Ah, le Dungeon Crawler… Ce genre de jeu, qui consiste à explorer un donjon en déplaçant un groupe d’aventuriers de case en case et en triomphant des embûches et des monstres, avait pour ainsi dire depuis la seconde moitié des années 90 et Ultima Underworld, en 3D et donc beaucoup plus immersif, du moins en théorie. Ainsi, ce sont les Dungeon Master, Lands of Lore, Eye of the Beholder, j’en passe et des meilleurs, qui entrèrent dans la légende du jeu vidéo.
Aussi, quand les braves scandinaves d’Almost Human ont annoncé leur projet, c’est toute la communauté des vieux joueurs qui s’est retrouvée au garde-à-vous, attendant l’objet de sa convoitise en expliquant aux jeunes combien c’était mieux avant (en exagérant à peine). Il faut dire que c’est cette même génération qui avait écrit les premières pages du jeu de rôle en expérimentant la célèbre recette « Porte-Monstre-Trésor » dans le premier Donjons et Dragons…
Et le voici donc, ce Legend of Grimrock. Et qu’il est conforme aux attentes.
Un groupe de quatre repris de justice reçoit, pour alternative à une exécution sommaire en place publique à base de décapitation généralement mortelle (sauf pour les zombies et autres liches mais ce n’est pas le sujet), la possibilité de sauver sa vie en étant jeté dans le précipice de Grimrock pour tenter de survivre au donjon qu’il abrite.
Voici donc votre groupe tout juste vêtu de toile de jute pour la pudeur abandonné dans un donjon hostile. Votre groupe, vraiment, puisqu’il vous sera possible de le configurer à loisir : race, classe, attributs, compétences, traits spéciaux. Si les attributs sont classiques, les traits spéciaux et les compétences, sans être originaux, sont nombreux et variés, ce qui permet de bien peaufiner son personnage selon son style de jeu. En revanche, avec 3 ou 4 visages prédéfinis par race, 4 races et 3 classes, le choix est déjà plus limité de ce côté-là… Ainsi, vous pourrez incarner un humain, un minotaure, un homme-insecte ou un humanoïde reptilien, qui deviendra guerrier, voleur ou mage. Et c’est tout. Bien sûr, les capacités spéciales vous permettront de configurer le groupe, ainsi que le choix des compétences, mais la relative austérité de l’éditeur de personnage laisse un peu sur sa faim.
Vous commencez donc dans le noir, sans autre recours que de collecter la première torche venue, et vous prendrez vite ce reflexe, pour avoir de la réserve, bien sûr, mais aussi pour vous repérer, tant un socle sans torche est un repère utile. Car le jeu peut, comme à la grande époque, n’être pas amical du tout. Ainsi, les vétérans se souviennent avec émotion des jeux de l’époque, où le joueur devait dessiner lui-même sa carte avec une feuille à carreaux et un crayon à papier. Et bien LoG leur propose exactement la même chose, en option puisque le jeu intègre une automap pour les moins teigneux. Relevons quand même, pour être honnête, que tenir une carte est long, et que tout le monde n’en aura pas le temps ni l’envie, d’autant que l’automap intègre un système de notes très intéressant.
Tout cela est bien gentil, mais vous êtes démuni et vous entendez distinctement des créatures grogner, glisser, siffler, baver. On peut d’ailleurs souligner l’ambiance sonore du jeu, aux bruitages bien choisis et aux musiques qui suivent l’action avec précision, alternant mélodies douces pendant l’exploration et grosse guitare en cas de combat.
Fort heureusement, vous finirez par trouver quelques armes pouilleuses et des cailloux pour vous défendre, et c’est là que Grimrock affiche sa seule différence par rapport aux jeux de l’époque : si le déplacement se fait de case en case, les combats se font en temps réel. Ainsi, vous pourrez, et vous devrez, tourner autour de votre adversaire, user de votre environnement tout en faisant bien attention à l’espace qui vous entoure, tenter de le poignarder dans le dos, vous écarter, l’attirer dans un piège, et la mobilité sera votre salut car soyons clairs : si vous êtes immobiles ou coincés, vous êtes morts. Et cela va vous arriver souvent.
Le jeu, en lui-même, n’est pas nécessairement d’une difficulté délirante, encore qu’au fil des niveaux on puisse subir de sérieuses fessées, mais certains pièges sont vraiment sournois, et les occasions de ressusciter ou soigner son groupe sont rares : les potions ne sont pas légion, et les cristaux de résurrection ne figurent qu’en un exemplaire à chaque niveau. La contrepartie, c’est qu’avec un peu de jugeote on peut triompher de monstres redoutables, à condition de bien observer chaque détail du donjon.
Car, en effet, que serait un tel jeu sans piège ? Sans énigme ? Sans interrupteur ? Un non-sens, et LoG l’a bien compris avec ses salles cachées dont le nombre augmente exponentiellement à mesure que l’on s’enfonce dans les profondeurs du donjon ( étant construit dans un pic, il est normal que la sortie se trouve en bas, je sens que vous allier pointer l’incohérence du doigt bande de sacripants), et vous retrouverez, avec plaisir, l’émotion que l’on pourrait résumer ainsi : « j’ai survécu au piège mortel/résolu l’énigme tordue/ vaincu le ou les énormes monstres surpuissants, je sens que je vais trouver un gros butin » et ça, ça, c’était vraiment l’émotion typique de ce genre de jeux. Sachez d’ailleurs que chaque niveau, à partir du deuxième intègre un trésor bien caché derrière une lourde porte…
L’autre point important, c’est évidemment la magie ! Le magicien, pour lancer ses sorts, doit activer certaines runes, comme sur un clavier téléphonique. Si certains sorts sont décrits sur des parchemins, il est tout à fait possible de trouver des sorts par hasard en testant des combinaisons de manière empirique. Reste néanmoins que la méthode n’est pas facile (un sort peut prendre plusieurs runes, et il y en a beaucoup) et que si vous n’avez pas la compétence requise, vous ne pourrez de toutes façons pas le lancer (mais le jeu vous dira quand même que vous tenez le bon bout, ce sadique).
De la même manière, l’alchimie requiert beaucoup de tests (et de gâchis) et les composants sont rares… En plus de cela, vous aurez parfois faim et, cerise sur le gâteau, vous devrez gérer votre encombrement… Finis les jeux où on passe tout, on pardonne tout et on explique tout : LoG a sorti le fouet, et ça va saigner !
Rassurez-vous tout de même, le jeu n’est pas là que pour vous sanctionner, encore que : il offre aussi un système d’expérience, évidemment, qui vous permettra de faire évoluer votre aventurier. Ainsi, votre soldat sera-t-il une boite de conserve géante ou un moulin à lames ? Votre voleur, un ranger ou un assassin ? Votre mage, de feu, de glace, ou autre ?
D’un point de vue esthétique, le jeu est tout à fait séduisant : jeux de lumière, donc d’ombres, bien travaillés, textures soignées, matériaux très réalistes, et l’interface, claire et agréable, ne souffre pas de gros défauts, même s’il vous arrivera de rater parfois une attaque suite à une fausse manipulation, mais rien de bien méchant. Qui mieux est, le level design est inspiré, et l’exploration en soi est déjà un défi.
Bref, l’expérience de jeu est prenante, d’autant que le jeu est long : vous pouvez compter une quinzaine d’heures, et même davantage si vous cherchez tous les secrets. En revanche, évidemment, le scénario ne casse pas des briques. Il y a une petite quête sympathique que l’on ne vous révélera pas, mais les amateurs de scénarios tordus et alambiqués ne seront pas à la fête avec un jeu de ce genre, qui l’assume du reste pleinement.
Notons, enfin, que non seulement le jeu est remarquable, mais en plus il est pourvu d’un éditeur d’aventures, qui permettra à des fanatiques d’alimenter votre jeu pendant des années avec des créations personnelles, comme dans Neverwinter Nights par exemple.