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La BD du jour : La vase noire dans l’œil nuit de Florian Huet (Bicéphale)

Dans un récit sombre, où la mort se lit dans des interstices toujours plus béants, des enquêteurs se démultiplient pour débusquer un début de piste noircissant des calepins que l’on devine griffonnés de toutes parts. Simple polar ? Non car ce qui marque à la lecture de ce récit, c’est l’absence de visage des protagonistes sur chaque case-planche. Par ce biais, Florian Huet interroge le médium pris dans ses habitudes de narration et de représentativité.


Une vaste maison abandonnée dans une campagne, à la nuit tombée, offre au regard du passant une rare lumière qui transparait de l’une de ses fenêtres. Une enquête est en cours. Les enquêteurs interrogent, collectent des indices sur des scènes de crimes qui se multiplient. Sous un pont, une plage, au bas d’un escalier d’une vaste résidence. Les points de vues se confrontent et se mêlent…
Le langage de la bande dessinée passe par ce rapport admis à la perception d’un espace, d’un temps et de personnages. Des personnages qui, par leur gestuelle, mais aussi et surtout leur perception de ce qui se joue dans chaque scène, transmis par leur expression du visage, donnent au lecteur les indices suffisant à sa perception d’une vérité. Le concept de visagéité interroge depuis toujours. Si Gilles Deleuze et Félix Guattari l’ont théorisé dans un ouvrage fondateur, Mille Plateaux, le concept travaille les créateurs visuels, en référence ou pas avec les propos développés par les deux penseurs. Dans Z32 par exemple le cinéaste Avi Mograbi donne la parole à un jeune soldat israélien qui avoue avoir participé à une action de représailles conduisant au meurtre d’un Palestinien. Le soldat souhaite témoigner à l’écran, mais sans être reconnu. Le travail du réalisateur passe donc par la nécessité de cacher (le visage) sans nuire à la force de ce qui est révélé, d’où l’utilisation d’un masque numérique.

Florian Huet dans La vase noire dans l’œil nuit, s’attaque à ce principe de visagéité dans un récit où les personnages voient leur visage remplacé par une forme noire dessinée en haut du tronc. Sans visage le regard du lecteur cherche d’autres indices à la signifiance, d’autres perceptions, pour traduire l’image qui lui parvient de la planche. Le média de la BD se voit ainsi « bousculé » dans ses habitudes. Bande dessinée en case-planche, personnages sans visage, anonymisés, textes déconnectés, gagnant l’espace de la planche jusqu’à effacer le dessin… Le dessinateur pose ainsi un regard sur le médium en s’attaquant aux évidences admises et institutionnalisées. Il ouvre une piste nouvelle pour repenser la perception. Une perception qui se doit d’être toujours dérangé, questionnée, pour ne plus offrir au lecteur un accompagnement narratif lénifiant. En trente-deux petites pages, Florian Huet jette un pavé dans la marre. Son album se couvre d’une certaine forme d’urgence dans une société qui oublie chaque jour davantage de penser la forme et le sens.

Florian Huet – La vase noire dans l’œil nuit – Bicéphale


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