trois femmes, mais personne, y compris les policières auprès desquelles il est venu faire sa déposition après son agression, n’est prêt à le croire…
La Tombola – Un homme est accosté dans la rue par une femme au décolleté pigeonnant qui tente de lui vendre des tickets de tombola. L’homme semble à vrai dire assez peu intéressé par les tickets mais se révèle par contre bien plus attiré par cette poitrine très généreuse qu’il reluque avidement. La femme tente alors de lui vendre les tickets d’une autre manière, en exposant ses charmes, en laissant l’homme la caresser et en lui offrant une fellation gourmande. L’homme ainsi satisfait se retrouve à la tête d’un carnet entier de tickets tandis que la femme en échange reçoit un beau paquet de billets… Mais la surprise de l’homme ne s’arrête pas là…
Accompagné d’un texte de présentation qui se révèle une belle ouverture à l’univers d’Horacio Altuna, Voyeurs se clôt pas un sympathique petit cahier graphique. Un auteur à (re)découvrir et d’autant plus au travers de ses années Playboy !

Altuna – Voyeurs – Perspective Art 9 – 2016 – 20 euros

Requiem3Sur le front russe en hiver durant la seconde guerre mondiale, Heinrich combat avec une furie sans pareille et un goût du danger qui n’a comme pendant que son amour pour la belle Rebecca, la fille qui fait battre son cœur et à qui il prononce sans cesse qu’il l’aime. Un jour pourtant, alors qu’il revient du front son amie lui dévoile la terrible vérité : elle est juive. Leur amour va alors se transformer en haine, une haine si proche de l’amour total que les deux corps vont alors fusionner mais à ce petit jeu et avant que la Gestapo ne l’amène, c’est bien Rebecca qui contrôlait Heinrich. Sur Resurrection où Heinrich est devenu Requiem, le chaos règne comme jamais et le vampire qu’il est devenu doit faire face à une invocation des plus terribles en la personne du démon Charnel qu’il élimine aux côtés se son ami Otto. De loin Sabbat, un proche de Dracula observe Requiem qui lui rappelle étrangement, dans la manière de se mouvoir, un certain Thurim. Mais tout autre chose attise les pensées de ce microcosme d’horreur, la terrible bataille qui doit opposer les vampires aux lémures, une bataille qui fera se croiser de nouveau Heinrich et Rebecca…
Dans le camp de concentration de Kulbricht Rebecca a perdu toute sa féminité. Vêtue d’un simple habit de prisonnier rayé blanc et noir, ses cheveux ont été coupés courts et la jeune femme a perdu visiblement quelques kilos. Un officier SS s’approche d’elle et lui tire une balle en pleine poitrine. Le combat entre lémures et vampires se poursuit dans toute sa violence mais, et alors qu’Heinrich parait en difficulté, Rebecca refuse de l’achever, arguant l’amour éternel qu’ils se sont promis. Plus loin au cœur de la grande pyramide, Black Sabbat rend visite à l’Archi-Hiérophante et lui expose son souhait de renverser Dracula lors d’un coup d’état surprise. Surprise car le seigneur des vampires lui ne pense qu’à fêter sa victoire totale contre les lémures…
Requiem4En l’espace de moins d’un mois Glénat nous propose les tomes 3 et 4 de Requiem réédités sur un rythme plutôt rapide. A vrai dire la complexité de l’univers et des rapports entre les uns et les autres ne peut que donner raison à l’éditeur. Patt Mills donne à voir tout le talent d’un scénariste habité par son sujet. C’est sombre, avec peu d’espoir, et ce n’est pas près de s’arrêter. Le dessin d’Olivier Ledroit lui, se fait toujours aussi gothique, aussi précis dans le description de l’horreur, dans le détail des combats, dans l’expression des visages des monstres que sont devenus de l’autre-côté ses hommes et femmes que l’histoire oubliera peut-être au profit de leurs actes. Le dessinateur utilise la page sans restriction aucune, jouant des fonds perdus, d’un découpage hyper-dynamique et de teintes saturées de verts, de rouge qui viennent rehausser un noir pesant. Une série culte à redécouvrir d’urgence !

Mills & Ledroit – Requiem T3 & 4 – Glénat – 2016 – 14,95 l’un


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