Une motarde délurée qui tombe amoureuse d’un homme minuscule trouvé dans une grange isolée. La trame de ce nouveau récit de Christophe Blain pourrait paraître un tantinet azimuté. Pourtant le texte pétaradant fait mouche. On peut le découvrir, interprété façon bande-son d’un vieux western, entrelacé de chansons interprétées par Barbara Carlotti sur une galette placée en troisième de couverture. Ce livre-disque surprenant qui offre une lucarne de fuite par son traitement original se délecte au fil des pages, s’écoute et réécoute avec le même plaisir. Bref il devient objet de dépendance !

La fille ne porte pas de nom, elle est la fille, cette grande gigue aux seins trop petits et aux côtes apparentes. Un matin elle se réveille dans une chambre qu’elle ne reconnait pas. A ses côtés un homme qu’elle ne reconnait pas non plus. Rien qu’une envie : partir, et si possible loin. Elle se rhabille en vitesse, ne laisse pas le temps à l’homme de la suivre, sort de la chambre, descend les escaliers  et enfourche une grosse cylindrée alors que l’homme fait tout juste son apparition à l’autre bout du trottoir. Plus tard elle arrête son bolide près d’un bar. Elle y rentre pour boire un coca, entourée de cowboys pas franchement fringuant. Quelques minutes plus tard des filles rageuses habillées de cuir dévalent dans ce speakeasy de fortune. Elles y viennent pour charger du cowboy. Bientôt une bataille rangée prend corps dont l’issue se dessine bien vite : pris par surprise les hommes font pâle figure. Les amazones toutes chaines dehors, armées de battes de baseball, font un carnage et sortent non sans avoir proposé à la fille, qui avait trouvé refuge derrière le bar, de venir avec elles pour avaler de l’asphalte. Elles sont motardes elles-aussi et vont faire un bout de parcours ensemble… Plus tard dans la journée, la petite équipée s’aventure dans un village isolé, un de ceux qui servent de décor aux westerns ou que l’on retrouve sur des cartes postales clichées qui prouvent notre passage en terre US. Dans ce village la fille fera une découverte étrange dans une grange du patelin : un homme minuscule qui arbore une superbe moustache. Les deux vont faire un bout de voyage ensemble…

Récit singulier, l’homme minuscule grandit à chaque fois qu’il fait l’amour avec la fille. Une fille tout aussi étrange qui le perdra bientôt mal calé qu’il est sur l’arrière de la cylindrée. L’homme errera dès lors dans les plaines désertiques, puis de villages en villes aseptisées et devra faire face à son succès auprès des femmes qui craquent toutes pour sa moustache qui émoustille, une moustache plus belle que celle de Burt Reynolds ! C’est dire. Il deviendra acteur, vivra une vie intense mais ne pourra oublier la fille.

Ce récit écrit et dessiné par Christophe Blain, qui assemble là un livre-disque pluridisciplinaire purement jouissif, mêle BD, textes interprétés façon bande son de films américains des années 50 ou 60 par Barbara Carlotti et un lot de voix pas si inconnues que ça (Christophe Blain himself mais aussi Arthur H, Blutch..), passages musicaux interprétés par la chanteuse de L’idéal. On est dans la lignée de ces contes lus dans notre enfance qui s’écoutaient sur l’oreiller calé bien au chaud au fond du lit les yeux fermés pour bien entrer dans l’histoire. La fille offre ce plaisir-là à la manière d’un road-trip mené tambour battant sur des routes martelées de soleil où le sable s’aventure copieusement soulevé par les quelques voitures de passage. On y parle d’amour, de sexe, de différence, de violence. De toutes ces choses qui construisent un récit on the road, barré, dans lequel les fantasmes prennent corps et les esprits s’éveillent…

Blain/Carlotti – La fille – Gallimard – 2013 – 29,90 euros