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Moby Dick, Dans ma maison de papier, Les vestiges de l’aube & Au coeur des ténèbres… quatre adaptations BD décortiquées…

Deux classiques incontournables et deux contemporains enlevés, la littérature inspire la BD. Plus que jamais. Des passerelles existent depuis des lustres entre ces deux arts. Pour le dessinateur s’approprier le texte c’est aussi le réinterpréter, proposer sa propre lecture et donc forcément se mettre en danger. L’exercice oblige à respecter le texte original sans s’y enfermer mais aussi demande de proposer des échappatoires, des dérivations qui interrogent à nouveau sa portée. Quatre projets qui ne se cachent pas derrière leurs illustres aînés…

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Dans ma maison de papierSur une plaine désertique plongée dans un crépuscule insondable survient la mort. Perchée sur un fier destrier elle s’autorise à narguer les étoiles – ces astres dont on ne sait jamais s’ils sont encore pimpants et rutilants ou bien évaporés dans un espace intersidéral impalpable – en improvisant une petite chansonnette, histoire de se mettre du baume au cœur. Car le travail qui l’attend n’a rien d’enviable. Pas que retirer la vie soit difficile en soit, elle sait faire et plutôt bien et de manière efficace et redoutable. Mais chacune de ses interventions reste sujette à des complaintes plaintives, des lamentations qui pourraient paraître désuètes voire devenir de simples redites venant de ses sujets de prédilections. A vrai dire cela pourrait très vite la lasser, l’ennuyer. Jusqu’à quel point se doit-on d’écouter ces passés décomposés qui de toutes les façons se transformeront sous peu en des futurs sibyllins et opaques ? La grand-mère vit retirée de tout. Aucune âme généreuse ne se bouscule à sa porte pour venir partager ne serait-ce qu’un moment complice, lui parler, insuffler une force propre à repousser encore un peu le cavalier émérite. Pourtant, et alors que le bruit des sabots se fait plus prégnant à ses oreilles, la vieille femme voit surgir une personne dont elle avait oublié depuis longtemps l’existence et qu’elle ne pensait jamais revoir : la jeune fille brune au regard pétillant. Un jeu de question réponse va se jouer entre les trois protagonistes de cette histoire dont la fin est déjà écrite. Mais quel chemin mènera à cette inéluctabilité ?

Pierre Duba signe avec Dans ma maison de papier une adaptation fine et personnelle d’une pièce de théâtre écrite par Philippe Dorin au début des années 2000. Il conserve les mots intacts pour leur puissance émotionnelle et leur capacité à susciter l’interrogation. Puis, tel un alchimiste graphique, le dessinateur transforme la matière qui s’offre à lui en des mouvements qui pourraient paraître saccadés à la première lecture, mais qui, au fil du récit, font montre d’une interdépendance réelle avec les mots qu’ils supportent. Les uns nourrissent les autres et l’histoire se construit dans un équilibre fragile mais ô combien porteur de sens. La structure narrative cousue par Pierre Duba affiche tout du long les signes de l’intérêt de son auteur pour l’interpénétration de la forme et du fond, les deux se devant de signifier l’un par l’autre, l’un pour l’autre afin de laisser au lecteur des indices pour construire et alimenter sa propre perception. Un album qui ne laissera pas indifférent ceux qui décideront de s’y plonger.

Pierre Duba – Dans ma maison de papier – 6 pieds sous terre – 2014 – 25 euros

Entretien avec Pierre Duba

 

 

Moby DickSur des landes côtières baignées par les vents, un homme sac au dos, se rapproche de la ville. La neige drue qui tombe sur le port ne laisse pas l’opportunité de sonder le large. Le froid qui gifle et cingle son visage le convainc dès lors de se réfugier au chaud de l’auberge la plus proche. A l’intérieur, il se présente au tenancier et lui demande une chambre. Chose rare lui rétorque l’homme, au mieux pourrait-il partager le lit d’un harponneur venu des terres du sud qui s’adonne à la vente de têtes momifiées… Pas de quoi trouver un sommeil facile, mais Queequeg, l’indigène en question ne lui fera aucun mal, c’est du moins ce que lui certifie le patron de l’auberge. Devant ce seul choix le jeune homme acceptera de partager la couche de ce harponneur, tatoué de la tête au pied, qui fume le tomahawk juste à ses côtés. Le lendemain matin Queequeg indique à son compagnon de chambre qu’il recherche un bateau sur lequel s’embarquer pour aller pêcher la baleine. Le jeune homme lui aussi est venu pour découvrir du pays et, si possible, trouver un navire qui accepte de l’embarquer. Les deux feront un bout de chemin ensemble. La chose n’est pas facile mais la chance du jeune homme viendra finalement de Queequeg lui-même. Les harponneurs sont rares, tout du moins ceux qui peuvent se targuer d’une précision et d’un sang-froid à toutes épreuves. Queequeg possède ces deux critères qui font que, malgré le mystère et la méfiance qui l’entourent, il s’impose comme un homme envié et recherché. D’autant plus sur un bateau comme le Pequod dirigé de main de fer par un certain capitaine Achab, homme redouté au demeurant, qui aurait perdu une jambe lors d’un face à face terrible avec un cachalot. Achab capitaine obnubilé par une soif de vengeance guidera les deux compagnons vers un terrible destin…

Adapter Moby Dick d’Herman Melville peut s’apparenter à un véritable défi. Il faut pour cela retourner au texte et aux intentions de son auteur, qui, marin lui-même faisait de cette chasse à travers les océans un récit mémoire de ses propres navigations mais aussi et surtout un hymne aux dangers et à l’attraction que représentent ces interminables étendues d’eau. Moby Dick représente aussi et surtour cette lutte éternelle du bien contre le mal. Dans ce registre Chabouté excelle dans une mise en scène très personnelle d’une redoutable efficacité. Son intention n’est pas ouvertement de coller au texte mais de prendre des partis pris dans l’adaptation. Le sens du détail, de l’atmosphère et jusqu’au jeu de regards participent à cette mise en ambiance. Et le huis clos, sur ce premier volet de 116 planches, ne fait que s’instaurer… Une superbe adaptation qui en fait oublier d’autres…

Chabouté – Moby Dick T1 – Vent d’Ouest – 18,50 euros

 

Les vesiges de l'AubePour des milliers de citoyens américains la vie s’est arrêtée directement ou indirectement un matin de septembre 2001. C’est le cas pour Barry Donovan, jeune lieutenant de la police new-yorkaise qui aura perdu ce jour-là sa femme et sa fille. Deux ans plus tard l’homme se trouve habité par les fantômes de ses proches. Il vivote en se plongeant dans des enquêtes toutes plus crapuleuses les unes que les autres. En ce matin d’automne 2003, dans une des tours de la City qui s’élève au-dessus de l’Hudson, un homme tente d’arracher sa vie au tueur venu l’éliminer. Il est riche, travaille dans la finance et peut monopoliser très vite 100 000 dollars. Cette somme pourrait paraître énorme pour pas mal de petites frappes, mais l’homme au chapeau venu lui ôter la vie n’est pas de ceux-là, il se fait même mystérieux en lâchant une phrase hautement énigmatique : « Tu ne diffères pas de tes prédécesseurs mon grand… ». Et pour cause, l’homme fait partie des victimes d’exécutions perpétrées par un tueur que l’on pourrait croire en série si ses méthodes ne s’apparentaient pas à celles d’un professionnel…

Werner Von Lowinsky s’émerveille chaque jour de ce qu’il découvre du monde. La littérature, le cinéma et, tout récemment, internet, cet outil formidable qui permet de communiquer avec les hommes. D’autant plus méritoire qu’il a, si on peut le dire de cette façon, traversé les âges. L’homme est né à New York un jour de 1812 soit près de 200 ans plus tôt. Né d’une riche famille dont le père possédait une usine d’armement le jeune Werner pour une raison encore cachée est devenu vampire. Aujourd’hui il suit de près le jeune Barry Donovan qui lui apporte cette touche d’humanité qui lui faisait défaut depuis longtemps. Les deux hommes se rencontreront grâce à leur passion commune du cinéma…

Rencontre improbable entre un flic à la dérive et un vampire qui essaye de retrouver une âme. Les vestiges de l’aube se construit sur une trame qui captive d’entrée. Pour ses personnages profonds qui tentent de (re)donner du sens à une vie devenue bien terne, sans saveur, pour ce qu’il laisse de mystères s’épaissir au fil de la trame, pour cette envie de prendre une pause dans une ville qui se vit à 100 à l’heure. Le duo Barry Donovan/ Werner Von Lowinsky fonctionne à merveille et réserve encore des surprises dans un second tome à venir. Comment le jeune lieutenant prendra-t-il les révélation de son nouvel ami qui veut lui révéler sa véritable nature ? Adapté du roman de David S. Khara, connu pour avoir avant cela écrit ce qui deviendra un véritable best-seller, Le Projet Bleiberg, Les vestiges de l’ombre version BD fonctionne car il renouvelle peut-être un genre, celui des projets vampires qui fleurissent ici ou là à qui mieux mieux. Ici mêlé à une trame polar, le récit doit aussi énormément au travail graphique de Frédéric Peynet qui construit un New York tout à la fois identifiable et foncièrement singulier. Le choix des cadrages, la maîtrise de la verticalité, qui caractérise la City, et la perspective n’échappent pas au dessinateur. Une belle surprise !

Le Tendre/Peynet/Khara – Les vestiges de l’Aube – Dargaud – 2014 – 13, 99 euros

 

Au coeur des TénèbresCharles Marlow rêve de s’embarquer pour une destination lointaine et prendre ensuite la tête d’une expédition fluviale où l’aventure serait le maître mot.  A la société qui décide de l’employer il ne sait qu’une chose : il devra remplacer un certain Klein pour tenter de rejoindre Kurtz, l’homme devenu fort au sein de la compagnie, afin d’ouvrir de nouveau la voie sur le fleuve Congo et réactiver la pompe à fric. Une fois sur place il découvre malgré lui un pays dévasté, loin de l’image d’Epinal qu’il se faisait sûrement d’un pays ravagé par des relents colonialistes auxquels il n’adhère pas forcément, laissant à l’indigène une chance que peu lui ont donné. Le jeune marin se retrouvera pris dans une spirale qui le fera mener une réflexion sur la nature de l’homme et sa capacité à se laisser porter par l’insoutenable…

C’est en 1868 que Joseph Conrad, pointant du doigt le continent africain en s’exclamant « quand je serai grand j’irai là », exprime haut et fort ses envies d’escapades au loin, sa soif de connaissance du monde si peu connu qui se présente à lui. C’est par une scène similaire que s’ouvre l’adaptation d’Au cœur des ténèbres par Miquel et Godart. Le fils d’un directeur se trouve embarqué pour une déambulation fluviale sur la Tamise. A la question qui lui est posée par un curieux marin « Que souhaitez-vous faire plus tard de votre vie ? », le jeune homme ouvre un atlas et désigne fièrement une zone située à proximité du Golfe de Guinée.

L’immersion dans l’univers de Conrad est immédiate et l’ambiance développée par les deux auteurs reste suffisamment suggestive  pour nous transporter au loin. Nous suivons donc le périple de Marlow dans cette mystérieuse Afrique, continent de tous les dangers, de toutes les peurs et peut-être plus encore de toutes les incompréhensions. Les auteurs ne pouvaient épouser l’ensemble des thèmes développés dans le roman par l’écrivain anglais d’origine polonaise. Ils construisent donc leur récit sur le rapport des hommes à l’autre. L’autre c’est le sauvage, l’Africain qui surgit de derrière un buisson pour venir menacer ou provoquer le marin sur son bateau bringuebalant, l’autre c’est aussi le colon venu faire fortune sur des terres inhospitalières, regorgeant malgré tout de richesse comme l’ivoire, un colon qui a perdu les repères de sa propre culture pour devenir le colonisateur forcé, tout aussi sauvage que les peuples qu’il souhaite contrôler, un homme pris entre le bien et le mal, entre cette envie de porter la bonne parole et cette fâcheuse tendance à imposer sa supposée supériorité, l’autre c’est aussi et enfin la naïveté de celui qui débarque en terre inconnue et observe les relations qui s’établissent entre les hommes de manière critique et raisonnée.

Cet album fait écho au très dense Kongo de Perrissin et Tirabosco publié chez Futuropolis en 2013 et qui retrace, lui aussi de manière libre, le roman initiatique. A l’âpreté du traitement graphique qu’avaient choisis les auteurs de Kongo, Miquel et Godart répondent de manière peut-être plus classique, tout du moins dans le découpage, pour laisser le sens, porté par une narration qui laisse la part belle au récitatif instaurer un climat plus contemplatif dans lequel le lecteur se fera sa propre opinion de ce qu’il découvre de l’Afrique et des hommes qui la martèlent de leurs préjugés et de leur violence…

Miquel/Godart – Au cœur des ténèbres – Soleil/Noctambules – 2014 – 17,95 euros


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