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Boracay : sable blanc et belle-de-nuit

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Tel un bienheureux, je m’enfuis de Séoul en fin de journée. Comblé de quitter le chaos urbain pour retrouver un Eden lointain. Sur le chemin de l’aéroport, par ce froid toujours aussi rude, je repense à cet adage philosophique très plaisant à mon goût  : « Des fleuves de lait, des rochers de chocolat et autres choses semblables… » L’idée d’un lieu utopique où tout travail est inutile car la nature apporte tout ce dont l’Homme a besoin.

Géographiquement, je n’ai aucune idée de l’endroit où je me rends si ce n’est qu’il s’agit d’une île située aux Philippines et qu’il me faut faire vingt heures de voyage pour m’y rendre.

Après un premier avion pour rejoindre Manille, où je dois patienter neuf heures dans un aéroport qui ne fait franchement pas rêver, je rejoins le terminal domestique qui fait vaguement penser à un gymnase scolaire. Humidité, bruit, ventilateur, bordel, odeur douteuse et militaire à fusils : pour l’instant ça craint, mais étrangement, je sens la plage qui se rapproche. Plus c’est long, et plus ça sera bon une fois les pieds dans l’eau.

Atterrissage à Kalibo dans un terminal vraiment à l’ancienne où on récupère ses bagages à l’air libre et où le personnel de l’aéroport joue aux cartes sur le tarmac et fume des clopes. La sortie de l’aéroport est ensuite burlesque : une cinquantaine de démarcheurs à pancartes vous attendent pour vous vendre le package « transfert en minibus et bateau pour Boracay« . Je choisis celui qui crie le moins fort et m’introduits dans un véhicule à côté d’autres touristes qui ont franchement des têtes bien soucieuses. Un type vient récupérer l’argent. Le prix est risible : 5 euros pour 1h30 de route et le transfert en pirogue.

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Une fois les taxes de 1 euro et 60 centimes payées pour avoir le droit d’entrée sur l’île, un petit bateau à moteur m’attend pour enfin rejoindre mon paradis promis. De là, il faut prendre un tricycle : il s’agit d’une moto accrochée à une boîte en fer qui roule où l’on peut placer de un à dix humains (ou bien des animaux de ferme). Le nombre d’humains et de bêtes transportables dépend du nombre de clichés sur le tiers-monde que vous souhaitez accumuler. Sachant que deux personnes qui veulent se rendre à la plage, c’est le niveau 1. Mais si le conducteur embarque ses deux cousins, sa mère, trois écoliers, deux ouvriers et leur matériel, une péripatéticienne, un fermier et ses deux cochons, c’est le niveau 10. Quoi qu’il en soit, il s’agit du seul moyen de transport de l’île. Personnellement, j’ai trouvé ça ludique et fort économique. Les chauffeurs sont sympathiques et souvent aussi ivres que vous, ce qui permet de créer des conversations intéressantes avec les gens du pays.

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Après une centaine de marches, j’arrive enfin dans le lieu que j’ai choisi en espérant qu’il soit conforme aux photos que j’avais pu voir sur le site internet. Profitant d’un billet d’avion à un prix dérisoire et d’un coût de la vie sur place très peu onéreux, j’en ai profité pour forcer un peu sur la qualité du logement. En effet, je jouis d’une vue fantastique sur les environs et la chambre se veut agréable après une rude journée de plage à rien faire.

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Seul point qui peut s’avérer problématique et anxiogène : chaque soir, je suis attaqué par la faune locale lorsque je gravis les marches. Énorme crapaud belliqueux, bernard-l’hermite de l’angoisse et chiens errant en tous genres. N’ayant pas fait le chemin une seule fois sobre de nuit, je me suis souvent retrouvé à affronter, en sueur, toutes sortes d’espèces rampantes et obscures dont j’ignore encore le nom et l’aspect véritable.

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Après avoir défait ma valise et plier convenablement chacune de mes affaires -tel le maniaque que je suis- je fonce avec enthousiasme vers la plage. Une fois arrivé, je cours dans l’eau turquoise comme un attardé. D’un seul coup, les vingt heures de voyage, mon début de migraine et à peu près toute forme de négativité qui aurait pu se trouver en moi disparaissent pour laisser place à un sentiment puissant de plénitude et de bien-être absolu.

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L’odeur du sel, le soleil qui me caresse le cou et le sable sous mes pieds me font sentir à la fois vivant et amorphe. Je reste près d’une heure à flâner tel un nénuphar, puis je m’approche du bar le plus proche pour pouvoir observer le coucher de soleil qui s’avère un moment inoubliable. Lorsque la boule de feu vient enfin embrasser l’eau, il n’y a plus un bruit. Le temps d’un battement de cœur, touristes et autochtones observent un doux moment de contemplation éphémère le temps de voir disparaître complètement la toute dernière lueur solaire.

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Un serveur me conseille la spécialité locale, une énorme noix de coco avec un demi-litre de rhum à l’intérieur. Normalement, je ne suis point amateur de ce genre de saveur, mais l’idée de boire dans un fruit tropical me fait bêtement envie. Finalement, il s’avérera que je n’ai pas fini une journée sans m’enivrer de cet hydromel de qualité, qui transforme votre lassitude en plénitude.

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Inutile de décrire ensuite jour par jour l’ensemble de ce séjour puisque les journées furent toutes les mêmes. Un rituel bien précis a d’ailleurs rapidement été mis en place et cela dès le lendemain de mon arrivée : 

– 14h : réveil (pour être bien reposé.)

– 15h à 16h : direction un restaurant de fruits de mer au bord de l’eau avec au menu : crabe, langouste, petite crevette, grosse crevette, crevette improbable, etc. Avec un ou deux cocktails en plus, cela dépasse rarement les huit euros.

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– 17h : baignade dans l’eau de la « white beach », un bandeau de sable blanc de trois kilomètres de long. Ou bien la meilleure des options secrètes de l’île : la plage privée de Baling Hai, où il suffit de dépenser dix euros pour manger un festin et se reposer au paradis.

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– 18h : observation du coucher de soleil avec plusieurs cocktails dans le sang, et cela peu importe l’endroit.

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– 19h : après un repos bien mérité, retour à la chambre pour une douche et éventuellement une deuxième sieste.

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– 21h : repas où je recommande personnellement un hawaïen burger pour reprendre des forces.

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– 22h : fête toute la nuit dans les divers clubs de l’île tous aussi ringards les uns que les autres mais pas moins divertissants pour autant.

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– 6h : bain de minuit pour décuver les dix planteurs punch absorbés. 

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– 7h : décliner gentiment l’invitation des deux ladyboy qui veulent vous faire des massages. Rentrer ensuite se coucher sans mourir en tombant dans les rochers.

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– 8h : faire de beaux rêves alcoolisés et songer à la journée du lendemain qui sera exactement la même.

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Un programme absurde, prétentieux et bien pathétique diront certains. A première vue, c’est exact. En effet, ces dix jours ne furent pas un programme très intellectuel. A part boire, manger, dormir et faire la fête, je n’ai globalement rien fait qui pourrait demander le moindre effort culturel à mon cerveau. Cette démarche ne me ressemble pas mais j’ai pourtant ressenti de manière coupable un véritable besoin de varier ma manière de voyager. Après avoir tenté pendant plus d’un mois d’observer, analyser et comprendre la culture japonaise et passer dix jours en Corée à me familiariser avec des gens de tous les environs, j’ai finalement songé à profiter d’une semaine d’inactivité culturelle totale. 

Et finalement, ça m’a énormément apporté. Au lieu de passer mon temps à observer autrui, j’en ai profité pour m’observer et faire le point sur le quart de siècle que j’ai vécu. ‘Faire le tour du monde, c’est avant tout faire le tour de soi-même’. Qui ai-je envie d’être ? Qu’est-ce que j’ai envie de faire à mon retour ? Dans quel genre d’environnement j’ai envie d’habiter à long terme ? Et toutes sortes de questions auxquelles j’ai pu apporter des débuts de réponses plus précises et qui me donnent actuellement une certaine  satisfaction plutôt apaisante. 

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Dans toute forme d’inactivité apparente, il y a en réalité une volonté éternelle et abstraite de questionnement sur notre propre condition. Il n’y a point d’ennui lorsqu’on pousse notre cerveau à contempler le monde qui nous entoure et ce que nous sommes. Ainsi, lorsqu’on me demande si « Tu t’es pas fait chier à être à la plage toute la journée à rien foutre ? », je réponds que non, car l’ennui est quelque chose de sublime et d’appréciable lorsque l’on apprend à se connaitre et à vivre en paix avec ses désirs, ses craintes et ses questionnements. 

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Mais passons sur les réflexions psychologiques rébarbatives, vaniteuses et pompeuses que je me plais toujours à développer dans mes écris comme à l’oral. Même s’il est évidemment impossible pour moi de décrire quelque chose de pertinent sur ce formidable pays (n’ayant vu que Boracay pendant quelques jours), j’ai cependant eu le temps de rencontrer des Philippins qui m’ont fait partager leur culture et j’ai tout de même, finalement, un peu observé mon environnement… 

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Pour présenter Boracay, il est indispensable de faire une introduction dans un style « Bernard de la Villardière ». Tout simplement parce que l’île est faite sur-mesure pour ce genre de reportage à la con : « A quelques heures de Manille, la capitale des Philippines, nous allons vous plonger au cœur d’un endroit étonnant : soleil, noix de coco et fête jusqu’au bout de la nuit, Boracay fait le bonheur des touristes du monde entier. Mais derrière un commerce bien juteux, se cache en réalité un côté bien plus sombre : prostitution, drogue et corruption, l’île paradisiaque regorge de secrets bien gardés. Nous avons rencontré Fabrice, un Français qui a tout quitté pour ouvrir son business à l’étranger.

Palmiers, parasols et prostitués, Dimanche soir sur M6, Enquête Exclusive investigue pour vous sur Boracay et ses secrets. »

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Voilà, globalement, c’est à peu près à ça qu’on peut résumer vulgairement Boracay : des plages paradisiaques très bien conservées, de la fête et un tourisme sexuel implicite et en même temps complètement intégré dans les coutumes locales. Les Philippines, c’est 7107 îles dont 2000 seulement sont habitées. A savoir que 2400 îles n’ont toujours pas reçu de noms. Comme quoi, on peut encore explorer des endroits encore assez inconnus, même en 2015.

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Les Philippines offrent, sur tous ses aspects, une diversité absolument hors du commun. Même si le pays émerge légèrement grâce à l’agriculture, le niveau de vie n’en reste pas moins très pauvre pour la majorité des habitants. La route qui part de l’aéroport pour aller jusqu’au bateau rappelle d’ailleurs le tiers-monde à chaque instant : infrastructure vétuste ou inexistante, maison en tôle, eau non potable etc. (à titre d’exemple, voir la station essence ci-dessous.)

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Boracay doit son essor à un tourisme qui croit de manière exponentielle. Elle se veut donc une des îles les plus chères des Philippines, et cela même si le coût de la vie reste extrêmement faible pour les Européens. Parmi tous les attraits que possède l’île (entre autres le climat idéal, les nombreuses activités nautiques, la  vie nocturne, la délinquance et la criminalité quasi inexistante, le prix très bas et le calme absolu qu’offrent certaines plages), l’une des raisons qui attirent un certains type de clients est plus implicite : le tourisme sexuel.

Un soir, je décide de m’intégrer à une bande de Philippins originaires de Manille. Ils travaillent tous dans la même société d’informatique et sont venus faire la fête pendant quatre jours. Une personne du groupe est originaire de l’île et veut absolument me présenter ses amis français qui habitent ici et ne sont jamais retournés en France depuis. Le lendemain, je fais alors la rencontre de Nico et ses amis qui vivent ici à l’année. Etant donné le profil cocasse et intriguant de ce petit groupe, je décide de m’intégrer à eux pour la soirée, qui s’avère aussi distrayante que glauque.

Le Français a 25 ans et est originaire du Sud de la France. Il travaillait dans une banque et à décider de tout plaquer après avoir passé des vacances ici. Il se veut particulièrement négatif et pessimiste en ce qui concerne la conjoncture, l’économie et la politique française. Même si dans l’ensemble, son discours manque d’argumentation et de cohérence, j’arrive à peu près à voir où il veut en venir. Pire encore, je suis plus ou moins d’accord avec lui. Pourquoi se faire chier à chercher un taff à la con en France alors qu’une vie de rêve nous attend à l’autre bout du monde pour quelques euros ? Nico est prof de pongée à Boracay et ça lui va très bien. Ici, personne n’est là pour le juger, sa vie est simple et douce. Il plonge la journée, boit avec ses potes le soir, et baise la nuit. CQFD.

Le prix à payer pour cette oasis de rêve ? Son âme bien-sûr.

Nico a le regard vide. Et pas uniquement à cause de l’alcool ou de l’oxygène des bouteilles de plongée qui lui attaquent le cerveau. Non, Nico a le regard vide car il n’a plus la notion de rien. Les derniers repères qui lui restent sont les noms, l’âge et le prix de chaque prostituée de l’île. Nico n’est pas forcément quelqu’un de mauvais, mais il s’est juste égaré dans un paradis illusoire qui le bouffe de l’intérieur. Ce soir-là, après pas mal de verres, dans un bar réputé pour être le centre névralgique du racolage (et par ailleurs reconnu pour ses très bonnes pizzas), il m’attrape par le col et me dit : « Tu vois les quatre filles là-bas, c’est quatre sœurs, la plus jeune a 17 ans et la plus vieille à 28 ans. Tu peux te taper celle que tu veux, elle sont toutes bonnes et elles n’ont pas de maladies en plus. Si t’en choisis une pas de soucis je t’arrange le truc, mais juste lui donne pas en dessous de 10 euros, je connais bien les parents, je déjeune chez eux le dimanche. Au-dessus de 10 euros c’est cool, mais si tu lui donnes moins je préfère pas te la présenter ».

A la moitié de la phrase, je pensais encore qu’il plaisantait, mais ce n’est que quelques instants plus tard que j’ai compris qu’il était sérieux. Lorsque son ami, qui ne parlait pas un mot d’anglais, lui demanda de l’aide pour dialoguer avec une des filles, Nico arrangea le coup et son ami disparu avec une des sœurs quelques minutes plus tard.

Les basses de la sono crachent et les énormes ventilateurs déplacent l’humidité entre les cent personnes de la salle qui dansent inlassablement sur la même musique tous les soirs. Un peu plus loin dans la salle, je croise un Américain obèse d’une soixantaine d’années qui se frotte ignoblement à une fille qui paraît en avoir seize. Je le recroise d’ailleurs tous les jours de la semaine à des endroits différents de l’île, toujours dans le même genre de contexte.

Idem pour Nico et sa bande, qui avait l’air de répéter les mêmes mouvements et les mêmes phrases aux mêmes endroits « Meeecc ça va ou quoi ?! Mec là on est mmort tu vois, on va aller dans l’autre bar, on va se niquer la tête et après on va baiser ! Viens ça va être cool ! Pourquoi t’es partis d’ailleurs la dernière fois ? » 

Pourquoi ? Car même si ces individus me divertissent beaucoup par leur simplicité d’esprit (et sont des sujets intéressants pour étudier les dégâts mentaux que peut faire le mal du pays sur un humain), la prostitution, peu importe son cadre ou son contexte, est une pratique que je trouve abjecte. Peu importe l’endroit ou le prix, je trouve que le fait de faire de l’acte sexuel quelque chose de monnayable est absurde, destructeur et malsain. Profiter du fait que les filles de l’île n’aient pas le choix d’en arriver là pour vivre est une chose. Argumenter et se dédouaner sur le fait que cette forme de prostitution est normale et logique car ça fait vivre le tiers-monde est un comportement encore plus douteux.

Quelques jours plus tard, je parle avec Rochelle,  qui est originaire d’une petite île inconnue de l’archipel et est venue à Boracay afin d’être vendeuse pour un projet immobilier sur l’autre versant de l’île, encore peu développé. Rochelle, comme de nombreux Philippins, est catholique (très) pratiquante et a tendance à faire des parallèles avec Dieu et Jésus toutes les deux phrases. J’aborde donc le sujet de la prostitution et lui demande son avis à ce sujet.

La réponse est amère : « Je sais comment ça se passe, et je suis bien consciente de cet aspect de l’île. J’ai vu la progression du tourisme sexuel se développer année après année. Tu sais, moi je ne ferai jamais ce métier. C’est pour ça que je travaille comme une acharnée douze heures par jour, pour ne jamais avoir à me retrouver dans cette impasse. Je respecte ces filles, car elles n’ont pas une vie facile et gardent encore le sourire, mais je ne pourrai jamais continuer de vivre en ayant perdu mon honneur. Je ne pourrai pas l’accepter, même si j’étais au bord du gouffre financièrement. »

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Sable blanc et belle-de-nuit, tel est le souvenir que j’ai aujourd’hui de cet endroit bien plus charmant qu’un simple spot touristique. Boracay renvoie à ce qu’on a envie de s’imaginer sur les destinations paradisiaques. Mais vivre dans un rêve demande de perdre toute notion de la réalité. L’idylle et la fuite sont tentantes, certes, mais les coquilles vides que vous trouverez là-bas vous passeront l’envie de vous y échouer indéfiniment.

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Cependant, pour le repos de l’âme et du corps, il devrait être prescrit médicalement d’y séjourner au moins une semaine dans l’année. Pour cela, il suffit d’enfiler ses lunettes de soleil à vision limitée. De préférence celles qui effacent le vice et la turpitude du panorama. Rien ne sert de se mentir, un touriste est toujours de mauvaise foi lorsqu’il s’agit de se reposer. Et ce n’est pas le fait de constater une vile vérité qui vous empêchera de profiter de votre journée.

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Merci beaucoup si vous avez suivi cet article jusqu’au bout. Je suis conscient de ma tendance à écrire des contenus souvent longs, mais c’est une volonté personnelle de ma part pour restituer au mieux ce que je vis.

A suivre, la suite des aventures au Vietnam et à Singapour !


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